
Les agences matrimoniales séduisent encore: « Je vais avoir 63 ans, mais je crois toujours en la belle rencontre »
Elles semblaient tombées en désuétude, mais la pandémie les a remises au goût du jour. Depuis quelques années, les agences matrimoniales connaissent un regain d’intérêt. Alternatives plus sécurisées et moins énergivores aux applications de rencontres, elles restent toutefois réservées aux plus nantis.
J’étais tellement usée par les applications de rencontre que cela me semblait la seule solution.» Depuis fin août, Viviane*, 52 ans, fait appel aux services d’une agence matrimoniale. Un énième rencard désastreux par l’intermédiaire d’un site l’a poussée à franchir le cap. « J’ai rencontré un homme qui voulait absolument me ramener chez lui pour avoir des relations sexuelles. Face à mon refus, il s’est mis à m’insulter et à me harceler. J’ai vraiment pris peur et je me suis dit : ‘cette fois, on ne m’y reprendra plus’».
Après un entretien individuel avec une responsable de l’agence, qui lui a permis d’exposer ses préférences, Viviane a rencontré un premier prétendant, qui semble pour l’heure convenir à ses attentes. « On a déjà eu trois rendez-vous, donc j’ai bon espoir que cela continue », se réjouit la magistrate, divorcée depuis douze ans.
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A l’instar de la quinquagénaire, des milliers de célibataires en Belgique sollicitent les services de courtage matrimonial. Depuis la crise sanitaire, le secteur connaît d’ailleurs une véritable renaissance. « En 2020, on a reçu énormément de demandes, se remémore Walter Benjamin, fondateur de l’agence Laura Hamilton en 1995. Les gens n’avaient plus de vie sociale : ils ne sortaient plus, n’allaient plus au travail ou à des événements, donc ils se sont tournés vers nous pour trouver l’amour. » Un boom également observé par Claire Mottart, directrice de l’agence Atoutcoeurs. « Notre succès est à peu près constant, mais il faut reconnaître que la pandémie nous a bien aidés. Depuis, nous recevons à peu près deux nouvelles demandes d’inscription par jour. »
« Un mal pour un bien »
L’essor des applications de rencontres, dans les années 2000, a pourtant représenté une menace pour la survie des agences. « On a connu un gros creux entre 2003 et 2008 avec l’arrivée des sites internet, gratuits pour la plupart, concède Walter Benjamin. Mais, petit à petit, les gens se sont rendus compte que les applications n’étaient qu’un grand supermarché décevant. In fine, Meetic ou Tinder ont été un mal pour un bien. » Un constat partagé par Claire Mottart : « Les applications ne représentent pas une véritable concurrence. Au contraire : de nombreuses personnes se tournent vers nous après en avoir été désabusées. »
Car si elles sont de précieuses facilitatrices de rencontres, les applications ont également leur tares. L’accumulation de rendez-vous ratés, le « ghosting » (action de ne plus répondre à son prétendant du jour au lendemain) ou le harcèlement peuvent entrainer une véritable fatigue émotionnelle dans le chef des utilisateurs. « Les applications, c’est une catastrophe, s’alarme Martine*, 62 ans, qui a toujours refusé de s’y inscrire. Quand on est sensibles comme moi, on est terrorisés par ces sites. En passant par une agence, je m’assure un encadrement et une sécurité. Je suis sûre de ne pas tomber sur des ‘prédateurs’. » « Entre les hommes qui s’inventent une vie, mentent sur leur âge ou sur leur profession et ceux qui sont en réalité mariés, les applications étaient devenues un véritable enfer », abonde Viviane.
« Au contraire des applications, nous assurons un véritable suivi, insiste Claire Mottart. Nos membres ont des obligations à respecter, et au moindre dérapage, nous intervenons. » Dans la majorité des agences, lorsque deux prétendants ont accepté un rendez-vous, ils sont tenus de s’y présenter, rendant impossible le phénomène de « ghosting ».
Un cadre légal contraignant
Légalement, les agences matrimoniales doivent également être enregistrées auprès du SPF Economie et respecter la loi du 9 mars 1993 sur le courtage matrimonial. Ce cadre légal vise à assurer une plus grande transparence du secteur ainsi qu’une meilleure protection du consommateur. Il impose la rédaction d’un contrat écrit entre l’agence et le client, dont les clauses prévoient notamment un délai de réflexion obligatoire ainsi qu’une interdiction du renouvellement du contrat par tacite reconduction.
