Les Belges majoritairement d’accord pour régulariser les sans-papiers (sondage Le Vif/CNCD)
Malgré les crises, les Belges restent solidaires, mais moins qu’avant. Ils sont surtout friands de justice fiscale. Et moins réticents, voire carrément favorables, à la régularisation des sans-papiers. Voici les principaux enseignements du dernier baromètre CNCD-11.11.11. /Le Vif, analysés avec le directeur du Crisp, Jean Faniel.
Pandémie, guerre en Ukraine, flambée du gaz, inflation historique, sécheresse inédite… Les crises se suivent et s’accumulent. Le monde n’a jamais été aussi chaud, dans tous les sens du terme. Dans ce contexte, le Baromètre de la solidarité internationale du CNCD (1), réalisé en collaboration avec Le Vif et Knack, juste avant l’opération 11.11.11., permet de décoder, au bon moment, l’état d’esprit des Belges sur un nombre varié de thèmes urgents comme la crise énergétique, la lutte pour le climat, la justice fiscale ou la solidarité avec le Sud. Le sondage, confié à Ipsos, qui a interrogé un millier de personnes dans les trois Régions du pays, s’intéresse aussi à un sujet, ou plutôt un objet, dont on a beaucoup parlé ces derniers mois : la voiture.
Mais l’enseignement le plus étonnant révélé par l’enquête concerne l’asile et les migrations, en particulier l’évolution spectaculaire de l’opinion des Belges – singulièrement des Flamands – à l’égard de la régularisation des sans-papiers.
En effet, cette année, 54 % des sondés se disent favorables à « la régularisation et à l’octroi d’un permis de travail aux personnes sans papiers résidant en Belgique depuis au moins cinq ans et ayant prouvé leur intégration ». Ils étaient 31 %, en 2021, soit une différence de 23 points en un an. Enorme. Les Flamands, qui ne se disaient d’accord avec la régularisation qu’à hauteur de 23 % d’entre eux en 2021, le sont désormais majoritairement, soit 51 %. Encore plus énorme ! Chez les francophones, la proportion est passée, en un an, de 42 à 58 %, majoritaire donc aussi. Et, si l’on regarde les chiffres des réponses défavorables, le constat est le même : il n’y a plus que 24 % des Belges qui ne sont pas d’accord avec la régularisation, contre 41 %, l’an dernier (25 % des Flamands contre 49 % en 2021). Et les sans avis sont moins nombreux partout.
Régularisation utilitariste
Comment analyser une telle évolution ? « Le libellé de la question, qui a changé entre 2021 et 2022, peut expliquer cette variation, avance Nathalie Busine, senior research consultant chez Ipsos. L’an dernier, l’enquête n’évoquait que la régularisation et l’octroi d’un permis de travail. Cette année a été ajoutée la condition du séjour de cinq ans et celle de l’intégration. Théoriquement, les réponses à ces deux questions, vu leur différence, ne pourraient être comparées. » Tout de même. « Cela reste étonnant car ces conditions, que même le monde associatif avance dans les campagnes de régularisation, ne sont pas neuves », estime Jean Faniel, directeur du Crisp (Centre de recherche et d’information socio-politiques).
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Pour lui, outre l’allongement de la question, on peut sans doute y voir une influence de l’actualité, tel l’accueil des réfugiés ukrainiens pour lesquels la moitié des Belges (50 %) approuvent l’octroi d’une protection temporaire au sein de l’Union européenne (accès à un travail, un hébergement, aide sociale et soins de santé). Notons, en outre, que 44 % des sondés se disent favorables à ce que les conditions accordées aux Ukrainiens soient les mêmes pour tout demandeur d’asile fuyant la guerre. Arnaud Zacharie, secrétaire général du CNCD, souligne, côté flamand, le changement de discours du monde patronal dont la N-VA est proche, à la suite de la pénurie de main d’oeuvre. « Il ne serait pas étonnant que l’opinion se moule dans le discours dominant des entreprises en faveur d’une régularisation “utilitariste” », avance-t-il. Cela rejoint le résultat de la récente étude de Randstad montrant que la migration est approuvée par une majorité de Belges lorsqu’elle permet de répondre aux carences sur le marché du travail.
Green Deal moins vert en Flandre
Pour Jean Faniel, il y a là un basculement indéniable. « Seulement 25 % de Flamands défavorables à la régularisation sous condition, soit moins que l’électorat de la N-VA et du Vlaams Belang réunis, cela devrait avoir des répercussions politiques, estime-t-il. Les partis flamands ne peuvent plus dire que leur électorat y est opposé ni les partis francophones se réfugier derrière cet argument en déplorant que, de toute façon, les Flamands n’en veulent pas. » Cela pourrait en tout cas interpeller la Vivaldi embourbée dans la crise de l’accueil. Cela pourrait également être l’opportunité pour les associations actives sur le sujet d’appuyer ou de relancer, y compris dans le nord du pays, des opérations de sensibilisation à la régularisation.
