Il n’y a pas d’âge «normal» auquel on ne «devrait plus» partir en vacances avec ses parents. © Getty Images

«Je m’emmerde moins avec eux qu’avec des potes»: ces adultes qui partent toujours en vacances avec leurs parents

Thierry Fiorilli
Thierry Fiorilli Journaliste

L’essentiel

• De plus en plus d’adultes prennent leurs vacances avec leurs parents.

• Au Royaume-Uni, 42% des 35-44 ans ont planifié ce type de vacances et plus de la moitié des parents sondés aux Etats-Unis ont prévu de partir avec leurs enfants et leurs propres parents.

• 54% des 28-45 ans en France partent en vacances avec leurs parents.

• Les raisons de ce type de vacances sont multiples: souvenirs heureux de ces moments durant l’enfance, liens familiaux étroits, aide financière des parents…

De plus en plus d’adultes partent toujours en vacances avec leurs parents. Et de plus en plus longtemps au cours de leur vie de majeurs. Faut-il en ricaner, s’en désoler ou l’envier? Confidences et explications, entre plaisir, calculs et nécessité.

Elle aura 34 ans en novembre, Mona. Elle a un temps plein, CDI, dans le secteur dont elle rêvait –la communication–, elle gagne plus que correctement sa vie, qu’elle partage avec Simon, qui bosse aussi, comme régisseur culturel, et ils se font un joli voyage chaque année, depuis un moment maintenant: le Mexique, la Slovénie, la Croatie, le nord de l’Italie, tout le Portugal, une bonne partie de l’Espagne, un coin de France toujours différent. Avant, et dès ses 17 ans, elle est partie avec des amies ou de précédents amoureux. Mais si ça se met, si les agendas collent, elle court rejoindre sur leur lieu de villégiature son père, Eléonore, qui est depuis bientôt 30 ans sa deuxième maman et sa grande sœur à la fois, et Miguel, son frère, qui a fêté ses 20 ans cet été. Pour Mona, les vacances avec ses parents, c’est sacré. Encore aujourd’hui. Pas par obligation. Par plaisir. Par évidence. D’ailleurs, elle les a prévenus: «Si vous allez au Japon l’année prochaine, je viens aussi.»

Logique, donc, qu’elle paraisse surprise quand on lui demande pourquoi elle part toujours avec eux, alors qu’elle est adulte, autonome, en couple et pas dans la dèche. Passé l’étonnement, elle répond en partant loin dans le temps: «Passer les vacances avec ses parents, quand on est enfant, on ne se pose pas vraiment la question, c’est comme ça, la suite classique de la fin de l’année scolaire. Moi, j’adorais, encore plus quand on partait en voiture: on chantait à tue-tête, on mangeait un gâteau fait pour la route, on jouait… Les vacances commençaient dès que mon père allumait le moteur, à 5 heures du matin. Chez nous, c’était à la cool, à la très très cool. Pas de réveil, « plage ou piscine aujourd’hui? », « plutôt dîner à la maison ou resto? », promenade tranquille dans telle ville ou tel village, jeux sur la terrasse chaque soir… En gros: que du fun. Mais il y a un truc encore plus chouette que partir avec ses parents quand on est enfant: c’est partir avec ses parents quand on est adulte! Tout ce fun, cette liberté, cette enfance en fait, jouer, manger, dormir, recommencer… On réalise bien plus à quel point c’est précieux, rare et que ça arrive de moins en moins. Donc, pour moi, c’est quand ils veulent!»

«Tout ce fun, cette liberté… On réalise bien plus à quel point c’est précieux.»

Vacances avec les parents: une majorité d’adultes concernés

Elle n’est pas seule dans cet état d’esprit, même si aucune étude scientifique digne de ce nom ne semble s’être penchée sur la question. Mais des sondages réalisés ici ou là en attestent: l’an dernier, au Royaume-Uni, selon l’un d’eux, commandité par la Starling Bank, 42% des adultes de 35 à 44 ans avaient planifié des vacances avec leurs parents et, aux Etats-Unis, plus de la moitié des 3.000 parents sondés par la Family Travel Association annonçaient avoir prévu leur summer holidays avec leurs enfants et leurs propres parents; en 2019, en Australie, un rapport du bureau de tendances McCrindle révélait que 51% des 18-39 ans sont partis au moins une fois avec papa ou maman depuis leur majorité, 81% d’entre eux s’enthousiasmant de combien ce fut agréable et 91% le referaient si l’occasion se présentait; la même année, en France, une enquête du site de location de vacances HomeAway/Abritel révélait que 54% des 28-45 ans partent en vacances avec leurs parents, le loueur de voitures Enterprise estimant même, en 2018, que le phénomène atteignait 71% chez les 18-24 ans et 75% chez les 25-34 ans.

En Australie, 51% des 18-39 ans sont partis au moins une fois avec papa ou maman depuis leur majorité.91 % le referaient si l’occasion se présente.

