Le couple libre, nouvelle solution pour être heureux à deux? « Il se montrait jaloux, alors qu’il multipliait les aventures »
«Et si on s’accordait la permission d’aller voir ailleurs?» Une proposition devenue commune mais qui, dans la réalité du couple, a montré ses limites.
«Nous étions un couple libre, surtout lui.» Christine, 47 ans, ressort la blague à chaque fois qu’elle entame le récit du début de la fin de son couple. Six ans d’un amour dit «classique» avant que son ex-compagnon, de quatre ans son cadet, lui propose de raviver la flamme d’une passion passée en s’ouvrant à de nouvelles expériences.
«Vers 2018 ou 2019, on a commencé à entendre parler de polyamour, de couple libre, d’infidélité respectueuse. Les bouquins L’Ethique des amours plurielles, de Janet W. Hardy ou Je t’aime, je te trompe d’Esther Perel (Robert Laffont) sont devenus les livres de chevet de nos amis. Ça ressemblait à un remède à l’ennui inévitable de la monogamie. A force de lire ça dans la presse, on a commencé à parler, lui et moi, de cette autre manière de vivre le couple. Une permission accordée à chacun d’entretenir une vie sexuelle ou affective hors de la sphère “familiale nucléaire”, dans le respect de nos individualités, de nos libertés et tout en conservant la priorité à notre duo initial. On s’ennuyait ensemble, on ne se suffisait plus, ça nous a semblé être une bonne idée. On a plus ou moins défini le cadre et on s’est inscrits sur un site dédié aux rencontres extraconjugales», poursuit-elle.
Ça nous a éloignés, ça m’a dégoûtée de lui, on a fini par se séparer et par se haïr.
Un cauchemar
Happy end? Scènes torrides à la Eyes Wide Shut? Pas vraiment. Christine et son ex-compagnon ne sont pas devenus des modèles inspirants ni des représentants de choix pour cette manière de faire.
«Ça a tourné au cauchemar en quelques mois. Alors que je tissais des liens ténus et que j’envisageais à peine une relation sexuelle avec un homme qui me plaisait, mon compagnon manifestait de la jalousie et une curiosité presque agressive. Lui, de son côté, collectionnait déjà les aventures et semblait tenir une comptabilité malsaine. Il organisait ses rendez-vous le soir, partait de la maison excité et parfumé, achetait des sex toys qu’il laissait traîner sous mes yeux, me racontait de nouvelles pratiques qu’il expérimentait, me comparait aux autres femmes… En fait, il ne voulait pas mon bonheur, mais uniquement rattraper le temps perdu jusque-là dans une fidélité contrainte. Ça nous a éloignés, ça m’a dégoûtée de lui, on a fini par se séparer et par se haïr.»
Diagnostic: échec cuisant dû à un manque de définition des besoins et intentions, de règles claires et de compersion.
Le bonheur de l’un…
La compersion, c’est ce mot si cher aux polyamoureux et polyamoureuses qui se réjouissent de la jouissance (dans tous les sens du terme) de l’autre et qui opposent ce sentiment à la jalousie.
Savoir que son ou sa partenaire a vécu un moment d’exception – qu’il s’agisse de tendresse, de complicité ou de sexe – avec un tiers peut être source de joie pour les personnes dont la maturité affective, la vision de la possession et la philosophie profonde sont alignées. Mais qui est assez ancré, à notre époque, pour réellement faire preuve d’autant de grandeur d’âme?
Avec le polyamour, les «cocus contents» d’autrefois promettaient de devenir les Gandhi de l’infidélité apaisée. C’était sans compter les constructions individuelles, sociales et mentales qui régissent la notion même de couple dans nos sociétés depuis le siècle des Lumières et le XIXe siècle (en grossissant le trait, le mariage n’était question, jusque-là, que de négociations…).
Quelle définition du couple ?
Dans l’étymologie du mot «couple», d’ailleurs, pas de référence à l’exclusivité. Le déverbal de coupler parle de ceux qui s’accouplent et copulent, rien de plus. «Même si, face à la diversité des modèles familiaux, nous remettons aujourd’hui en question les modèles et structures qui régissaient jusqu’il y a peu notre société, il est un sujet qui semble pour l’heure imperméable à la réflexion collective: le couple », assure Martine Vasseur, psycho-sexologue.
« L’idée qu’il est composé de deux individus engagés et fidèles perdure et toutes les alternatives à cette image bousculent jusqu’aux personnes les plus ouvertes d’esprit. Un partenaire qui souhaite vivre des aventures sexuelles ou amoureuses à l’extérieur du noyau du couple renvoie l’image d’un échec, d’une incapacité de l’autre à combler entièrement son conjoint. Face aux couples libres, la plupart des gens imaginent un rapport de force entre partenaires, une résignation de l’un face aux besoins de l’autre. Un qui assume, l’autre qui subit. De fait, c’est souvent le cas…»
Rester dans le cadre
Les mots ont évidemment un sens. L’infidélité se définissant comme un manque de respect envers un engagement – ce qui induit une notion de mensonge, de dissimulation – elle ne saurait qualifier justement les formes de couples non conventionnels et non exclusifs.
Dans les unions ou relations libres, permission mutuelle est donnée d’avoir des relations sexuelles et affectives, ce qui éradique en soi la trahison. Encore faut-il définir les contours (le plus souvent poreux) des contrats moraux.