Le Green Deal européen qui vise à diminuer de 55 % les gaz à effet de serre d’ici à 2030 est davantage soutenu que l’an dernier par les Wallons (73 %), mais moins par les Bruxellois (69 %) et les Flamands (65 %)
Le sondage CNCD-Le Vif s’est aussi intéressé à l’adhésion des Belges aux mesures visant à lutter contre les crises énergétique et climatique. Résultat : on observe un soutien assez conséquent à ce qui est prôné par l’Agence internationale de l’énergie ou par l’Union européenne, avec quelques nuances régionales. Par exemple, le développement du renouvelable semble un peu plus populaire en Flandre. Les Flamands (21 %) se disent moins enclins que les Bruxellois (41 %) ou même les Wallons (34 %) à relancer les centrales à charbon. La taxe carbone aux frontières de l’UE a davantage les faveurs des Bruxellois (71 %) que des Flamands (56 %). Le Green Deal européen qui vise à diminuer de 55 % les gaz à effet de serre d’ici à 2030 est davantage soutenu que l’an dernier par les Wallons (73 %), mais moins par les Bruxellois (69 %) et les Flamands (65 %). « La position de ces derniers peut s’expliquer, comme pour d’autres sujets, par la politique spécifique de leur Région, remarque le directeur du Crisp. En l’occurrence, Zuhal Demir (N-VA), la ministre flamande de l’Environnement, a remis en cause les objectifs climatiques de l’UE et refuse de faire des efforts supplémentaires. »
Même pas frileux, les Belges…
Cela dit, en matière de sécurité d’approvisionnement et de prix de l’énergie, les habitants des trois Régions sont relativement unanimes. La mesure visant à diminuer la température d’un degré rallie, sans problème, une large majorité (69 %), même un chouia plus en Flandre, moins frileuse encore. Idem pour les centrales nucléaires : 67 % sont favorables à leur prolongation, mais bien moins les jeunes (56 %) que les plus âgés (75 %) et moins les femmes que les hommes. La dissociation des prix du gaz et de l’électricité, ainsi que le plafonnement des prix de l’énergie à l’échelle de l’Union européenne, sont plébiscités à plus de 80 %, ce qui confortera notre Premier ministre face aux adversaires européens de ces mesures.
Alexander De Croo devrait, par ailleurs, tenir compte des 80 % de Belges favorables à une taxe sur les surprofits des sociétés énergétiques. Seulement 3% sont contre. « Le feu vert des citoyens est très clair à cet égard envers le politique », souligne Jean Faniel.
A la veille de la COP27 qui se penchera longuement sur la question dès le 6 novembre, le soutien des Belges envers le sud de la planète en matière climatique est moins franc. Si une petite majorité (52 %) reste favorable au financement du fameux Fonds vert qui doit aider les pays en développement à financer eurs efforts pour s’adapter au changement climatique et réduire leurs émissions carbone, la tendance est un peu à la baisse par rapport à 2021 (56 %), sauf à Bruxelles. Pour la coalition climat (dont le CNCD fait partie avec 90 organisations), la contribution de la Belgique au financement « climat international » doit atteindre les 500 millions d’euros par an, plutôt que les 100 millions actuels. Mais cette revendication ne convainc que 22 % des Belges.
Idem pour la création d’un mécanisme d’assurance, réclamé par les pays du Sud, pour indemniser les victimes des préjudices subis par le dérèglement : 27 % de convaincus. « Avec, tout de même, une nette différence entre les francophones, à 36 %, et les néerlandophones, à 20 % », tient à souligner Arnaud Zacharie.
Touche pas à ma bagnole !
La solidarité des Belges pour la transition énergétique et la lutte contre le réchauffement s’arrête à la portière de leur SUV. Même en matière d’économie d’énergie, le soutien aux mesures touchant à la voiture personnelle est nettement plus limité que pour la réduction du thermostat d’un degré ou la rénovation et l’isolation des bâtiments afin d’améliorer leur efficacité énergétique (75 %). Limiter la vitesse sur autoroute ne récolte que 43 % d’avis favorables. Idem pour la suppression des cartes essence pour un usage autre que professionnel : 48 % des Belges sont d’accord. Moins d’un sur trois (31 %) adhère à l’idée de remplacer les voitures thermiques par des électriques. Ils étaient près de 40 %, l’an dernier. « Avec tout ce qui a été publié dans les médias sur le sujet, l’enthousiasme semble passé, relève Jean Faniel. Surtout, le prix de l’électricité en refroidit beaucoup, c’est logique. » Quant à la fin des voitures de société, prônée par le panel d’experts fiscaux mandaté par le gouvernement, 55 % des sondés se disent d’accord et 20 % – ce qui équivaut à la proportion de véhicules de société dans le parc automobile belge – ne le sont pas. Les Flamands résistent davantage que les francophones. Il est vrai que cet avantage est plus répandu au nord qu’au sud du pays.
