théories du complot
Les fameux chemtrails font partie des théories du complot les plus courantes. © NurPhoto via Getty Images

Les complotistes ne sont pas si fous: ce que les théories du complot révèlent sur notre société

Des chemtrails à la mise en scène de l’alunissage, en passant par la Terre plate et des politiciens qui sacrifieraient des enfants dans la cave d’une pizzeria, les réseaux sociaux regorgent de théories du complot. Mais pourquoi sont-elles si difficiles à réfuter? Et nous apprennent-elles quelque chose sur nous-mêmes?

«Les complotistes sont loin d’être stupides. Ce sont eux qui posent les grandes questions et qui argumentent leurs réponses jusque dans les moindres détails», affirme le fact-checker Rien Emmery. En période d’incertitude, nous cherchons tous un repère. Pour certains, c’est la religion, pour d’autres, la science. Et pour ceux qui veulent mener une réflexion approfondie et créative: les théories du complot.

Bien que ces croyances soient souvent jugées farfelues et contraires à la vérité, il se pourrait qu’elles recèlent une part de réalité et que les complotistes, eux-mêmes, soient un exemple à étudier. Mais alors, que pouvons-nous apprendre de ces théories si populaires?

Descartes poussé à l’extrême

Les complots existent bel et bien. Rien Emmery, fact-checker chez Knack, est régulièrement confronté à des théories spéculatives. «Les théories du complot existent depuis toujours, et elles se sont souvent révélées exactes. Pensez par exemple à l’assassinat de Jules César ou au scandale du Watergate

Le complotisme est une question de connaissance. Rien Emmery le qualifie de «degré ultime du scepticisme». Ce qui commence par une intention louable –penser de manière critique et ne pas accepter une information comme vraie sans la remettre en question– débouche sur un doute radical, où plus aucune information n’est considérée comme vraie et où plus aucune source n’est jugée fiable. Cela s’apparente presque à une reformulation du principe de falsifiabilité scientifique.

Même dans la science, tout est sans cesse redéfini et modifié.

Rien Emmery

fact-checker

Depuis les Lumières, la religion a été remplacée par la science en tant qu’unique moyen légitime de comprendre le monde. Un postulat que les complotistes, et non sans raison, remettent en question. Après tout, les scientifiques sont eux aussi plus enclins à interpréter qu’à observer purement et simplement. Rien Emmery le reconnaît: «Même en tant que fact-checker, il est parfois préférable de ne pas trop s’appuyer sur une ‘vérité’ absolue. Même dans la science, tout est sans cesse redéfini et modifié.»

La science se présente comme une quête d’objectivité ultime, mais elle repose sur des observations empiriques, qui sont inévitablement subjectives. Pourquoi cela serait-il plus crédible qu’une élite supérieure qui nous ment?

Un narcissisme assuré

La différence réside dans l’ouverture au débat et à l’évolution des idées. Car, en plus d’être sceptiques, les complotistes excellent aussi dans le narcissisme. «Les complotistes ne sont pas stupides, bien au contraire, affirme Rien Emmery. Ce sont eux qui posent les grandes questions et qui argumentent leurs réponses jusque dans les moindres détails. Naturellement, de grandes questions nécessitent de grandes réponses.»

Les théories du complot sont extrêmement élaborées, et cet investissement intellectuel mène à une certaine arrogance intellectuelle. Discuter avec des complotistes s’avère particulièrement difficile, car ils considèrent leurs théories comme des vérités incontestables. «Les théories du complot reposent sur une preuve dissimulée, explique Rien Emmery. Le fondement même de ces théories est qu’il n’existe aucune preuve, car le complot doit naturellement rester caché. C’est précisément ce qui les rend si difficiles à réfuter.»

Comme dans tout narcissisme, l’arrogance s’accompagne d’une forte identification personnelle. Pris dans un enchevêtrement de raisonnements fallacieux, les complotistes associent leur savoir à leur propre estime d’eux-mêmes. Ce n’est pas eux, mais vous qui tombez dans des pièges soi-disant évidents. Contredire leur vision du monde équivaut alors à une attaque personnelle.

Ce qui rend les théories du complot si séduisantes, c’est qu’elles sont toutes interconnectées et s’auto-entretiennent.

Rien Emmery

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Un gouffre commun

Paradoxalement, c’est précisément ce narcissisme qui renforce la cohésion de la communauté complotiste. Lorsque famille et amis ne cessent de vous reprocher d’être un «complotiste stupide», il est logique que vous cherchiez refuge ailleurs. Et là, vos pairs complotistes vous accueillent à bras ouverts. Pour Rien Emmery, «les complotistes dépassent les clivages et réconcilient la gauche avec la droite, les croyants avec les athées.» C’en est presque inspirant.

Vivre dans une telle communauté signifie que vos théories sont confirmées et amplifiées. Vous commencez doucement à croire que Michael Jackson n’est peut-être pas vraiment mort? Félicitations: vous voilà aussi antisémite et convaincu que la Terre est plate. En prime, vous recevez un chapeau en aluminium gratuit.

«Ce qui rend les théories du complot si séduisantes, c’est qu’elles sont toutes interconnectées et s’auto-entretiennent, explique Rien Emmery. C’est pourquoi presque tous les complotistes finissent par devenir antisémites, même s’ils croyaient au départ simplement que le gouvernement répandait des produits chimiques via les avions. C’est comme sombrer dans des sables mouvants: ils tombent dans un gouffre intellectuel.»

En essence, le complotisme est un pluralisme actif poussé à son paroxysme. Bien sûr, ces théories sont souvent contradictoires, mais les complotistes excellent dans l’art de les justifier. «Pour chaque contradiction, ils peuvent trouver une nouvelle explication», souligne-t-il.

D’un côté, cela démontre une certaine créativité, même si elle est souvent tirée par les cheveux. Mais de l’autre, cela relève aussi d’une approche très scientifique: dans la quête d’un résultat significatif, les scientifiques n’hésitent pas, eux non plus, à écarter certaines données aberrantes. Après tout, il y a toujours des cerises à cueillir dans le verger de la connaissance.

Mécanisme d’adaptation

Chacun perçoit le monde à sa manière. L’être humain a simplement du mal à gérer l’incertitude. «Dans une société en voie de sécularisation, les gens ont besoin d’un nouveau repère», explique Rien Emmery. Les complotistes, au moins, y font face. Cette ignorance aurait pu s’exprimer d’une toute autre manière.

Bien que l’acceptation passive soit parfois plus efficace, les théories du complot constituent un excellent remède contre l’absurdité de l’existence. «Le hasard n’existe plus, et c’est aussi une façon de donner un sens à sa vie», conclut-il.

Les théories du complot offrent une autre interprétation de la réalité. Excessive, certes, mais pas fondamentalement inutile. Nous partageons tous une forme de scepticisme et de créativité, et au bout du compte, la connaissance est pour chacun un moyen de donner du sens au monde. Une connaissance bâtie sur d’autres fondations, mais avec le même objectif: trouver la vérité.

 

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