La stérilisation séduit toujours plus: « Petite, je préférais jouer aux Playmobil qu’à la poupée »
De plus en plus de jeunes femmes sans enfants optent pour la stérilisation. Elles n’ont jamais ressenti l’envie d’être mère, et assument ce choix rarement bien accepté par l’entourage et la société.
«Je ne voulais pas être mère, je l’ai toujours su. Petite, je préférais jouer aux Playmobil qu’à la poupée. Les bébés n’ont jamais éveillé ma curiosité. D’ailleurs, je trouvais très étrange qu’on me propose de m’occuper d’un enfant fictif. Plus tard, à l’école, lorsque les discussions autour de la maternité ont commencé, j’éprouvais le même désintérêt. A 25 ans, j’ai commencé à sentir que mon corps était en demande – ce que certains appellent “l’horloge biologique” – mais mon cerveau, lui, continuait à trouver cela inconcevable. C’est à ce moment que j’ai entamé des démarches pour me faire stériliser.» Installée sur une banquette d’un établissement bruxellois à l’atmosphère ouatée, celle qui demande à se faire appeler Serge – « pour mettre un peu de légèreté et d’humour dans tout ça » – se remémore les grandes étapes de son cheminement. Dans quelques semaines, elle obtiendra ce qu’elle attend depuis dix ans et trois refus successifs: une salpingectomie bilatérale, soit l’ablation chirurgicale des deux trompes. L’une des méthodes permettant à une femme de devenir stérile. «Rien que d’y penser, j’éprouve déjà un sentiment de liberté», sourit-elle.
13 % des Belges entre 25 et 35 ans ne veulent pas d’enfant, selon une étude menée par la VUB en 2018.
N’ayant jamais accouché ni été enceinte, la jeune femme fait à la fois partie de celles que le corps médical désigne par les termes «nullipares» et «nulligestes». Mais aussi des 35 ans et moins, une catégorie de patientes de plus en plus présente dans les statistiques des opérations de stérilisation de l’hôpital Saint-Pierre, à Bruxelles. «La première que nous avons stérilisée avait consulté cinq gynécologues. Tous avaient refusé. Sa demande n’entrait pas dans les critères établis à l’époque, y compris chez nous, retrace Jean Vandromme, gynécologue et chef de clinique au service de gynécologie-obstétrique. J’ai écouté son argumentaire, analysé la manière dont elle avait été jugée de façon paternaliste ou maternaliste, et je me suis senti mal à l’idée de refuser. Une semaine après l’opération, je recevais une demande d’une deuxième patiente. Mon nom avait circulé.»
Depuis 2017, date de la première intervention, environ 250 demandes de stérilisation ont été examinées par l’équipe médicale de Saint-Pierre. Un chiffre élevé, si on tient compte de la crise sanitaire durant laquelle les opérations non urgentes ont été retardées ou suspendues. Dans cinquante cas, il s’agissait de femmes de moins de 35 ans, dans 38 cas de femmes âgées ou de plus de 35 ans. Parmi ces demandes, seules deux ont reçu une réponse négative, essentiellement pour des raisons de stabilité psychologique. Dans deux autres cas, il a été suggéré aux jeunes femmes d’observer un temps de réflexion. Elles ne se sont pas représentées par la suite.
Si la possibilité de stériliser des nullipares de moins de 35 ans ne fait plus débat au sein de l’hôpital, il n’en fut pas toujours ainsi. Après qu’un anesthésiste a refusé d’endormir une patiente qu’il jugeait trop jeune, il a été décidé, en concertation avec la direction et le comité d’éthique, de mettre en place un trajet de soins. Si elle veut passer sur la table d’opération, la patiente doit accepter de rencontrer un gynécologue, une infirmière sociale et une psychologue. L’objectif est double: s’assurer que la jeune femme a bien été informée sur tous les modes de contraception possibles, sur les implications de sa démarche et rassurer l’équipe médicale qui l’accompagne sur sa détermination. Bien que le trajet de soins ne soit pas une option, il n’est pas destiné à évaluer si la patiente a de bonnes raisons de demander la stérilisation, ni si elle n’est pas trop jeune pour le faire. Il est néanmoins facultatif pour les plus de 35 ans ayant déjà eu des enfants.