Pour le bien de tous, mieux vaut éviter les accords tacites et creuser le sujet des limites avant de les atteindre. Peu de gens parviennent pourtant à dessiner la cartographie idéale de l’amour et du respect et leurs frontières en pointillé.
«Il est extrêmement compliqué de se tenir à des règles strictes lorsqu’on touche aux sentiments et à la sexualité», confirme Sophie Bettens, psychologue et sexologue. Manque de connaissance de soi, exploration de fantasmes de plus en plus poussés, excitation incontrôlée, rencontre avec une personne qui incite à rompre les digues… Les meilleures intentions peuvent être balayées.
Un qui assume, l’autre qui subit. De fait, c’est souvent le cas…
Dépasser sa jalousie
S’il est convenu, en polyamour, de conclure des accords et de faire preuve de réciprocité, il est un élément hautement inflammable et peu quantifiable: la jalousie. Nombre de biais inconscients l’ont portée au rang de preuve d’amour indispensable. Tant de films, de romans, de tragédies reposent sur ce désir de posséder l’autre et sur la crainte de le voir se détourner au profit d’une passion.
«Les nouvelles générations seront peut-être épargnées, mais les adultes d’aujourd’hui ont tous appris à travers la télé qu’un couple est formé par deux personnes, la plupart du temps hétérosexuelles, dont l’objectif est d’acquérir un bien, de se reproduire et d’avoir de gentils voisins. Gare à la garce qui rôde pour réduire ce bonheur à néant. Les infidélités se terminent dans des bains de sang ou dans des repentances autoflagellatrices», s’amuse Nora qui se qualifie elle-même «d’infidèle et de critique cinéma».
La jalousie est comme la peur ou n’importe quelle autre émotion non souhaitée: «Une chose sur laquelle il faut travailler, puis la dépasser. Lorsqu’on la traite avec honnêteté et avec stoïcisme, elle perd beaucoup de son pouvoir. Beaucoup la voient comme le signal de quelque chose qui doit être pris en considération et analysé, tout comme le seraient la dépression ou la douleur», indique Polyphil, contributeur de la communauté polyamoureuse belge polyamour.be.
« Un couple ne « devient » pas libre »
Dans les faits, le gap est énorme entre s’imaginer forniquer avec un collègue après le team building avec la bénédiction de son conjoint et savoir que de son côté, il passe à l’acte avec quelqu’un qui pourrait être plus jeune, plus beau, plus intelligent et plus torride que soi.
«Je me suis senti arnaqué, s’emporte Simon», 37 ans, en couple depuis 13 ans. J’ai fini par comprendre que ce que ma compagne souhaitait, c’est s’envoyer qui elle voulait sans avoir à porter la moindre culpabilité, puisqu’elle avait mon accord. Nous avons attrapé des MST car elle ne se protégeait pas. Ou plutôt, elle ne nous protégeait pas… Je pense qu’un couple ne “devient” pas libre, surtout après autant d’années. Ça ne peut fonctionner qu’entre personnes qui ont déjà ces convictions dès le début de leur relation.»
Vigilance…
Ramener à la maison les fluides, miasmes et autres IST ramassés lors d’une aventure est également un risque, c’est certain. «Le respect de soi et des autres incite les polyamoureux à assumer la responsabilité de leurs actes, notamment quant à la sexualité. Un soin particulier est accordé aux questions de contraception et de prévention des maladies sexuellement transmissibles. Le polyamour n’est ainsi en rien comparable à un quelconque relâchement des mœurs ou à une façon bon marché de multiplier les partenaires sexuels», précise Yves-Alexandre Thalmann, auteur de Vertus du polyamour (2006, éd. Jouvence). Dans les faits, un accident de préservatif ou un relâchement de la vigilance après quelques mois de relation sont bien vite arrivés…
Je pense qu’un couple ne “devient” pas libre, surtout après autant d’années.
Le polyamour peut rendre polymalheureux
Promues comme des alternatives radicales à la monogamie traditionnelle, ces manières d’aimer ont contribué à créer chez certains déséquilibre émotionnel, frustrations, incompréhensions, attentes irréalistes, épuisement émotionnel et autres réactions primaires, viscérales et incontrôlables.
L’aventure non monogame ressemble donc, quelques années après l’apogée de sa promotion, à un concept réservé à un cercle fermé de privilégiés capables de préserver leurs nerfs et de retenir leurs déraisonnables envolées.
Galvaudée par des infidèles profonds n’ayant pas d’autre motivation que leur jouissance, rendue à bout par la saturation de promesses, écrasée par des normes culturelles restrictives, cette liberté s’est fracassée sur l’incapacité des personnes impliquées à travailler sur les défis inhérents aux relations non conventionnelles. Le chemin sera encore long avant de disposer pleinement de sa pleine liberté lorsqu’on est engagé dans un schéma de couple traditionnel et balisé…
Et la tendresse, bordel?
Si le polyamour implique un engagement, des liens affectifs durables, de la tendresse, il n’est pas forcément soumis à l’acte sexuel et peut aller jusqu’à la polyfidélité, soit la fidélité à plusieurs partenaires désignés. La polygamie (polygynie ou polyandrie), elle, est strictement interdite en Belgique: une autorité belge ne peut procéder à la conclusion d’un tel mariage ou en reconnaître la validité. Par conséquent, un mariage polygame ne peut être transcrit dans les registres de l’état civil ni inscrit au registre de la population.
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