Selon la sociologue de l’ULiège Marie-Thérèse Casman, qui a beaucoup travaillé sur la famille, plusieurs paramètres peuvent éclairer ces chiffres assez impressionnants: «D’abord, on est quand même à une époque où les personnes qui ont vieilli sont pour la plupart en meilleure santé que celles de leur âge il y a 30 ou 40 ans, gardent une meilleure insertion, ont des relations sociales, etc. Ça peut expliquer que les jeunes de 30-35 ans partent en vacances, en partie en tout cas, avec leurs parents. Parce que le gap entre les deux générations est probablement moins important que celui existant dans les générations précédentes. On peut peut-être plus se parler, avoir des activités communes parce que les goûts, les intérêts, etc., peuvent être plus proches.»

Mathieu, 24 ans, kiné dans un hôpital, considère se retrouver parfaitement dans cette catégorie: «J’ai fait des voyages en Amérique latine et en Asie avec un pote, mais si c’est pour me poser quinze jours au même endroit, je préfère le faire avec mes parents. Parce qu’on s’entend vraiment bien, qu’on a plutôt les mêmes envies et qu’on fait beaucoup plus de trucs avec eux qu’avec les amis –qui préfèrent rester au bord de la piscine toute la journée et sortir le soir. Autrement dit: même s’il y a des moments où c’est un peu long, même si ce n’est pas toujours simple d’avoir sa liberté, ses instants de solitude, je m’emmerde moins avec eux qu’avec un groupe de potes.» En Australie, Mathieu aurait fait partie des 37% des 18-39 ans qui affirmaient, dans le sondage McCrindle, avoir «a lot of fun» durant leurs vacances avec leurs géniteurs, alors que Mona serait parmi les 40% estimant que ce moment passé en famille leur rappelle leur enfance.

«Le gap entre les deux générations est probablement moins important aujourd’hui.»

Voyager avec papa et maman, c’est aussi réveiller des souvenirs d’enfance. © Getty Images/iStockphoto

Le cordon (avec les siens) et le cordon (de la bourse)

Ce que ne déconsidère pas Marie-Thérèse Casman, bien qu’elle avance «un aspect plus problématique: le fait pour des jeunes, à partir de 25 ans, de ne pouvoir envisager de partir en vacances sans les parents peut être symptomatique d’un lien, d’un attachement qu’on n’arrive pas à réguler». Alice, 28 ans, avocate qui part chaque année au moins une fois avec sa maman –à la mer du Nord, au printemps, ou en France, l’été– ne pense pas en être là: «On est heureuses de le faire, avec ma sœur aussi, trois ans plus jeune que moi. Autant que lors des fêtes de fin d’année, moment de partage familial par excellence. Je ne vois donc pas pourquoi une ou deux semaines par an, ensemble, dans un gîte ou un appartement loué, signifierait qu’on n’a pas coupé le cordon. On part aussi, le temps d’un week-end ou plus, avec des amis et j’ai voyagé seule aux quatre coins du monde. Donc, tant que ce n’est une contrainte pour aucune d’entre nous, je passerai encore des vacances avec maman sans en avoir honte

La contrainte, la sociologue liégeoise la place du côté financier: «Quand les parents ont davantage de moyens, on peut se retrouver dans un cas de figure où ils paient, eux, la location ou l’hôtel, pour leurs enfants et leurs petits-enfants. Donc, tout le monde part ensemble.» Et y trouve son compte. Le sondage HomeAway/Abritel soutient ainsi que, pour trois Français sur quatre, ce sont les (beaux-)parents qui prennent en charge le coût des vacances: à raison de 42% pour les frais alimentaires, de 29% pour les billets d’avion et de 28% pour les loisirs. D’ailleurs, 14% avouent que, sans eux, ils ne pourraient pas s’offrir ces séjours. Côté australien, 21% des jeunes adultes admettent que la motivation première de vacances «avec ses vieux» est d’épargner son propre argent. Ce qui a poussé le bureau de tendances McCrindle à parler de «génération Trippers», pour Travelling In Parents’ Pockets and Eroding Retirement Savings, qu’on pourrait traduire par «ces jeunes qui voyagent dans les poches de leurs parents en leur rognant l’épargne-pension». Sacha, 24 ans et étudiant en médecine, s’en revendique, entre gêne et fatalisme: «Les études sont dures et longues, je ne travaille pas, parce que quand j’ai du temps libre, je ne suis pas le plus actif des gars; bref, quand mon père me dit qu’il a réservé dans un all-in en Toscane pour quinze jours, en juillet, et que je suis le bienvenu, je n’hésite pas! Quand je gagnerai ma vie, je partirai de mon côté.»

«Quand les parents deviennent grands-parents, partir avec eux induit une garde gratuite pour les enfants.»