«Le dispositif a été pensé de manière à vérifier si les patientes sont au clair avec leur demande et à tranquilliser les médecins par rapport au fait qu’elles font ce choix en toute liberté, qu’il est pleinement assumé, clarifie Françoise Leroux, psychologue. Celles que je rencontre savent parfaitement que l’intervention est définitive et irréversible. Généralement, elles sont très déterminées.» Bien qu’elles s’y plient, le trajet de soins n’est pas toujours bien interprété par les candidates à la stérilisation. La plupart, en effet, avaient reçu un accueil tiède, pour ne pas dire glacial, de la part des médecins qu’elles avaient consultés. Tous estimaient qu’elles étaient trop jeunes au regard du caractère quasi irréversible de l’opération, qu’elles changeraient forcément d’avis, ou tout bonnement qu’une femme est faite pour porter des enfants.
Si elle veut passer sur la table d’opération, la patiente doit accepter un trajet de soins.
Cette impression de n’être ni écoutée ni prise au sérieux par le corps médical est un sentiment que Daniela (32 ans), opérée voici deux ans, avait ressenti chez le gynécologue qu’elle avait consulté pour se faire ôter son implant contraceptif en vue de sa future stérilisation. Celui-ci s’était montré très jugeant et peu agréable. «Il ne comprenait pas ma décision, disait que j’allais le regretter.» Echaudée par cette expérience, elle craignait, pendant son trajet de soins, de devoir se justifier une fois de plus, alors que depuis toujours, elle portait en elle cette volonté de ne pas être mère. Après en avoir discuté avec les membres de l’équipe, elle a toutefois compris le sens de leur démarche.
L’un des traits communs à nombre de ces jeunes femmes en quête de stérilisation est qu’elles sont très bien informées. Sur les modes de contraception, les actes chirurgicaux mais aussi les médecins susceptibles d’accéder ou non à leur demande. Autre trait commun à la plupart d’entre elles: elles ont rencontré de gros problèmes avec les autres moyens de contraception. Certaines en ont clairement bavé.
Des cycles horribles
Anne-Laure (31 ans), opérée à l’été 2023, ne supportait plus la pilule. Elle avait essayé le stérilet en cuivre, l’anneau et encore d’autres pilules, mais aucun moyen ne convenait. Elle était sujette à des sautes d’humeur, se sentait triste. Pendant quelques années, elle a vécu sans contraception ou en testant, avec son conjoint, les moyens de contraception masculine. Jusqu’au jour où elle est tombée enceinte. «Je savais que ça pouvait arriver. J’y étais préparée. Mais l’IVG, c’est quand même tout un processus. Moralement, je n’en retire rien de particulièrement traumatisant. Par contre, pour le corps, c’est difficile. A la suite de cette expérience, j’ai décidé de me lancer dans un parcours de stérilisation. Pour être tranquille avec ma contraception.»
Pas d’interruption volontaire de grossesse pour Daniela, mais deux dénis de grossesse dans son entourage proche. Elle-même, appuie-t-elle, est le fruit d’une grossesse non prévue sous contraception. Régulièrement prise de nausées et de maux de ventre, elle a testé les autres protections ; les effets secondaires étaient toujours très lourds. «Avec mon conjoint, on a discuté de la vasectomie. Mais je ne voulais pas lui imposer une telle opération. Je ne voulais pas qu’il soit privé d’une famille si un jour nous devions rompre et qu’il changeait d’avis. De mon côté, je n’avais pas envie de négocier avec un autre homme si cela se produisait. Si je l’ai fait, c’est donc avant tout pour moi.» Après sa stérilisation, Daniela s’est sentie mieux dans son corps. Plus légère.
Le phénomène de mode est une objection souvent entendue. Ce qui est surtout à la mode, c’est de critiquer les projets de vie des autres.
En plus de l’inconfort à l’idée d’avoir des enfants, les jeunes femmes rencontrées décrivent des cycles menstruels douloureux et irréguliers qui peuvent parfois handicaper leur vie personnelle et professionnelle et les conforter dans leur décision.
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Le manque de confiance en la fiabilité des moyens de contraception fait aussi partie du problème. D’autant que l’idée même d’être enceinte produit chez la plupart des nullipares un rejet, un sentiment de dégoût, voire même de terreur. Une «peur panique» d’être enceinte décrit l’une, de «porter quelqu’un en soi, un alien», formule une autre. Une phobie d’accoucher, d’être liée à jamais à un autre être, est aussi ce que décrit Serge. «Même l’idée qu’un animal puisse dépendre de moi me pèse», insiste la jeune femme.
La tocophobie – la peur pathologique de la grossesse et de l’accouchement – a fait l’objet de peu d’études scientifiques. En 2017, des chercheurs ont toutefois estimé qu’elle concernerait 14% des femmes. Une autre étude, publiée par la Fédération nordique des sociétés d’obstétrique et de gynécologie, montre que la tocophobie est en progression depuis les années 2000, notamment en raison de l’effet anxiogène induit par les réseaux sociaux. Bien sûr, cette anxiété liée à la métamorphose du corps et à la douleur de l’accouchement disparaît ou est surmontée par la plupart des femmes, le désir d’enfant prenant le dessus. Néanmoins, chez d’autres, elle peut représenter un réel blocage.
