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La solitude, une épidémie silencieuse: « C’est aussi une histoire de riches et de pauvres »

Ann Peuteman Ann Peuteman est rédactrice pour Knack

Près de la moitié des Belges se sentent parfois seuls, et il ne s’agit pas seulement de personnes âgées qui ont perdu leur partenaire. « La solitude peut toucher tout le monde, mais certaines personnes sont plus à risque que d’autres », explique la gérontologue Els Messelis.

46 % des Belges se sentent parfois ou souvent seuls. Et pas uniquement des personnes âgées qui ont perdu leur partenaire, comme on le pense souvent. « La solitude a plusieurs visages, explique la gérontologue Els Messelis. Ce n’est pas non plus parce que l’on est célibataire et que l’on vit seul que l’on se sent forcément seul. Il y a aussi des gens qui choisissent consciemment une vie isolée et qui s’en contentent. À l’inverse, on peut avoir beaucoup d’amis autour de soi et se sentir quand même seul ».

Dans son nouveau livre Verbonden in eenzaamheid (non traduit en français), Els Messelis présente neuf personnes très différentes qui se sentent seules chacune à leur manière. D’une veuve qui aspire à une nouvelle relation à un sexagénaire dépressif, en passant par un expert de la solitude. La plus jeune a 25 ans, la plus âgée 97.

La solutide peut-elle toucher n’importe qui ?

Els Messelis : En soi, oui, mais certaines personnes sont plus à risque que d’autres. Celles et ceux qui n’ont pas de partenaire, par exemple, peuvent se sentir plus rapidement seuls. Mais bien sûr, cela ne signifie pas que tous les célibataires sont nécessairement seuls ou que vous ne pouvez pas vous sentir seul si vous êtes en couple. Les personnes sans enfants sont également plus à risque, surtout à un âge avancé. Il y a aussi beaucoup de personnes âgées qui ont des enfants mais qui ne les voient pas beaucoup parce qu’ils vivent loin d’eux.

Le risque de solitude augmente-t-il avec l’âge ?

Pas vraiment. La solitude touche tous les âges. Cependant, elle est plus fréquente chez les plus jeunes et les plus âgés. Les personnes âgées ont souvent des problèmes de santé et sont moins mobiles. Par conséquent, elles sont souvent confinées à la maison et ont donc moins de contacts sociaux. Les causes de la grande solitude chez les jeunes sont très diverses. Certains souffrent de sentiments dépressifs et ont l’impression qu’il existe une distance infranchissable entre eux et les autres. Le fait qu’une grande partie de leur vie se déroule en ligne y contribue probablement. Par exemple, j’ai raconté l’histoire d’une jeune femme de 25 ans qui travaille souvent à domicile via un ordinateur et dont la vie sociale se déroule principalement en ligne. Aujourd’hui, je crains que ce ne soit le cas de nombreux jeunes.

Si vous avez l’impression d’être seul plus souvent qu’à votre tour, ne vous enfermez pas. Allez vous promener, rencontrez des amis, faites quelque chose.

Els Messelis

Les femmes sont également plus susceptibles de se sentir seules que les hommes.

Effectivement. Cependant, les femmes ont souvent des contacts sociaux plus intenses, qu’elles entretiennent mieux que les hommes. Beaucoup d’entre elles sont en quelque sorte le ciment de leur famille ou de leur cercle d’amis. Si elles ont néanmoins plus de chances de se retrouver seules, c’est parce qu’elles vivent en moyenne plus longtemps. Elles sont donc plus susceptibles de devoir vivre sans partenaire à un âge avancé. À partir de 65 ans, les femmes célibataires sont nettement plus nombreuses que les hommes, et cette différence s’accentue à partir de 80 ans.

La situation financière joue-t-elle un rôle ?

La solitude est certainement aussi une histoire de riches et de pauvres. Plus vous avez de problèmes financiers, plus vous risquez d’être confronté à la solitude émotionnelle et sociale. Si vous êtes pauvre, il est plus difficile de maintenir une vie sociale. Par exemple, vous ne pouvez pas vous permettre de sortir avec vos amis au pub ou pour dîner et vous évitez les fêtes parce que vous devez apporter un cadeau. Par honte, les gens inventent souvent une autre explication. « Je préfère rester à la maison dans mon fauteuil », disent-ils. En outre, il est également plus difficile de trouver un partenaire lorsque l’on a des problèmes d’argent. Autrefois, les sites de rencontre étaient gratuits, mais aujourd’hui, ils sont presque toujours payants. Les initiatives comme le speed dating coûtent également de l’argent. Je connais une femme qui aimerait bien rencontrer quelqu’un de cette manière, mais qui n’en a pas les moyens.

Les personnes issues de l’immigration souffriraient également davantage de la solitude. Pourquoi ?

Cela est dû en partie à des facteurs socio-économiques, mais aussi à la migration elle-même. Ils ont dû laisser leur famille et leurs amis derrière eux et ont souvent du mal à s’intégrer ici. Comme ils ne parlent souvent pas encore bien la langue et qu’ils sont confrontés à une culture différente et à d’autres normes et valeurs, il n’est pas facile de nouer de nouvelles relations. Il en va de même pour les Belges qui émigrent dans un pays chaud comme l’Espagne après leur retraite. Ils veulent profiter de leurs vieux jours, mais certains se sentent vraiment seuls. Bien sûr, cela dépend aussi beaucoup de votre personnalité. Si vous manquez de confiance en vous, d’estime de soi ou de compétences sociales, vous risquez davantage d’être isolé socialement et donc de vous sentir seul.

Votre livre montre que les problèmes de santé physique ou mentale sont également un facteur de risque.

C’est certainement le cas. Par exemple, je connais un septuagénaire qui souffre d’une grave dépression. En conséquence, il a à peine assez de force et d’énergie pour entretenir des contacts sociaux. Bien qu’il soit marié depuis des années, il se sent toujours très seul. On entend souvent cela. On peut aussi se sentir seul dans une relation. Le problème est que les gens n’en parlent généralement pas. Il n’est pas non plus évident d’en parler à son partenaire. Pourtant, il est bon d’exprimer ce sentiment. Dans certains cas, cela peut conduire à une rupture, mais cela peut aussi inciter à s’attaquer au problème et à suivre une thérapie de couple, par exemple.

C’est ce que vous conseillez aux personnes seules : en parler ?

Beaucoup de gens qui se sentent seuls ne le disent pas, cela reste un tabou. C’est précisément pour cette raison que j’ai écrit leurs histoires dans mon livre. Il est également important de veiller à ce que la solitude ne devienne pas chronique. Sinon, vous risquez de tomber dans une spirale négative dont il peut être très difficile de sortir. Si vous avez l’impression d’être seul plus souvent que de raison, ne vous enfermez pas. Sortez. Allez vous promener, rencontrez des amis, faites quelque chose. Si vous n’arrivez pas à sortir seul, demandez de l’aide à un professionnel. Il y a vraiment un moyen de s’en sortir. Il y a des gens qui, face à leur solitude, agissent ou deviennent très créatifs.

Lorsqu’une personne admet qu’elle se sent seule, son entourage peur parfois écarter son ressenti d’un revers de main.  » Mais enfin, tu as beaucoup d’amis ! »

Ce n’est évidemment pas la réponse idéale. Si une personne fait part de sa solitude, il est important de la prendre au sérieux. Souvent, elle a surtout besoin d’une oreille attentive. Elle veut être entendue sans jugement immédiat.

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