Opinion majoritaire vs politiques
Par contre, la justice fiscale, surtout si elle les concerne, enthousiasme beaucoup plus les Belges. Ici, pas de changements significatifs par rapport au sondage de 2021. On peut encore parler de plébiscite. Excepté pour la taxe sur les transactions financières, ce sont les Flamands qui se montrent les plus favorables à imposer les riches. Même la proposition des experts pour la prochaine réforme fiscale de taxer les revenus du patrimoine (loyers, dividendes, intérêts…) séduit davantage les Flamands, mais aussi les plus âgés et ceux dont les revenus sont plus élevés.
L’idée d’un impôt sur la fortune (ISF), si celle-ci est supérieure à un million d’euros, reste populaire, surtout s’il s’agit d’une taxe belge (74 % favorables), moins dans un cadre européen (70 %, contre 79 % en 2020). « Le message semble être que si une telle taxe n’avance pas au niveau de l’Europe, autant le faire au niveau de la Belgique », commente Jean Faniel.
Ici encore, ce sont les Flamands qui se montrent les plus chauds pour cet ISF, qu’il soit belge ou européen. Pour le patron du Crisp, cela fait des années que les différents sondages révèlent l’attachement global de la population à un tel impôt. « Il y a donc un décalage manifestement important entre ce que l’opinion souhaite ou est prête à admettre et le politique qui s’y oppose d’une manière ou d’une autre, commente-t-il. Pour l’ISF, c’est évident depuis longtemps. Ça l’est désormais pour les surprofits et la régularisation des sans-papiers. On peut dès lors s’interroger, une fois de plus, sur ce qui fait la décision politique en Belgique. Il semble évident que certains acteurs, pourtant minoritaires, ont une force de persuasion bien plus forte que la grande majorité. De tels sondages peuvent néanmoins constituer des leviers pour certains partis, d’opposition ou non, qui veulent faire avancer ces mesures fiscales. »
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Moins solidaires en temps de crise
Inflation oblige ? Les Belges se montrent moins généreux en matière d’aide au développement. Ils ne sont plus que 35 % à se dire favorables à une augmentation de cette aide, alors qu’ils étaient 41 % l’an dernier. En réalité, on revient au taux de 2020 (34 %). Mais c’est surtout l’indifférence, soit l’absence d’avis sur cette question, qui est en hausse : 27 % (contre 21 % en 2021 et 15 % en 2020).
Cela dit, pour toutes les propositions relevant du soutien aux pays en développement – aide alimentaire en cas de crise, système multilatéral de stocks pour enrayer la volatilité des prix agricoles, renfort de la souveraineté alimentaire ou encore respect par la Belgique de son engagement de consacrer 0,7 % de son PNB à l’aide au développement – ce sont les catégories de revenus les plus basses qui se disent les plus favorables. Autrement dit, moins on est riche, plus on est solidaire. Le constat de l’an dernier n’a pas
changé.
Enfin, le sondage du CNCD révèle pas mal de choses sur les jeunes, en particulier en matière climatique et fiscale. Exemple : sur les moyens que l’UE peut développer afin de financer les 750 milliards empruntés pour le plan « Next Generation » (qui les concerne donc a priori), les 18‑34 ans sont moins disposés que les autres tranches d’âge à taxer le kérosène et les billets d’avion, à imposer une taxe carbone aux frontières de l’Europe, à instaurer une taxe sur les transactions financières, sur les grands patrimoines ou un impôt minimum sur les profits des sociétés, et, surtout, à taxer les Gafa (Google, Amazon, Facebook, Apple) dont ils sont friands. Leur soutien à ces mesures est souvent même minoritaire, en dessous de la moitié, et l’écart avec les 55 ans et plus varie de 10 à 17 points. « Ils sont aussi plus nombreux à être sans avis sur ces questions, ce qui devrait inciter le monde associatif, dont le CNCD, à accroître le travail de sensibilisation auprès de cette tranche d’âge », relève encore Jean Faniel. D’autant qu’ils représentent l’avenir.
(1) Sondage réalisé en octobre auprès d’un échantillon de mille Belges répartis dans les trois Régions du pays, de tous âges à partir de 18 ans. La marge d’erreur est de 3 % maximum.
Les résultats du sondage feront l’objet de l’émission Tendances Première (RTBF), le 7 novembre à 10 h 30, avec Arnaud Zacharie et notre journaliste Thierry Denoël.
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