Journaliste spécialisée en santé, Laurène Levy a publié Mes trompes, mon choix (Le passager clandestin, 2023, 208 p.), ouvrage dans lequel elle retrace l’histoire de la stérilisation féminine et interroge sur les raisons de ce tabou. L’argument d’une contraception contraignante et trop peu fiable ne l’étonne pas. «Chez ces femmes qui ne veulent pas avoir d’enfant, la stérilisation permet de s’affranchir de ces contraintes et de toute la charge mentale autour de la contraception. Et de disposer pleinement de leur corps. Il est intéressant de constater, fait remarquer l’autrice, que lorsqu’un homme fait le choix de la vasectomie, il est considéré comme un héros car il prend en charge la contraception. Quand une femme opte pour la stérilisation, on estime qu’elle ne sait pas ce qu’elle fait, qu’elle a besoin d’être conseillée. Son choix sera toujours moins légitime. D’un homme de 50 ans qui n’a pas eu d’enfant, on dira d’ailleurs qu’il a vécu sa vie, d’une femme qu’elle est passée à côté de quelque chose. Or, ce n’est pas parce qu’une femme a un utérus qu’elle veut forcément le remplir.»
Ces dernières années, des communautés formées autour du mouvement «Childfree» sont apparues sur les réseaux sociaux. On y parle du non-désir de faire un enfant, évidemment, mais aussi de féminisme et de patriarcat. Les récentes publications de plusieurs ouvrages, celui de Laurène Levy mais aussi de Mona Chollet (Sorcières: la puissance invaincue des femmes), Fiona Schmidt (Lâchez-nous l’utérus), Hélène Gateau (Pourquoi j’ai choisi d’avoir un chien (et pas un enfant)) ou encore le médecin et auteur Martin Winckler (Les Brutes en blanc, sur les violences du monde médical) ont permis de lever le tabou et de porter la parole de ces femmes au-delà des réseaux sociaux.
Nous n’avons pas de recul sur les regrets. On ne pourra se faire une idée que dans quinze ou vingt ans.
Pour la planète
Encore faut-il que cette parole puisse être entendue. De ce qu’ont observé Françoise Leroux, en consultation, et Laurène Levy, lors de son enquête, d’autres motifs que le simple fait de ne pas vouloir d’enfant sont encore régulièrement invoqués par les candidates à la stérilisation. Souvent par peur d’être jugées ou que leur demande soit rejetée. La surpopulation mondiale, la situation économique, l’écoanxiété ou la crainte de faire un enfant «dans un monde pareil» sont les classiques du genre.
«On sent bien que certaines patientes font tout pour nous convaincre qu’elles ont de bonnes raisons de demander la stérilisation. En grattant un peu, on s’aperçoit souvent qu’il ne s’agit que de motivations secondaires, voire que ces arguments servent de paravent parce qu’ils paraissent plus acceptables pour la société», expose la psychologue de Saint-Pierre.
L’argument climatique est d’ailleurs celui évoqué par Serge quand elle se sent mise sur le gril. «Ça permet de mettre fin à la conversation et de passer à autre chose.» Pour Daniela, la crise sanitaire a tout de même été un déclencheur. Certes, elle n’a jamais voulu d’enfant, mais la pandémie a changé son regard sur les individus «et sur ce monde très dur dans lequel on vit».
Quel que soit leur poids réel dans la prise de décision, ces arguments peuvent être interprétés comme les manifestations d’un phénomène de mode porté par une génération de féministes ou d’écoanxieuses. «C’est certain que les enjeux sociétaux au sens large, y compris climatiques, géopolitiques, ne me réjouissent pas, confirme Anne-Laure. Toutefois, je pense que si j’avais un désir d’enfant, cela ne m’arrêterait pas. Mais il est vrai que cet argument anime malgré tout ma décision. Peut-être y a-t-il aussi une dimension politique. Quand j’informe mes amis sur la stérilisation contraceptive, c’est parce que j’ai la volonté de sensibiliser à une forme de libération de la parole, des corps et peut-être aussi à une dédramatisation de ce que représente la maternité. Je ne suis pas fondamentalement antinataliste. En tout cas, je ne voudrais pas que mes propos soient interprétés comme tels. Si j’avais des enfants, ces interrogations me tarauderaient aussi.»
