Check, shaka, stacking: 20 gestes qui en disent bien plus qu’une parole
La progression du brassage des cultures a fait évoluer les langages. Donc aussi les gestes, qu’on joint de plus en plus à la parole. En voici vingt, utilisés ou à utiliser, sans qu’aucun ne soit, en principe, déplacé, insultant, menaçant ou nauséabond.
En 1969, l’artiste tout-terrain Bruno Munari publie Supplément au dictionnaire italien (éd. Yvon Lambert). Sur 118 pages, il y consigne une quarantaine de gestes accompagnant, en Italie, toute discussion et monologue. Comme Ma che vuoi?, ou Che cosa vuoi? –«Mais qu’est-ce que tu veux?», «Que veux-tu?»–, soit la pulpe des cinq doigts réunie au sommet de l’espace laissé avec la paume. «La main, explique le manuel, peut rester immobile ou s’agiter plus ou moins vite selon que la demande est faite gentiment ou avec impatience.» On peut ajouter que le signe s’opère aussi des deux mains, traduisant la désolation («Bah, je sais plus quoi faire»), l’incompréhension («Pardon, mais qu’est-ce que tu racontes, là?»), le scepticisme («Bon, et maintenant?») ou l’exaspération («Quoi!? Penalty!? Mais je le touche pas! Vaff…»).
Dans le monde arabe, où les mains sont également bavardes, on l’appelle le shou: il a les mêmes significations que le Che vuoi? mais s’effectue main tendue vers l’avant, doigts écartés et torsion du poignet pour retourner la paume vers le bas. L’acteur et cinéaste canado-libanais Mark Hachem l’illustre très bien dans une vidéo, diffusée sur Instagram, TikTok et YouTube, intitulée 8 Excellent Arab Hand Gestures (il en a réalisé d’autres, sur les gestes menaçants notamment). Plusieurs sites décortiquent et expliquent également la gestuelle japonaise.
Autant d’anthologies des gestes qu’on joint à la parole, un peu partout. Y compris chez nous, de façon moins spectaculaire, peut-être, moins automatique, avec moins de moulinets ou de grâce mais tout aussi quotidienne. Passage en revue de ces signes qui permettent d’échapper au pire, de former des communautés, d’exprimer ses émotions, de leur signification (parfois multiple) et, autant que faire se peut, de leur origine.
«En Belgique, le signal d’appel au secours est quasiment inconnu des différents niveaux de police et de beaucoup de femmes et filles.»
1. Les gestes qui alertent
Le signal for help, ou signal d’appel au secours. On ouvre la main (peu importe laquelle), les doigts serrés et tendus vers le ciel, le pouce replié sur la paume, puis on rabaisse les quatre doigts dressés sur le pouce. On peut répéter le mouvement, jusqu’à ce que quelqu’un le capte puisqu’il avertit qu’on est victime ou sous la menace d’agression. «On»? Les femmes: le signal a été imaginé, au Canada, durant le confinement de 2020, pour qu’on comprenne, lors d’appels vidéo, qu’elles subissaient des violences domestiques. En septembre dernier, à Milan, une Equatorienne de 24 ans, accompagnée de son fiancé, a utilisé ce code face à une patrouille appelée pour une fête trop bruyante. L’un des agents italiens l’a capté, et le gars qui la tabassait a fini en prison. En Belgique, en revanche, le signal est quasiment inconnu des forces de police et de beaucoup de femmes et de filles…
Le no racism gesture. On croise les bras à hauteur des poignets, les mains tendues et les doigts serrés. Le geste indique, au football, que des propos ou des actes racistes sont tenus ou commis sur le terrain, ou autour. Averti, l’arbitre répète le geste pour que tout le monde soit clairement informé (joueurs, officiels et public) et décide s’il convient d’interrompre ou d’arrêter le match. La mesure est en vigueur depuis septembre dernier, seulement, sur décision de la Fifa, la fédération mondiale. Partout et pour toutes les équipes, de l’élite à celles de jeunes, hommes comme femmes. Au Japon, ce même geste signifie «c’est impossible»: effectué devant la porte d’un restaurant par exemple, il annonce qu’il est complet, désolé, plus aucune place dispo.
