La lithothérapie, foutaise ou vertueuse? «Les pierres reviennent à la mode dès qu’une société tombe encore plus dans le capitalisme»
La science répète qu’ils n’ont pas de vertus, mais minéraux et pierres dites précieuses sont malgré tout très tendance. Peut-être parce qu’à côté de ceux qui s’imprègnent de leurs énergies, d’autres trouvent leur compte en étudiant la matière ou en chinant une roche pour leur salon.
«Même si la porte est fermée, le magasin reste ouvert.» La formule semble tellement logique qu’elle en devient presque alambiquée, mais elle en dit long sur l’élévation qui imprègne World of Nature, une boutique spécialisée en développement personnel et spirituel, blottie dans le centre piétonnier de Namur. A l’intérieur, posés côte à côte sur de longues tables en bois, plusieurs dizaines de boîtes transparentes laissent resplendir des pierres rondes, lisses, fluorescentes, de couleurs différentes. Il y a là du jaspe rouge, de la pierre de soleil, de l’astrophyllite… Chaque minéral dispose d’un écriteau qui expose ses prétendues vertus. L’un permettrait de retrouver la stabilité, l’autre agirait plutôt sur la rigueur tandis qu’un troisième protégerait l’intégrité. «L’idéal est de porter ces pierres à même le corps, conseille une vendeuse, accompagnée par une musique de guitare douce, presque méditative. Il vaut mieux éviter d’exposer les pierres au soleil pour qu’elles ne perdent pas leur couleur et tous les deux ou trois mois, il faut les recharger: une heure dans l’eau, une journée dans la terre.» A ses côtés, un collègue assemble des bracelets de pierres qu’il s’apprête à exposer dans une immense vitrine remplie de bagues, colliers et boucles d’oreille sertis de ces mêmes pierres précieuses, dont les propriétés serviraient le bien-être personnel.
C’est en tout cas le propos de la lithothérapie, cette pratique de médecine non conventionnelle, qui base son étude sur l’influence des vibrations émises par les cristaux sur l’organisme humain. Leurs ondes pourraient ainsi entrer en contact avec le champ électromagnétique de l’être humain pour atténuer certains de ses maux. Popularisées par le mouvement New Age dans les années 1970, ces croyances dans les vertus des pierres connaissent un nouvel âge d’or depuis le confinement et grâce à l’avènement du now age, cette forme de retour aux sources, mais adapté au présent. Pourtant, aucun pouvoir n’a jusqu’ici été prouvé scientifiquement. «Hormis la radioactivité, il n’existe certainement pas de propriétés vibratoires, précise Corentin Caudron, volcanologue à l’ULB. Les minéraux sont inorganiques, ils ne véhiculent donc pas d’énergie de manière naturelle.» S’il concède que très peu de recherches ont effectivement été menées sur le sujet, le scientifique ne voit de toute façon pas trop l’intérêt de consacrer des financements à cette thématique.
Un bouclier de protection
Pour Corentin Caudron, il n’y a pas de doute: une bonne partie de l’engouement actuel pour les minéraux est dû au climat de remise en question d’éléments acquis comme les sciences exactes. Il résulterait aussi de réactions à certains scandales liés à l’industrie pharmaceutique, de cette aspiration à épouser des modes de vie plus équilibrés, mais doit aussi beaucoup aux réseaux sociaux. Plusieurs stars comme Gwyneth Paltrow et Victoria Beckham s’affichent régulièrement avec une pierre de jade ou un crâne de cristal, tandis que les vidéos estampillées #lithotherapie cumulent des millions de vues sur TikTok. «Les jeunes générations veulent sortir plus concrètement des cadres et des codes, estime Chloé Sarasola, gemmologue et chercheuse de pierres précieuses. Ils ont peut-être besoin de s’affranchir de la superficialité dans laquelle baigne la société et les minéraux, transparents, constituent l’exact opposé de la matière plastique.» Difficile par ailleurs de ne pas ouvrir de grands yeux face à ces petites roches aux couleurs, formes et poids si variés. Ce succès du cristal a clairement quelque chose d’esthétique et de concret: on aime le toucher, le manipuler. Quand elle ne le positionne pas à côté de son clavier d’ordinateur sur son bureau, Anne-Michel glisse son œil-de-tigre bien au fond de sa poche, pour qu’il l’accompagne à tous ses rendez-vous, notamment les plus stressants. «Je pense même que je l’avais avec moi lors de mon récent entretien d’embauche, témoigne cette Arlonaise. Quand je la serre, je respire mieux, j’éprouve de l’apaisement et j’ai l’impression qu’elle agit comme un bouclier qui va me protéger. Et puis c’est plus discret à utiliser en public qu’une huile essentielle à humer.»