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«Le phénomène de mode est une objection que j’entends souvent. Ce qui est surtout très à la mode, c’est de critiquer les projets de vie des autres, estime Françoise Leroux. Il y a toujours eu des femmes et des hommes qui ne sont pas habités par un désir d’enfant. Ce qui est différent aujourd’hui, c’est qu’on peut nommer les choses, y compris le regret. Il y a quelques siècles, les femmes qui n’avaient pas de désir d’enfant rentraient dans les ordres ou s’obligeaient. Aujourd’hui, ça fait partie des libertés personnelles acquises. Or, on constate, notamment dans les médias, que le débat reste très crispé.»
Stérilisation: «Tu regretteras»
Dorénavant, lorsqu’elle reçoit une patiente pour une stérilisation, Françoise Leroux rappelle que le trajet de soins est un dispositif d’accompagnement et non une évaluation qu’il faut réussir. Que le simple fait de dire «je ne veux pas d’enfant» et «je n’ai plus envie de devoir gérer ma contraception» est tout à fait acceptable.
Pas pour tout le monde. Toutes les femmes que nous avons rencontrées ont un jour ou l’autre été blâmées. Par le corps médical, comme on le sait, mais aussi par leur entourage. «Tu regretteras», «c’est parce que tu n’as pas encore trouvé le bon», «qu’est-ce que tu feras de ta vie, alors», «pense à celles qui ne peuvent pas en avoir», «et qui va payer nos pensions?». Certaines, heureusement, ont aussi pu compter sur le soutien inconditionnel de leur conjoint et de leurs proches.
Si la question de l’usage, ou du non-usage, par les femmes de leur utérus déchaîne autant les passions dans nos sociétés, c’est parce qu’elle reste étroitement liée à la domination masculine, estime Laurène Levy. Limiter l’accès à la contraception permet en effet de garder un certain contrôle sur le corps des femmes. «La France, par exemple, est un pays extrêmement nataliste. C’est quelque chose dont les politiques sont très fiers. Dans un contexte de difficultés liées au financement des retraites, les femmes sont encouragées à faire des enfants.» Et à bien les élever. «Il existe une série d’injonctions autour du projet parental, ajoute l’autrice. Une femme qui se lance dans la parentalité doit tout réussir: sa relation avec ses enfants mais aussi sa carrière et sa vie sociale. Elle doit, en outre, être une bonne amie, une bonne amante. Ça fait beaucoup de cases à cocher. C’est vertigineux.»
Raison pour laquelle de plus en plus de femmes reportent la maternité au profit de leur carrière ou de quelques années de «liberté». Au risque, parfois, de louper le coche et de regretter. Le regret, c’est la question à laquelle sont confrontées toutes celles qui ne veulent pas d’enfant. Ni aujourd’hui ni demain. Carrière ou pas. «Garantir qu’il n’y aura pas de regret est impossible, admet Françoise Leroux. Lors du trajet de soins, nous posons évidemment la question aux patientes: et si en raison d’une rencontre ou d’un événement de votre vie, un désir d’enfant naissait en vous? La grande majorité répondent qu’elles ne se voient pas changer d’avis mais acceptent de jouer le jeu et de se projeter dans cette situation. Généralement, elles pensent à l’adoption ou à être famille d’accueil. Pas du tout à la procréation médicalement assistée.»
Ce n’est pas à la société de décider et d’assumer ça pour nous.
«En ce qui concerne les regrets, nous n’avons pas assez de recul, concède le Dr Jean Vandromme. On ne pourra se faire une idée que dans quinze ou vingt ans. Et si le trajet de soins est avant tout un moment de discussion et d’échange, il sert aussi à s’assurer que la patiente est capable de se projeter.»
«On pose la question du regret de ne pas avoir d’enfant. Moi, j’observe aussi dans mon entourage des parents frustrés. Parce que c’est difficile. C’est fatigant. Aujourd’hui, certaines femmes osent affirmer qu’elles regrettent d’avoir eu des enfants», fait remarquer Serge. Anne-Laure, elle, n’exclut pas définitivement de fonder une famille. Les chances de revenir en arrière après l’opération étant minces, elle sait qu’elle devrait sans doute compter sur un coup de pouce de la médecine. «Il est important de déconstruire l’aspect définitif de la stérilisation. Ça permettrait sans doute d’apaiser les consciences. Pour le reste, ce n’est pas à la société de décider et d’assumer ça pour nous.»
Les différentes méthodes de stérilisation
L’occlusion des trompes. La méthode est très efficace et les échecs, liés à une mauvaise pose ou des clips défectueux, sont rares. Elle n’est que partiellement réversible. Pour rétablir le fonctionnement des trompes, il faut passer par une opération relativement compliquée. Dans certains cas, une fécondation in vitro (FIV) ou une procréation médicalement assistée (PMA) sera jugée plus facile qu’un retrait des clips.
