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«Je voulais aller toujours plus loin. Puis ça m’a explosé au visage»: pourquoi ils se tournent vers le chamanisme

Ludivine Ponciau
Ludivine Ponciau Journaliste au Vif

Le chamanisme connaît un regain inédit en Belgique. Pourquoi tant de personnes se tournent-elles vers ces pratiques? Réponses avec Caroline, Carlos et Romuald.

Caroline: «J’ai besoin de rites»

Voyage au tambour, atelier de connexion aux arbres, chants sacrés, constellation familiale, yoga, méditation de pleine conscience, Caroline (1), qui évolue dans le milieu de l’insertion socioprofessionnelle, s’initie à l’ésotérisme et au développement personnel depuis quelques années. Adepte de la sobriété heureuse, elle a participé en juin dernier à une semaine «jeûne et spiritualité» pour opérer «un reset de son corps» et «débloquer des freins». Une expérience «un peu plus difficile à appréhender», notamment le rituel de la hutte de sudation, mais dont elle garde un souvenir positif. «Je suis non-croyante. Mais il est vrai que j’aime me raccrocher aux cycles, lunaire ou des saisons. J’ai besoin de rites. Or, dans notre société, ils ont plus ou moins disparu.»

«Ce qui me pousse vers tout ça, poursuit la trentenaire, c’est le besoin de trouver des réponses. Si je tire un oracle, c’est pour trouver du soutien dans mes réflexions et apprendre à mieux me connaître. Et aussi le côté un peu magique. Je me dis : « Tiens, l’univers m’envoie ce type de réponse à cet instant. Si je la reçois, c’est qu’il y a une volonté divine derrière« , bien que je ne sache pas très bien quelle forme elle prend.»

Ce qui l’impressionne le plus dans ces rites de passage, c’est la constellation familiale. Cette forme de thérapie transgénérationnelle consiste à créer une constellation en désignant au hasard, parmi les membres du groupe qui ne se connaissent pas (ou peu) ceux qui vont représenter un membre de la famille. La personne constellée pose un blocage et ceux qui incarnent les membres de la famille interviennent pour y répondre.

«J’ai besoin de rites. Or, dans notre société, ils ont plus ou moins disparu».

«Avant d’y participer, j’étais une peu sceptique. Mais au cours de la dernière séance à laquelle j’ai assisté, j’ai vraiment ressenti quelque chose de l’ordre de l’ésotérique, des formes d’énergie. Je suis consciente que ça ne semble pas très terre-à-terre, ce que je décris. Pas très rationnel. Mais il se passait quelque chose. J’ai senti que je devais agir d’une certaine façon. J’ai toutefois vécu cela de manière très pragmatique. Je ne me suis pas mis en tête que je recevais des informations divines. Mais d’autres que moi ont vraiment vécu des émotions fortes. Une des participants a été prise de nausées parce qu’elle ressentait énormément de négativité envers elle.»

Carlos: «J’ai vécu un trauma, une mort spirituelle»

En quête de sens depuis ses 20 ans, Carlos (1), la quarantaine aujourd’hui, a emprunté plusieurs voies ésotériques et spirituelles. «J’ai voulu aller de plus en plus loin. Jusqu’au jour où ça m’a complètement explosé au visage. J’ai vécu un trauma, une mort spirituelle.» «Avec quatre autres personnes, retrace-il, nous avons voulu suivre un courant de guidance en nous basant sur des messages, des entités, mais sans être encadrés. Nous étions un groupe de Bisounours.»

«Sur le plan matériel, comme j’avais quitté ma stabilité pour vivre cette expérience, je me suis retrouvé sans revenus.»

Carlos

Ce voyage au Népal, décrit comme un stage de développement personnel et de spiritualité, «a été une descente aux enfers. J’ai souffert de troubles émotionnels et psychiques. Sur le plan matériel, comme j’avais quitté ma stabilité pour vivre cette expérience, je me suis retrouvé sans revenus. J’ai failli perdre la maison.»

Pour garder la tête hors de l’eau, Carlos a suivi un traitement médicamenteux et une thérapie. Malgré l’expérience douloureuse, il n’a pas tourné le dos à la spiritualité mais a opté pour une pratique plus compatible avec ses fragilités, le chamanisme psychosensitif. «Ça m’a permis de me recentrer sur l’essentiel. J’ai découvert que le spirituel était au service de la vie, y compris la vie matérielle et humaine. Non l’inverse.» Sept ans après sa descente aux enfers, en se faisant accompagner et en surfant sur cinq emplois différents, Carlos s’est reconstruit une vie. Il s’est marié, a acheté une deuxième maison et occupe aujourd’hui un poste à responsabilités. Il se dit «bien dans sa vie». « Si je n’avais pas vécu des événements aussi extrêmes et que je n’avais pas travaillé autant pour les surmonter, je ne serais pas arrivé là où je suis aujourd’hui. J’ai fait la paix avec mon passé.» Il dit aussi rester vigilant. Et a coupé les ponts avec le reste du groupe.

Romuald: la réalité augmentée

«La première fois que j’ai vécu une séance de vision collective, j’ai eu un choc frontal. Parce que je n’étais pas du tout préparé à ce genre d’expérience», témoigne le chercheur indépendant en ethnobotanique Romuald Leterrier, dans Chamanisme comme ouverture de conscience (éd. La pensée et les hommes, 2023). Il décrit deux types de visions qui surviennent lors de la consommation de l’ayahuasca; la conscience ne disparaît pas mais la réalité est augmentée. «Certaines visions, les yeux fermés, sont proches des rêves, comme des rêves éveillés. Ce ne sont pas des visions comme celles qu’on pourrait avoir avec des psychédéliques, qui sont toujours assez chaotiques, des déformations, des choses comme ça. Non, c’est très cohérent, ce sont des scénarios, des rêves dans lesquels on a une interaction. Et il y a les visions les yeux ouverts. Là, on s’aperçoit qu’il y a une réalité augmentée. C’est-à-dire que la réalité physique vient se superposer à la réalité psychique, visionnaire, qui souvent rajoute du sens symbolique à la réalité physique

(1) Les prénoms ont été modifiés

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