2. Les gestes qui rassemblent
Le check ou le fist bump. On pose son poing serré contre celui d’un autre. Pour saluer, en guise de marque de respect et d’égalité, en signe d’approbation, de connivence ou parce qu’on veut réussir quelque chose ou qu’on y est arrivé (comme Michelle et Barak Obama, durant la campagne présidentielle américaine de 2008). Généralisé avec la crise sanitaire, puisque s’embrasser ou se serrer la pince était prohibé, ce geste est effectué par «les jeunes» depuis longtemps. Au point qu’ils prolongent parfois le mouvement des poignets (avec un coup sur les côtés, un au-dessus, un en-dessous, etc.). Son origine est discutée: salut entre boxeurs jamaïcains, gants enfilés, avant le match, à la fin du XIXe siècle; façon qu’avaient les soldats US de se donner du courage durant la guerre du Vietnam, entre 1965 et 1973; autocongratulation entre joueurs américains de base-ball, dans les années 1950…
Le high five. On tape en tendant le(s) bras dans la/les main(s) de l’autre, paume contre paume et doigts tendus. Pour féliciter, encourager, conclure un pacte. Très utilisé sur les parquets de basket, son origine serait plutôt à chercher du côté d’un terrain de base-ball, devant 42.500 spectateurs: le 2 octobre 1977, au Dodger Stadium de Los Angeles, Dusty Baker, qui vient de réussir un home run (une frappe puis toutes les bases passées d’un coup) est applaudi de cette manière par son coéquipier Glenn Burke, premier joueur de l’histoire de la ligue majeure de base-ball à déclarer publiquement son homosexualité, en 1986, avant de mourir du sida en 1995.
Le V. On brandit l’index et le majeur vers le haut. Pour montrer/célébrer/rappeler qu’on a gagné ou que ça va le faire, assurer qu’on veut la paix, saluer un autre motard, prouver sur la photo de groupe (derrière la tête de celui qui est juste devant) qu’on a un humour vraiment nul et, mais plutôt paume vers le visage alors, commander de loin deux verres… Il se raconte aussi que durant la guerre de Cent Ans (1337–1453), les Français tranchant index et majeur des archers ennemis prisonniers (pour qu’ils ne puissent plus toucher un arc), les Anglais leur brandissaient les leurs à l’horizontale avant le combat, par défi (de nos jours, on appelle ça «un Twix»). Le signe de victoire militaire, lui, a des accents belges: en 1941, l’avocat et journaliste Victor de Laveleye (notez les deux V), ex-champion de tennis, ex-ministre de la Justice et voix de Radio Belgique, émise depuis Londres, exhorte à l’utiliser face à l’occupant nazi. Parce que V comme «victoire» et comme «vrijheid» (liberté). Et que «les deux choses sont la conséquence l’une de l’autre: la victoire vous rendra la liberté!»
Le shaka. On tend le pouce et l’auriculaire vers le haut. Pour signifier qu’on est relax, tout va bien, no stress. Très répandu dans les sports de glisse, surtout le surf, où il est un signe d’appartenance à la communauté. Son origine est liée à un pêcheur d’Hawaï ayant perdu, durant les années 1940, lors d’un accident dans la fabrique qui l’employait, les trois doigts du milieu d’une main, le contraignant à devenir gardien de sécurité sur la ligne ferroviaire. Deux versions circulent alors: les habitants de l’île, solidaires, ont décidé de le saluer par le shaka; les enfants tentant de monter dans le train en douce faisaient le signe pour signaler que le vigile infirme n’était pas dans les parages. Par ailleurs, effectué verticalement et contre l’oreille, le geste demande si «on se téléphone?» et, incliné vers la bouche, demande à boire, pour soi-même, ou ce qu’un autre veut comme boisson. Qu’on paiera, no stress, tout va bien.
Les cornes. On tend l’index et l’auriculaire, vers le haut, le bas ou devant soi. Le geste a plusieurs significations. Dans le milieu du rock –surtout du hard et du metal, où il est orienté vers le ciel et appelé «signe du diable»–, c’est, depuis les années 1960, signe de connivence entre artistes et fans, et d’allégeance à Satan, parfois, aussi, quand même. Dans beaucoup de pays latins, exécuté vers le haut, il raille le pauvre cocu devant lequel on est (ou derrière, si on craint des représailles). En Italie, fait horizontalement ou vers le bas, il est censé chasser le mauvais œil (représenté par un corbillard, un chat noir, une échelle sous laquelle il faut passer…).
Le stacking. On fait mille trucs avec les doigts et les mains puisque le terme regroupe tous les gestes de reconnaissance en usage dans les gangs américains, que le rap a siphonnés ensuite. Disons, pour faire court, qu’il y a notamment le signe de Jul (on joint les mains paumes vers le visage, on écarte les pouces et on dresse l’index et le majeur, en les collant, et ça forme le nom du rappeur français), le «Vie» de Damso (on replie le pouce et on dresse les quatre autres doigts en laissant un écart entre le majeur et l’annulaire), le «Double fuck» de Kaaris (on joint les mains, paumes rentrées, on croise les majeurs tendus et on dresse les pouces) ou plus difficile à faire, le «W» de Tupac (on croise le majeur et l’annulaire, on écarte l’index et l’auriculaire, on replie le pouce) –pour montrer qu’il venait de la West Coast.