«Penser que les pierres ont des vertus n’est pas problématique, tant que ce n’est pas pour soigner un cancer.»
Corentin Caudron,
volcanologue
Parfaitement consciente que les prétendus pouvoirs thérapeutiques des pierres ne sont pas reconnus scientifiquement, mais en recherche de bien-être à travers quelque chose de naturel, Anne-Michel a l’impression de ressentir l’énergie des minéraux. «Il y a peut-être une petite forme de croyance alternative, mais je n’achèterais jamais une pierre au hasard, prévient-elle. Il est aussi hors de question que je me mette à ingérer des breuvages « magiques » par voie orale.»
La macération, soit l’infusion d’une roche dans de l’eau que l’on boit par la suite pour profiter de soi-disant bienfaits, fait en effet partie des grands dangers qui guettent l’univers des pierres. «Elles détiennent parfois de l’oxyde de zinc ou du plomb qui peuvent être très nocifs pour l’organisme, alerte le volcanologue Corentin Caudron. De même, le contact avec la peau n’est pas toujours conseillé puisque certains minéraux contiennent de l’arsenic.» Le scientifique reconnaît qu’il n’est pas simple de débusquer les imposteurs et les dangers, alors il conseille de se méfier dès l’apparition de grosses sommes d’argent, tout autant que lorsque la notion de pouvoirs est évoquée. «Dans l’absolu, ce n’est pas problématique de penser que les pierres ont des vertus, tant que cela n’intervient pas dans le cadre de formations certifiantes ou pour soigner un cancer.»
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Forte d’une expérience d’une grosse dizaine d’années dans le milieu, la gemmologue Chloé Sarasola œuvre d’ailleurs pour se distinguer des méthodes des usurpateurs, qui ont le don de repérer les clients fragiles et vulnérables pour en abuser dans un objectif pécuniaire. «Moi, j’aide les gens à reprendre confiance en ce qu’ils ressentent et non pas en ce qu’on leur demande de croire, glisse-t-elle. Je ne fonctionne pas comme une thérapeute, plutôt comme quelqu’un qui incite à s’écouter.»
La pierre pour se changer
Dans sa boutique de la banlieue bruxelloise, devant laquelle trônent deux magnifiques améthystes du Brésil au cœur mauve, Chloé Sarasola commercialise des cristaux pouvant être tracés et certifiés. «Je ne tiendrai jamais un discours perché à propos des pierres, prétend-elle. Selon moi, le minéral matérialise une information. Par exemple, si je manque de vitalité et que je porte une hématite, qui contient du fer, ça m’invitera à « faire », à réfléchir à la façon dont j’utilise mon énergie: qu’est-ce qui peut me permettre de l’optimiser? Que faire de mon côté pour changer les choses? Je vois la pierre comme un talisman, un gri-gri qui peut nous aider à mettre en place des changements.» Enfant, Chloé Sarasola s’est vue offrir un singe en jade avec le conseil de toujours s’exprimer en cas de problème, elle qui avait par moments des difficultés à dialoguer avec certains camarades de classe. Connectée au monde spirituel par sa maman très avant-gardiste, l’actuelle quadra a ensuite voulu également se couvrir d’une casquette de scientifique. Elle a donc suivi des études et formations en gemmologie à Bruxelles et à Nantes, puis a mené une petite carrière dans le diamant à Anvers et dans un laboratoire à Bangkok. «Je voulais comprendre la cristallisation, l’agencement des molécules dans l’espace, etc.»
«Les pierres sont des symboles d’immortalité, de sagesse et de patience, qui n’ont pas de date de péremption. C’est ça qui plaît.»
