Mélanie Geelkens

La sacrée paire de Mélanie Geelkens | Pourquoi les femmes ne sont-elles jamais riches?

Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Plus riche que les Rothschild. Un patrimoine plus dodu que celui des Peugeot. Un chiffre d’affaires plus prospère que celui de Danone, et même près de deux fois supérieur à celui de Chanel. Bienvenue chez Sonepar! Sone quoi? Mais enfin! «La success-story la plus incroyable du capitalisme français», selon un portrait consacré à l’entreprise par Le Point le 15 septembre dernier. Trente-deux milliards de chiffre d’affaires, neuf milliards de patrimoine, 75 millions de dividendes versés aux actionnaires en 2022… Juteux business, la distribution de matériel électrique. Dont, pourtant, nul ne parle.

Les femmes sont là pour gérer la pauvreté, pas la richesse.

Sa patronne ne devrait pourtant pas passer inaperçue. Marie-Christine Coisne-Roquette, «la femme qui valait 32 milliards», titrait le magazine français. Jamais une fille n’avait gouverné cette entreprise familiale (fondée en 1867) avant elle. Et rares sont celles qui dirigent tout court. Titiou Lecoq a fait les comptes dans son ouvrage Le Couple et l’argent (L’Iconoclaste, 2022): trois directrices générales à peine dans le CAC 40, six dames parmi les 43 milliardaires français, 91% de messieurs parmi les mille plus hauts salaires dans l’Hexagone. A l’échelon mondial: 12% de femmes parmi les 2 668 milliardaires, selon le classement Forbes 2022. Et «l’écrasante majorité n’ont pas créé elles-mêmes d’entreprise, écrit l’autrice. Elles ont hérité de leur fortune en étant veuves ou descendantes». Exactement comme Marie-Christine Coisne-Roquette. Qui a dû lutter contre les considérations méprisantes de vieux schnocks qui ne comprenaient pas pourquoi son père l’avait adoubée, elle, «petite» avocate inscrite aux barreaux de Paris et New York.

Pourquoi les femmes ne sont-elles jamais riches? Du moins, en ne comptant pas sur l’argent de papa et de papy? Bon, ne pas avoir le droit d’entrer à la Bourse de Paris et d’y spéculer avant 1967 n’a sans doute pas aidé. Ni le fait d’accéder plus difficilement à des financements. «On dit souvent que les cheffes d’entreprise n’osent pas se lancer. Ce n’est pas seulement ça, détaillait Titiou Lecoq lors d’une interview réalisée fin 2022. Il y a quelques années, des Américaines – ne recevant aucun retour des banques sollicitées pour monter leur boîte – s’étaient créé un associé fictif masculin. Et les réponses avaient commencé à affluer.»

Dans son livre, Titiou Lecoq décortique page après page tous les biais de l’éducation financière. Depuis l’argent de poche (les filles reçoivent moins que les garçons en espèces sonnantes et trébuchantes, ce qui les placerait dès le plus jeune âge en position de demandeuses/dépendantes) jusqu’à l’héritage, où l’aîné serait subtilement souvent favorisé pour autant qu’il soit mâle. Bref, personne n’apprend aux demoiselles à gérer leurs finances. Et nul ne leur donne, par conséquent, l’ambition d’être riches.

Car l’argent, le vrai (c’est-à-dire pas celui du ménage, trop terre à terre), c’est pour les grands messieurs. Prière à ces dames de se charger plutôt des dépenses courantes. Les femmes sont là pour gérer la pauvreté, pas la richesse, avance Titiou Lecoq. «Dans les classes populaires, ce sont elles qui géreront le budget. Pendant longtemps, les sociologues ont interprété ça comme un signe de pouvoir. Mais gérer le manque, ce n’est pas du tout un pouvoir! Cela les met dans des postures de sacrifice. Elles seront les premières à savoir qu’il n’y a pas assez à manger et qu’elles devront sauter un repas.» Tant que l’assiette du mari est, elle, bien pleine…

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