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3. Les gestes qui engagent
Le wallah. On lève les deux mains, bras écartés. Pour affirmer qu’on dit la vérité. Très utilisé dans le monde arabe. Et censé être plus convaincant encore, précise Mark Hachem dans sa vidéo, si on secoue la tête en même temps en s’exclamant wallah. Plus universellement, le geste démontre qu’on se rend (à la police, à l’ennemi, aux arguments de l’autre), qu’on n’a pas d’arme, que «c’est pas moi» ou, au foot, que «je l’ai pas touché».
Le pinky swear ou yubikiri genman. On enroule l’auriculaire à celui d’une autre personne. Pour lui signifier que c’est promis. Et cette promesse (swear) du petit doigt (pinky) doit être considérée comme l’une des plus fiables. Il semble que le geste trouve son origine à Tokyo, durant la période Edo (entre 1600 et 1868): pour prouver sa flamme au client ou sa soumission au proxénète, les versions divergent, une prostituée était prête à se couper le petit doigt (yubikiri genman). Ce qui expliquerait aussi pourquoi les Yakuzas, la mafia japonaise, se tranchent ou se font trancher l’auriculaire s’ils ont manqué à leur devoir.
Le poing levé. On tend le bras vers le haut, poing serré. Pour bien montrer que le combat continue et qu’on ne va rien lâcher. Le geste apparaît durant les années 1920: créée en réaction au parti nazi, la Roter Frontkämpferbund, issue du Parti communiste allemand, l’adopte en signe de ralliement et par opposition au salut fasciste. La plupart des partis et organisations de gauche ou d’extrême gauche garderont le geste (jusque sur leur logo, parfois, comme celui des Partis socialistes belge et français, avec les doigts –de la main droite– serrés sur une rose). La plupart des mouvements d’opposition à des dictatures ou discriminations feront de même, aujourd’hui encore: notamment le combat féministe, depuis les années 1960, avec le symbole de Vénus (♀) autour, et la lutte pour les droits civiques des Noirs, depuis la même époque.
Le cœur. On le fait différemment selon les générations. La majorité joint les pouces, pulpe contre pulpe, et les index (ou les autres doigts), ongle contre ongle et inclinés vers le bas, paume des mains vers le bas ou vers l’extérieur. La génération Z fait plus compliqué: index joints par les ongles et majeurs par la pulpe, paume vers l’intérieur. Dans les deux cas, ça forme un cœur. Et ça veut évidemment dire qu’on s’aime. En Corée du Sud, on l’exprime d’une seule main (et on l’appelle «le cœur de doigts»): on colle le pouce à l’index, en le décalant un chouïa, comme on le ferait pour signifier «l’argent» ou «ça coûte cher» mais sans le mouvement; les deux doigts forment alors un cœur. Avec toujours le même sens.
«Depuis septembre, un geste indique, au foot, que des propos ou actes racistes sont tenus ou commis sur le terrain, ou autour.»
4. Les gestes qui rassurent
Le pouce levé. On tend le pouce vers le haut. Pour annoncer que tout va bien, que tu t’en es sorti à merveille, pour signifier que, «OK, on peut!» A l’inverse, le pouce tendu vers le bas fait comprendre qu’on l’a dans le baba. Origine pas claire. Celle des arènes, à Rome, lors de combats de gladiateurs (pouce levé = «laisse-lui la vie» sauve, pouce baissé = «bute-le») semble fausse: le public désignait plutôt qui gracier ou pas par n’importe quel doigt.
Le OK. On forme un cercle avec le pouce et l’index et on tend les autres, écartés et plutôt vers le haut. Pour signifier que c’est parfait, excellent, ou que tout va bien (en plongée sous-marine, notamment). Il apparaît au Ve siècle avant J-C, en Grèce, en signe d’amour (le pouce et l’index symbolisent le baiser). Mais gaffe: si on trace une ligne continue sur les phalanges des trois doigts tendus, on voit qu’ils forment un W; et si on en trace une autre courant sur l’anneau créé par l’index et le pouce et descendant jusqu’au poignet, on a un P. Soit les initiales de White Power. Aux Etats-Unis, on appelle le geste le O-KKK (référence au Ku Klux Klan), utilisé par l’extrême droite. En septembre 2019, la Ligue antidiffamation américaine l’a d’ailleurs classé parmi les symboles de haine.
Les doigts croisés. On croise l’index et le majeur. Pour conjurer le sort, souhaiter bonne chance ou quand même mentir alors qu’on jure que non (on cache alors ses mains derrière le dos). Le geste remonterait au Moyen Age: en Angleterre, les chrétiens l’effectuaient en référence à la croix et pour éloigner le diable, les malheurs. Attention: au Vietnam, il a la même signification que le doigt d’honneur. Pour lequel toute explication est superflue.
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