Mélanie Geelkens
La sacrée paire de Mélanie Geelkens | Inceste: le grand méchant pédophile est (souvent) un parent
Comme on apprend aux filles à avoir peur des inconnus dans la rue, on apprend aux enfants à se méfier des étrangers mal intentionnés. Pourtant, 80% des abus sur mineurs ont lieu dans le cercle familial. Un dérangeant tabou.
«Attention, parents! Les pédophiles ne rôdent plus seulement dans les plaines de jeux réelles, mais désormais aussi dans les espaces de jeu virtuels.» Ça fait peur. Et c’était sans doute un peu le but du message de Child Focus (résumé ici en substance), le 20 décembre, en présentant son jeu en ligne pour «mettre game over les prédateurs»: effrayer pour mieux sensibiliser. Evidemment nécessaire. Ça fout les jetons, que «des personnes mal intentionnées tentent d’approcher les enfants via des plateformes de jeux en ligne avec l’intention de les manipuler voire de les abuser sexuellement».
Mais ce qui devrait encore plus faire flipper, c’est cette réalité: ce n’est d’abord pas des étrangers que les gosses devraient se méfier. Mais de leur papa, leur papy, leur tonton, leur cousin, leur beau-père… Effarant? Pourtant corroboré par les résultats du sondage réalisé, en 2020, à l’initiative de l’asbl Face à l’inceste, qui révélaient non seulement qu’un Français sur dix déclarait avoir été victime de violences sexuelles durant son enfance (6,7 millions de personnes, tout de même), mais aussi que dans 80% des cas, celles-ci avaient été perpétrées dans le cercle familial. Pétrifiant. Et dérangeant le fait qu’il soit plus simple de concentrer les efforts de sensibilisation sur les 20% restants. Pareil pour les viols: de nombreuses études ont démontré que, neuf fois sur dix, la victime connaissait son agresseur (un parent, un mari, un rencard, un ami…). Les filles continuent pourtant d’être d’abord éduquées à craindre l’inconnu cagoulé qui surgira d’une ruelle sombre.
Evidemment, c’est épouvantable d’admettre que le danger vient surtout de ceux qu’on aime, en qui on a confiance. Plus simple de se taire. Ou nier.
Evidemment, c’est épouvantable d’admettre que le danger vient surtout de ceux qu’on aime, en qui on a confiance. Plus simple de se taire. Ou nier. Comme dans le documentaire Le Divorce de mes marrants (actuellement disponible sur Auvio), exploration autobiographique filmée. La réalisatrice Romy Trajman prend le thé avec sa grand-mère, tranquille, lorsque celle-ci lâche (à propos de sa fille, concernant son mari): «Comment on appelle, le mot? Je ne retombe plus dessus… Un pédophile. Elle l’a accusé d’être un pédophile. C’est terrible, ça, pour un homme […] Non, non, il ne l’a jamais touchée. C’est un homme qui me touchait à peine moi, comment il aurait touché ses enfants!»
«Pas de ça chez nous», «On ne voit que ça dans le fin fond de l’Ardenne!»… Le type de petites phrases que Fabienne Glowacz, psychologue et chargée de cours à l’ULiège, entendait en boucle après la publication, dans les années 1980, de la première étude scientifique en Belgique sur les familles confrontées à l’inceste. Interviewée en 2019, elle aimait rappeler que les tabous cèdent – certes lentement – mais que la proportion de faits reste semblable, aujourd’hui comme hier: en moyenne, une femme sur cinq a connu des abus sexuels durant son enfance. Révulsant.
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Autant de victimes, ça signifie autant d’auteurs. En très grande majorité des hommes: c’est un fait, pas une attaque. «Les personnes qui incestent ne le font pas parce qu’elles ont des « penchants pédophiles » ou parce qu’elles sont malades, ou parce qu’elles sont des monstres. Elles le font parce que le corps des enfants est le plus facile à dominer», écrit Iris Brey dans La Culture de l’inceste (Seuil, 2022, 228 p.). Selon elle, il s’agit de penser l’inceste «en termes culturels et non individuels, non pas comme une exception pathologique, mais comme une pratique inscrite dans la norme qui la rend possible en la tolérant, voire en l’encourageant». Terrifiant. Comme la réalité l’est souvent.
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