Outre cet encadrement, les agences matrimoniales assurent une certaine discrétion. « Je proviens de l’aristocratie, détaille Martine. Au vu de mon parcours de vie et de mes valeurs, je ne voulais absolument pas rencontrer l’amour virtuellement. Je ne suis déjà pas sur les réseaux sociaux, alors les applications, c’est hors de question. Mais que cela soit bien clair : je ne me suis pas du tout inscrite dans une agence matrimoniale par dépit. Je ne ressens aucune culpabilité, au contraire. Je trouve cela valorisant d’avoir posé ce choix-là et de l’assumer. »
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Surtout, les agences matrimoniales permettent un véritable gain de temps. « J’en avais marre de passer mes soirées à discuter avec des hommes sur mon ordinateur, c’était extrêmement énergivore », se souvient Viviane. Sélection des profils, match-making et contact en vue d’un rendez-vous : dans les agences, tout le travail est effectué pour les clients. « Nos membres peuvent continuer leurs activités sans perdre leur temps inutilement », résume le créateur de l’agence Laura Hamilton.
Les agences matrimoniales, le « Tinder » des riches ?
Logiquement, tout ce travail a un coût. Généralement, les agences proposent des accompagnements durant trois, six, neuf ou douze mois, les prix variant selon le contrat. Si certaines offrent des abonnements mensuels à quelques centaines d’euros, l’addition peut rapidement s’envoler dans les établissements « haut de gamme ». Pour un contrat annuel, il faut habituellement compter entre 4.000€ et 6.000€ HTVA, parfois même jusqu’à 10.000€ ou 15.000€ pour une formule personnalisée (love coach, option à l’international…). « Ce n’est pas à la portée de toutes les bourses, mais en même temps, il y a tout un service derrière, justifie Claire Mottart. C’est un gage de qualité.»
Ces montants onéreux permettent cyniquement une première sélection parmi les candidats. Viviane, qui a déboursé plus de 2.700€ pour un abonnement trimestriel renouvelable, en est bien consciente. « Cela permet de rencontrer des prétendants du même monde que nous, expose la magistrate. Je ne veux pas faire ma snob et refuser des gens qui ont un niveau de formation ou de rémunération inférieurs, mais je l’ai déjà fait et ça a été un coup dans l’eau. » Et Martine d’acquiescer : « Je ne dis pas que l’amour est une question de diplôme et de revenus financiers, mais c’est mieux d’avoir un niveau de vie similaire, sinon il y a un déséquilibre. »
Les agences matrimoniales « haut de gamme » capitalisent d’ailleurs sur les exigences de leurs clients. « Dès le départ, nous avons dirigé nos services vers les expatriés et les employés des institutions européennes, car nous savions qu’il y avait un créneau à prendre, précise Walter Benjamin. Nos membres viennent majoritairement des milieux aisés, et c’est normal. Nous ne pouvons pas orienter une diplomate vers un chauffeurs poids lourd ou un plombier : ce serait simplement incompatible. » Chez Atoutcoeurs aussi, certaines exigences s’imposent. « On ne recherche pas des mannequins mais on demande un minimum d’élégance, indique Claire Mottart. Nos membres sont issus d’un certain milieu socio-culturel : ils s’instruisent, voyagent, lisent. Mais le plus important, c’est qu’ils aient envie de s’engager sentimentalement. »
Une obligation de moyen, pas de résultat
En raison de ces tarifs dispendieux, la grande majorité de la clientèle de ces agences « sélect » ont entre 40 et 60 ans. Mais les jeunes sont de plus en plus nombreux à se laisser séduire par le courtage matrimonial, indique Walter Benjamin, qui compte parmi sa clientèle des étudiants dans la vingtaine. A chaque tranche d’âge, son « pourcentage » de réussite. « Entre 21 et 45 ans, environ 8 membres sur 10 ont trouvé l’amour, détaille le fondateur de l’agence Laura Hamilton. Au-delà de 50 ans, les chances s’établissent à 7 sur 10. » Légalement, les agences ont une obligation de moyen, mais pas de résultat. En d’autres termes, elles s’engagent à mettre en œuvre tous les moyens pour qu’une union stable se réalise, mais sans garantie. « On dépend du profil des gens et de leur désidérata, donc on ne leur fait pas miroiter des choses inaccessibles, rappelle Walter Benjamin. On est transparents avec nos clients : ‘Si vous voulez rencontrer Angelina Jolie, vous devez être Brad Pitt.’ »
Martine, elle, refuse d’entendre parler de pourcentages ou de statistiques. « On rêve tous de rencontrer quelqu’un rapidement, mais moi, je ne suis pas dans la précipitation. Je privilégie la qualité. Je vais avoir 63 ans, mais je crois encore en la belle rencontre. »
*Prénoms d’emprunt
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