Chloé Sarasola,
commerçante de cristaux
Aujourd’hui, Chloé Sarasola est une authentique chasseuse de pierres, qui va elle-même à la source, là où les gros acteurs chinois du cristal envoient plutôt leur main-d’œuvre. «Je peux passer une semaine sur les hauts plateaux de l’Atlas ou les pieds dans une rivière au Cambodge à attendre de voir ce qui sort de la mine. Tout dépend de la saison, des conditions météo… mais je veux proposer à la vente ce que j’ai moi-même trouvé.» Selon la diamantaire, les pierres reviennent notamment à la mode «dès qu’une société tombe encore un peu plus dans le capitalisme» et que se développe en parallèle un besoin de revenir aux racines. «Les pierres, dont l’âge atteint jusqu’à 300 millions d’années, sont des symboles d’immortalité, de sagesse et de patience, qui n’ont pas de date de péremption. C’est ça qui plaît.» Derrière le comptoir de sa boutique ou à l’occasion des formations qu’elle prodigue, Chloé Sarasola propose de découvrir l’univers minéral en liant matière et énergie. Dans le plus pur équilibre. «Donner trop de pouvoir aux choses extérieures est un danger, mais ne croire en rien revient à se couper de la vie.»
Tout pour la chimie et l’esthétique
Beaucoup plus prosaïque, la pratique de la gemmologie connaît également une vague d’engouement. A la Société royale belge de gemmologie (SRBG), une école dédiée à l’étude de la matière minérale qui existe depuis 1957, les promotions sont passées en quelques années d’une demi-douzaine d’étudiants à une grosse trentaine. «On ne porte pas attention à l’aspect énergétique de la pierre, uniquement à son côté scientifique et purement chimique, détaille Madeleine Delacroix, directrice de la SRBG, dont les formations s’étalent sur deux années à raison d’un jour par semaine. Les cours comprennent beaucoup de chimie, de cristallographie, d’optique pour comprendre les phénomènes de lumière et de longueur d’ondes. On touche à plusieurs domaines scientifiques auxquels les gens ne s’attendent pas spécialement au départ.» Le public est pourtant assez varié. Il y a des étudiants tout juste sortis des humanités, des pensionnés, des banquiers, des coiffeurs, des enseignants… Une fois diplômés, les élèves sont capables d’identifier les différentes gemmes, de déterminer si elles sont traitées ou pas, naturelles ou pas. Des compétences indispensables pour travailler en laboratoire ou en boutique spécialisée, pour devenir tailleur ou négociant, mais aussi simplement pour parfaire une collection d’amateur ou des connaissances sur l’univers des bijoux.
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Jean-Luc Vanhees, lui, n’a jamais été très intéressé par la joaillerie. Ce qui captive ce militaire liégeois à la retraite, ce sont les phosphates, ces formes de roches chimiques «aux couleurs et à la cristallisation uniques, qui ne sont ni excessivement rares ni excessivement chers», sourit ce membre de l’Association des géologues amateurs de Belgique (Agab). Depuis cinq ans, c’est lui qui prend en charge l’organisation de l’Interminéral, ce salon des minéraux et des fossiles qui existe depuis un demi-siècle. «Initialement, la bourse était réservée aux vrais minéralogistes ou collectionneurs de fossiles qui faisaient des affaires entre eux, dans une toute petite salle, détaille Jean-Luc Vanhees. A mesure que l’intérêt du public a grandi, il a fallu déménager au Palais des Congrès pour pouvoir accueillir entre 2.000 et 2.500 personnes chaque année.» Aujourd’hui, les revendeurs professionnels, tailleurs de pierres et autres artisans voient passer une assemblée hybride composée de véritables amateurs à la recherche de minéraux rares pour compléter leur collection, mais surtout de familles qui viennent flâner entre les étals. «Il faut reconnaître qu’hormis pour l’orpaillage, qui attire encore de nouvelles têtes, les groupes de collectionneurs de minéraux sont désormais constitués de vieilles gardes en constante dépopulation, note le Liégeois. Les gens qui se tournent vers les pierres sont majoritairement intéressés par leur esthétique: ils cherchent quelque chose à mettre dans leur salon.»
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