La pénibilité au travail existe encore. © Getty Images

Le travail qui tue, cela existe encore

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Douze auteurs décrivent le récit de la vie écourtée de travailleurs en raison de la pénibilité de leur travail. Pour eux, profiter d’une retraite aurait été une libération.

«C’est bien beau de dire qu’on vit plus longtemps. Mais ce n’est pas vrai pour tout le monde. Et puis, tout dépend des conditions dans lesquelles on vit.» Ainsi commence l’un des douze récits de vie perdue tôt à cause du travail, rassemblés dans Morts avant la retraite (1), ouvrage collectif sous la direction du journaliste de Libération Rachid Laïreche. Conçu dans le contexte du débat sur le recul de l’âge de la retraite de 62 à 64 ans en France, il a aussi valeur universelle, la pénibilité au travail n’ayant pas de frontières.

C’est bien beau de dire qu’on vit plus longtemps. Mais ce n’est pas vrai pour tout le monde.

Les destins retracés dressent un tableau des dures conditions de travail qui prévalent encore dans certains secteurs d’activité, loin de la conviction que l’«on n’est plus au temps de Zola» défendue par ceux dont l’écrivain Arno Bertina dénonce, dans la postface du livre, la facilité à parler «à la place de», à savoir les puissants.

Morts avant la retraite ravive, à travers leurs proches, le souvenir d’Albert, ouvrier dans une fabrique de colorants qui «se mouchait bleu, crachait bleu, transpirait bleu», Mohamed, homme à tout faire sur les chantiers, «braqué par l’exil», Renée, syndicaliste à l’ancienne usine Samsonite qui a connu sept plans sociaux, Eric, ouvrier dans le bâtiment, rattrapé par l’amiante, Jean-Luc, docker, dont l’origine professionnelle du décès – par inhalation de trichloréthylène, un solvant chimique – n’a été reconnue qu’au terme de la «bataille de sa vie», de son épouse.

Il y a aussi Anne-Marie, mère solitaire épuisée par le combat mené de front pour ses emplois et l’éducation de ses enfants ; Toumany, terrassier dans les travaux publics, retrouvé mort d’un arrêt cardiaque au fond d’une tranchée ; Guy, ouvrier dans une usine métallurgique, dont un tribunal a attribué la mort à la «faute inexcusable de l’employeur» ; Brigitte, caissière dans un supermarché auquel elle s’est donnée corps et âme ; Patrick, Martine, Jean-Luc, Christian, qui laissent leur mère nonagénaire privée de quatre de ses six enfants ; Arnaud, «paysan humaniste» qui se battait de toutes ses forces contre la marchandisation des graines ; Jean-Pierre, mineur dont la mort a été imputée à la consommation de tabac et pas à l’exposition aux poussières d’arsenic.

Morts avant la retraite est la confrontation puissante avec «la colère, la rage, la tendresse, la fierté, le manque, la douleur, l’amour et la nostalgie» de parents et d’amis de travailleurs comme certains croient qu’il n’en existe plus.

(1) Morts avant la retraite. Ces vies qu’on planque derrière les statistiques, sous la direction de Rachid Laïreche, Les Arènes, 216 p.

© National

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