Vacances avec les parents: l’impact de la configuration familiale

Au moins un temps. Parce que, comme le glisse Marie-Thérèse Casman, «quand les parents deviennent aussi des grands-parents, partir avec eux induit que, sur place, on a aussi une garde gratuite pour les enfants, donc une plus grande liberté». Ce qui pourrait aussi expliquer que tant de jeunes adultes ne voient aucun problème à passer encore et toujours leurs ou des vacances avec (beau-)papa et (belle-)maman. Et vu sa faculté à profiter des bons coups, on parie que Sacha en sera. D’autant que sa sœur, Zoé, 30 ans, ne vit pas à côté: Los Angeles.

Et c’est sans doute une autre raison des vacances prises avec ses parents alors qu’on est adulte depuis longtemps, pose encore la sociologue de l’ULiège: «Les jeunes qui vivent seuls, loin des leurs et qui reviennent à certains moments, vont aussi passer, par exemple, une partie de l’été avec eux, même si c’est à l’étranger, parce qu’ils ne les voient pas pendant le reste de l’année. En fait, il y a vraiment beaucoup de situations distinctes. Comme le type de vacances, aussi: si, par exemple, vous choisissez un club all in, vous pouvez être ensemble tout en étant séparés parce que vous allez pratiquer des sports différents, il y en a qui feront des excursions et d’autres qui resteront à la plage, et on se retrouve au moment des repas. Et puis, puisqu’on sait que les jeunes habitent aujourd’hui, en moyenne, plus longtemps qu’avant chez leurs parents, on peut comprendre que partir en vacances avec eux entre dans cette logique.»

Katia, 43 ans, secrétaire de direction, incarne encore un autre profil: «J’ai arrêté de partir en vacances avec mes parents très tôt, vers 15 ans, pour les passer, toujours, soit seule, soit avec une ou deux copines, puis avec mon mari et mes deux garçons. Mais quand on s’est séparés, j’ai décidé que ce serait alors avec ma mère, que mon père venait de quitter, et mes gamins. Aujourd’hui, ils ne nous accompagnent plus, je ne me suis plus jamais remise en couple mais je pars encore avec maman, chaque été. Parce qu’elle ne partirait pas sans moi, parce que je ne veux pas qu’elle reste seule ici pendant que je suis à l’étranger et parce que, finalement, on se sent très bien ensemble, la plupart du temps.» C’est une dimension que souligne aussi Marie-Thérèse Casman: «La situation familiale, la configuration de couple, aussi bien celle des jeunes adultes que celle des parents plus âgés: sont-ils divorcés, est-ce une famille recomposée, vivent-ils seuls? Ça peut être pratique, pour des enfants séparés, de passer des vacances avec les parents

Il n’y a pas d’âge «normal» auquel on ne «devrait» plus partir en vacances avec ses parents. © Getty Images

Les autres et l’âge idéal

Et le poids du regard des autres, fantasme ou réalité? Mona dit qu’elle «s’en fout, mais c’est vrai que mes amies ne comprennent généralement pas quand je leur dis que je pars avec mon père et Eléonore». Mathieu concède que ses «potes rigolent bien, en disant que je suis toujours « le doudou à sa maman »». Alice ressent «plutôt de l’admiration, comme si on m’enviait le rapport que j’entretiens avec ma mère». Sacha grimace un peu, soufflant qu’il «ne la ramène pas trop sur le sujet; je reste discret, évasif. Bref, si on ne me pose pas la question, je ne dis pas que je pars avec mes vieux.» Et Katia assure que «ça fait longtemps que je ne m’en préoccupe plus. Surtout que les amis qui partent de leur côté, en couple ou en groupe, se sont presque toutes et tous séparés depuis, et que leurs vacances ont souvent été des moments où la rupture s’annonçait ou s’opérait.»

«Il n’y a pas d’âge “normal” auquel on ne “devrait plus” prendre ses vacances avec ses parents.»

Logique, selon Marie-Thérèse Casman: «Le regard des autres, les réflexions du type « quoi, tu pars encore avec papa et maman », ça a toujours existé. Mais il ne faut jamais oublier que certains le disent dès 18 ans et d’autres ne le disent pas à 35.» Important aussi: «Il n’y a pas d’âge « normal » auquel on ne « devrait plus » prendre ses vacances avec ses parents. Aussi vrai que des personnes prennent leur autonomie, à tout point de vue, très tôt, à partir de 18 ou 19 ans, et que d’autres restent pratiquement jusqu’à ce que leurs parents soient malades ou ne puissent plus assumer.» Ne pas transmettre à Mathilde, 53 ans, qui voit débarquer chaque été, là où elle a loué, son fils de 31 ans flanqué de sa copine: «Je les aime et je ne veux que leur bonheur, mais j’espère quand même que j’aurai un jour des vacances où je ne devrai pas me les coltiner.» Rien n’est jamais simple avec la famille.

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