La surexploitation des espèces sauvages menace des milliards d’humains
La surexploitation d’espèces sauvages – animaux terrestres, poissons, algues, champignons, plantes ou encore arbres – menace le bien-être de milliards d’être humains, dévoile vendredi un rapport de l’Onu, qui donne des pistes pour un usage plus durable et met en valeur les savoirs des peuples autochtones.
Des milliards de personnes dans le monde, aussi bien dans les pays dits développés qu’en développement, « dépendent et bénéficient de l’utilisation d’espèces sauvages pour leur alimentation, la médecine, l’énergie, leurs revenus et à beaucoup d’autres fins« , relèvent les experts biodiversité de l’Onu, l’IPBES.
La Belgique participe également à cette plateforme onusienne, par le biais de la Plateforme belge pour la biodiversité, soutenue par la Politique scientifique fédérale et hébergée par cette dernière ainsi que par l’Institut royal des sciences naturelles, et ses pendants flamand (INBO) et wallon (DEMNA).
« Depuis 1970, l’exploitation directe de la faune sauvage constitue la principale menace sur la nature pour les écosystèmes marins et la deuxième menace la plus importante sur la nature pour les écosystèmes terrestres », explique, dans un communiqué de l’Institut royal des sciences naturelles de Belgique, Catherine Debruyne, experte en biodiversité auprès du service public de Wallonie. « Cela met en danger les bénéfices pour les populations car l‘épuisement des ressources menace leurs moyens de subsistance et leur bien-être ainsi que la réalisation des objectifs sociétaux et environnementaux futurs », poursuit-elle.
En 2019, l’IPBES révélait dans une évaluation mondiale qu’un million d’espèces étaient menacées d’extinction, une des principales raisons étant leur exploitation par les êtres humains.
Les espèces sauvages, sources de revenus et d’emplois
Dans son nouveau rapport, 85 experts des sciences sociales et naturelles et des tenants de savoirs locaux et indigènes ont passé en revue 6.200 sources. « Environ 50.000 espèces sauvages sont utilisées (…) à travers la pêche, la cueillette, la coupe de bois et la collecte d’animaux terrestres au niveau mondial », dont 7.500 espèces de poissons et d’invertébrés aquatiques, 7.400 essences d’arbres ou encore 7.500 espèces d’amphibiens, reptiles, oiseaux et mammifères, détaille le rapport.
Les espèces sauvages sont aussi des sources importantes de revenus et d’emplois, souligne le rapport.
Mais la surexploitation touche 34% des stocks de poissons, met en danger 1.341 mammifères sauvages, ou encore 12% des espèces d’arbres sauvages.
Le trafic illégal d’espèces sauvages est considéré comme le troisième au monde derrière le trafic d’êtres humains et de drogues et pèse entre 69 et 199 milliards de dollars par an.
Des solutions pour protéger les espèces
Pourtant, des solutions existent. Les espèces sauvages sont mieux gérées par les peuples autochtones. « Ça passe souvent par des règles assez simples de réciprocité, de respect de la nature et des animaux et des tabous, des zones sacrées qui équivalent chez nous à des aires protégées », explique à l’AFP Jean-Marc Fromentin, chercheur à l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) et coauteur du rapport.
Pour « enrayer la perte de biodiversité et préserver la provision de services écosystémiques aux populations », il est, aux yeux de Mme Debruyne du SPW, « essentiel » que « tous les acteurs (…) redoublent d’efforts pour éviter l’utilisation, la récolte et le commerce non durables et illégaux d’espèces sauvages ».
Le rapport propose de réduire la pêche illégale, de supprimer les subventions néfastes ou encore de soutenir la petite pêche, de mettre en place des certifications pour l’exploitation forestière, d’avoir des systèmes de gouvernance efficaces et une redistribution équitable des bénéfices et des coûts liés aux espèces sauvages.
Il faut arriver à « une vision plus systémique que l’humanité fait partie de la nature », conclut le rapport.
Mieux mesurer l’impact humain
Pour le Dr Luc Janssens de Bisthoven, de l’IRSNB, ce nouveau rapport de l’IPBES comprend une « évaluation (…) incroyablement riche (…), essentielle afin d’avoir une vision holistique, équilibrée et inclusive de la nature ». Il estime que ce rapport « contribuera à transformer les modèles économiques actuels pour qu’ils prennent davantage en compte les coûts des externalités telles que la pollution, la dégradation de la biodiversité, les soins de santé et le changement climatique, et contribuera ainsi à construire un monde plus résilient et plus vert, plus respectueux de la vie et des limites planétaires ».
Sophie Gryseels, de l’IRSNB, ajoute qu’évaluer dans quelle mesure l’impact de l’exploitation des plantes, animaux et autres organismes est préjudiciable à la survie de l’espèce humaine « est une question très compliquée. L’impact dépend fortement du taux d’exploitation, il varie indubitablement beaucoup entre les espèces et les écosystèmes concernés, et il devrait sans conteste être contrebalancé par des effets positifs pour les personnes ». D’où l’intérêt d’une étude globale « pour évaluer en profondeur la situation actuelle, informer les décideurs politiques et identifier les lacunes dans les connaissances sur lesquelles les chercheurs devraient se concentrer à l’avenir ».
Ce rapport a été validé par des délégations des 139 pays membres de l’IPBES réunis à Bonn, en Allemagne. Il paraît quelques jours avant un autre opus consacré aux « valeurs et évaluation de la nature ». Ces deux rapports alimenteront les discussions à la COP15 biodiversité, jugée cruciale, qui se tiendra en décembre à Montréal et qui doit fixer un cadre pour protéger la nature et ses ressources au niveau mondial à horizon 2050.
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