Aliénation parentale et divorce
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L’aliénation parentale: une théorie pseudoscientifique omniprésente qui accable les mères

Les universitaires alertent sur le manque de fondements de ce concept d’aliénation parentale qui, pourtant, est encore discuté dans les tribunaux, surtout pour viser les mères et y compris en Belgique.

Théorisé dans les années 1980 mais largement remis en question depuis, le syndrome d’aliénation parentale, employé notamment contre des mères qui dénoncent des violences incestueuses, reste très utilisé dans les tribunaux à travers le monde.

Un concept qui «contribue à l’invisibilisation des violences sexuelles faites aux enfants»

Cette théorie, dénuée de fondement scientifique, a été développée dans les années 1980 par le Dr Richard Gardner, un psychiatre américain pourtant mis en cause pour ses écrits ultérieurs favorables à la pédocriminalité. Il affirmait que les enfants se plaignant de violences sexuelles souffraient d’un «syndrome d’aliénation parentale»: ils étaient manipulés par un parent (leur mère généralement), qui les avait amenés à accuser l’autre parent, dans un contexte de désaccord sur les droits de garde lors d’une séparation.

«Gardner préconisait l’adoption de mesures draconiennes, notamment de séparer complètement l’enfant de sa mère afin de le « déprogrammer ». Il soutenait que, plus l’enfant rejetait la relation avec son père, plus il était prouvé qu’il souffrait du syndrome d’aliénation», explique la Rapporteuse spéciale de l’ONU sur la violence contre les femmes et les filles Reem Alsalem, dans un rapport en avril 2023.

Le syndrome d’aliénation parentale (SAP) «a été invoqué fréquemment par les avocats des pères ou des associations défendant les pères séparés, dans des situations de violences conjugales ou incestueuses», explique Gwénola Sueur, doctorante en sociologie à l’Université de Bretagne Occidentale (UBO). Dans de nombreux cas, la garde de l’enfant est retirée à la mère, il est confié à son père, malgré des signalements pour violences, ou placé par les services sociaux.

Ce concept d’aliénation parentale «contribue à l’invisibilisation des violences sexuelles faites aux enfants», avertit la Commission indépendante sur l’Inceste et les violences sexuelles faites aux mineurs. Il rend impossible leur protection «puisque la mère tentant de protéger son enfant victime d’inceste se trouve accusée de le manipuler», dénonce la Ciivise, qui appelle à proscrire son usage.

«Théorie misogyne»

«C’est une théorie misogyne: les femmes sont jugées aliénantes alors que leur envie de protection est légitime du fait des violences subies», observe Pierre-Guillaume Prigent, docteur en sociologie à l’UBO, qui réalise avec Gwénola Sueur une recherche sur l’«aliénation parentale» en France.

Le SAP a été rejeté comme non scientifique par des associations de médecins, de psychiatres et de psychologues. Il n’est pas listé dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-V) de l’Association américaine de psychiatrie, ni dans la classification internationale des maladies de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Pourtant ce concept d’aliénation parentale a été inclus dans la formation de travailleurs sociaux et de magistrats à travers le monde. «Cette notion qui n’a jamais été validée scientifiquement est utilisée par des travailleurs sociaux, psychiatres et psychologues, experts judiciaires» qui conseillent les juges qui statuent sur les droits d’hébergement des enfants, explique Pierre-Guillaume Prigent.

De nombreuses institutions internationales – les Nations unies, le Parlement européen ou le Conseil de l’Europe – ont mis en garde contre le SAP ou ses variantes, dont «l’aliénation parentale». Dans son rapport d’avril 2023, la Rapporteuse spéciale de l’ONU Reem Alsalem appelait les Etats à légiférer «pour interdire l’invocation de l’aliénation parentale ou de pseudo-concepts du même type dans des affaires relevant du droit de la famille». Le Conseil de l’Europe demande aux juges, avocats, travailleurs sociaux de tous les états membres de ne plus y faire référence dans le cadre de leurs activités professionnelles. L’Espagne en a interdit l’utilisation devant un juge, dans une loi en 2021. En novembre 2023 la Cour constitutionnelle colombienne a interdit le recours au SAP en tant qu’argument juridique pour manque de justification scientifique. En France, le ministère de la Justice a seulement publié en 2018 une note interne pour informer les magistrats du «caractère controversé et non reconnu» du syndrome d’aliénation parentale.

En Belgique, le concept est encore utilisé par la justice. Un rapport de plusieurs experts, publié début 2024, «recommande tant aux différentes autorités (législatives, exécutives et judiciaires) qu’aux acteurs de la justice familiale, de l’aide à la jeunesse et de la protection de la jeunesse de ne plus mobiliser le concept d’aliénation parentale, dont les fondements scientifiques sont largement contestés par la communauté scientifique».

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