La salpingectomie. L’opération consiste à retirer les trompes. L’opération est irréversible et l’échec est pratiquement impossible. Cette intervention est celle demandée par la grande majorité des patientes. La salpingectomie (comme la pose de clips) n’a pas d’incidence sur le rythme naturel du corps.
L’ablation de l’utérus, dans son entièreté ou en partie. La technique n’est utilisée que dans des cas très rares, en raison de douleurs particulièrement intenses et handicapantes pour la patiente. Forcément irréversible, la méthode provoque la disparition des règles mais n’a pas d’effet sur le plan hormonal.
Lettre à l’enfant
Lorsque les stérilisations de nullipares ont commencé à Saint-Pierre, il était demandé aux patientes d’écrire une lettre à l’enfant qu’elles n’auraient pas. Ce qui n’était pas toujours bien vécu, ni accepté. Certaines se sentent obligées de se projeter dans une parentalité dont elles ne veulent pas. «Cette lettre, ça ne va pas du tout, juge Serge. C’est extrêmement violent. Il a vraiment fallu que je prenne du recul par rapport à cet exercice.»
«J’étais très stressée avant les rendez-vous avec le gynécologue, l’infirmière sociale et la psy. Après, j’ai compris que c’était pour retracer mon historique, en l’occurrence mon errance médicale dans la recherche d’une contraception efficace, se remémore Anne-Laure. Puis on m’a effectivement demandé de produire un texte à destination de l’enfant que je n’aurai pas. C’était compliqué pour moi, d’autant que je n’exclus pas tout à fait de fonder une famille. J’ai donc préféré écrire à mon moi futur qui, un jour peut-être, voudrait des enfants, pour lui expliquer pourquoi j’ai choisi la stérilisation et dans quel état d’esprit je suis aujourd’hui.»
Le malaise autour de cette lettre a été compris par les membres de l’équipe de l’hôpital Saint-Pierre. Malgré tout, il leur semblait important qu’elles puissent répondre de leur choix auprès de leur entourage, d’exprimer ce qu’elles ressentent et de garder une trace pour le futur. Dorénavant, le choix du moyen d’expression est laissé aux patientes. Serge, artiste, a préféré créer un objet symbolisant la gestation. Pas d’un enfant mais de son projet de stérilisation. Elle a en outre planifié une non-baby shower. Pour marquer le coup.
Stérilisation voulue ou forcée
En France, la stérilisation masculine et féminine à visée contraceptive est autorisée sans condition depuis 2001. Avant cela, le ou la candidate devait pouvoir avancer des raisons médicales valables. En Belgique, la loi ne prévoit aucune autre condition que la majorité et, bien entendu, le consentement. A ce sujet, la journaliste et autrice Laurène Levy fait remarquer que pendant que les Françaises militaient dans la rue pour l’accès à la contraception et à l’avortement, des femmes racisées se faisaient stériliser à leur insu à La Réunion, dont la population a quasiment doublé entre 1945 et 1970.
Entre les années 1960 et 1970, des milliers d’avortements ont ainsi été pratiqués sans le consentement des patientes dans une clinique de l’île, dans le but de réduire la densité de cette population pauvre. «Il est intéressant d’examiner la manière dont on a contrôlé l’évolution démographique d’un pays ou d’une ethnie à travers les époques. En Chine ou en Inde, par exemple, on utilise ce système de contrôle depuis les années 1950. Tout comme au Canada et en Amérique du Sud.»
Aujourd’hui encore, plusieurs pays pratiquent des campagnes de stérilisation forcée sur certaines ethnies ou à partir d’un certain nombre d’enfants, alerte Laurène Levy, mentionnant le cas de femmes autochtones au Canada ou de Ouïghours en Chine. Des témoignages font en effet mention de menaces exercées sur les femmes ouïghours qui refuseraient de se faire stériliser, ou d’implantation d’un stérilet sans leur consentement. Des accusations que les autorités chinoises réfutent. Au Canada, la stérilisation forcée de femmes autochtones aurait toujours cours. C’est ce qu’affirme un comité sénatorial des droits humains qui a enquêté sur le sujet. En Inde, enfin, des politiques publiques incitatives ont été mises en place pour limiter la croissance démographique. Selon une étude nationale menée entre 2019 et 2021 par le gouvernement indien, 37,9% des femmes mariées et en âge de procréer sont stérilisées, soit plus d’une sur trois.
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