Mélanie Geelkens
La sacrée paire de Mélanie Geelkens | Comment les films «poussent à accepter des relations dignes du cauchemar»
Pourquoi les femmes, victimes du patriarcat, en viennent paradoxalement à désirer la violence? Pour l’autrice française Chloé Thibaud, la réponse est à chercher du côté des films et séries.
A l’école primaire, comme toutes les gamines de son âge, Chloé Thibaud avait un amoureux. Plus exactement: elle était amoureuse. D’un petit con qui la frappait au point qu’elle en a perdu plusieurs dents. Ado, elle tombait in love de bad boys et, adulte, elle fut victime de violences conjugales. «Logiquement», écrit la journaliste française dans son nouvel ouvrage Désirer la violence. Logiquement, c’est-à-dire à cause de ses «névroses personnelles et familiales». Qui toutefois, enchaîne-t-elle, «ne peuvent justifier à elles seules cet attrait pour la passion destructrice».
Pourquoi les femmes désirent-elles, souvent, ce qui leur fait du mal? Pour l’autrice Chloé Thibaud, c’est la faute à la télévision, au cinéma et aux séries.
Quoi d’autre, alors? Pourquoi, de fait, les merdeux se révèlent-ils toujours les plus populaires dans les cours de récré? Pourquoi même certaines féministes, lorsqu’elles sont à quatre pattes pour autre chose que ramasser un objet perdu sous l’armoire, rosissent-elles d’émoi lorsqu’elles ramassent une tape(tte)? Pourquoi ce tiers d’utilisatrices de Pornhub (un pourcentage en hausse) humidifient-elles leurs dessous en reluquant des actrices (exploitées, violentées) se faire éjaculer en pleine face?
Bref: pourquoi les femmes désirent-elles, souvent, ce qui leur fait du mal? Pour Chloé Thibaud, c’est la faute de la télévision, du cinéma et des séries (l’autrice aurait aussi pu s’épancher sur la musique, depuis Sardou, ce pauvre chou perdu dans des villes de grande solitude, qui a envie «de violer des femmes», jusqu’à Johnny qui beugle sans sourciller qu’il a buté sa meuf, «pour la garder»).
Bien sûr, «nous ne sommes pas des êtres passifs devant une œuvre déroulée sous nos yeux», dixit Iris Brey dans son livre Le Regard féminin. Une révolution à l’écran (éd. de l’Olivier, 2020). Mais à force d’en bouffer, des scénarios érotisant la violence, ça finit forcément par laisser un petit goût en bouche.
Pas désagréable, ce petit goût. C’est ça qui est vicieux. Toutes ces comédies, ces grosses productions, souvent ça passe: c’est drôle, prenant, divertissant. Mais lorsqu’elles sont observées comme Chloé Thibaud l’a fait, ce fumet commence à foutre la gerbe. L’autrice raconte même que la rédaction de son essai l’a fait «plonger dans un état de mal-être assez intense».
En revoyant Grease et la scène où Danny pelote le sein de Sandy alors qu’ils regardent un film dans un drive-in. Ou La Boum («l’une des banalisations d’agression les plus graves de la fiction française»), lorsque tous ces ados se retrouvent au ciné et qu’un gars fait un trou dans son popcorn pour y placer son sexe, puis invite Sophie Marceau à y plonger la main. Plus récent: Twilight. Ou la normalisation du harcèlement: le vampire passe son temps à surveiller Kristen Stewart par la fenêtre pendant qu’elle roupille. L’ouvrage reprend également une longue liste de longs métrages… où les héroïnes se font gifler. Cent trente-quatre occurrences répertoriées (et c’est loin d’être exhaustif), réalisées pour 130 d’entre elles par des hommes. La liste des œuvres qui mettent en scène un viol doit être tout aussi vertigineuse…
«En grandissant avec une majorité de personnages masculins à l’écran qui se comportent négativement avec les femmes, pour peu que leur frère et leur père ne proposent pas vraiment mieux à la maison, les jeunes garçons et filles seront plus enclins à imiter ou accepter ces attitudes», affirme l’autrice. Qui conclut: «C’est terrifiant, de me rendre compte que les couples de cinéma qui m’ont fait rêver sont les mêmes qui m’ont poussée à accepter des relations dignes du cauchemar.» Dans la vraie vie, jamais de happy end…
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici