Confidences de modèles nus: « Poser m’a libérée »
Ils doivent rester dans la même position, parfois pendant une heure, alors que des dizaines d’yeux explorent chaque centimètre de leurs corps. Et pour 10 à 20 euros de l’heure. Mais la satisfaction est grande, racontent trois modèles nus. « Parfois, je plaisante pour briser la glace. »
PHILIPPE (58 ans)
Pose nu depuis dix ans
« Quand un étudiant en art m’a parlé de dessins de modèle, je me suis présenté à son école le lendemain. Il me semblait fascinant de voir la façon dont les dessinateurs lisent votre corps. Je n’avais pas de réticences à surmonter, je suis naturiste même si c’est différent de rester des heures au centre de l’attention. Ce qui joue aussi, c’est qu’on est le seul dévêtu. »
« Parfois, je plaisante pour briser la glace. J’aime l’interaction avec les étudiants. De temps en temps, on prend tout de même conscience de ses imperfections. Mais quand je vois certains dessins, je me dis que je ne suis pas si mal pour mon âge. Poser flatte l’amour-propre tout en apprenant à s’accepter comme on est.
Quand je pose, je pense à 1001 choses. Généralement, je pense déjà à ma nouvelle position. Poser demande beaucoup d’énergie, de force physique et de concentration. Je ne prends pas de poses de salon ou de plage, et certaines positions sont parfois très explicites – mais toujours artistiques et parfois même presque acrobatiques. Une position est intéressante si elle émane de l’énergie, si on se donne totalement. On sent les crampes dans tout son corps. Mais si le dessin est bon, la douleur est vite oubliée. »
NORA (31 ans)
Pose nue depuis septembre 2017
« Comme j’ai étudié l’art, je connais le regard du dessinateur. Il a rarement de mauvaises intentions. Je suis naturiste, donc cela ne me pose pas de problème même si le moment où je dois me déshabiller devant le public reste étrange. C’est tout de même un moment intime. C’est pourquoi je porte souvent un kimono. Cela a un côté un peu théâtral, qui agrandit la distance.
Quand on pose nu, on voit très concrètement à quel point chaque regard est différent. Certains dessinateurs regardent au-delà de vos imperfections, d’autres les accentuent, et d’autres encore changent tout. C’est révélateur tout en permettant de relativiser. On apprend à lâcher son image. S’abandonner à un artiste, c’est renoncer à son image. S’il me dessine laide, il est libre d’utiliser le dessin. Et s’il me dessine magnifique aussi, évidemment.
Quand je pose, je laisse mes pensées couler comme une rivière. Elles ne peuvent devenir trop concrètes, car alors je perds ma concentration. Poser, c’est un peu comme voyager en train : on regarde par la fenêtre et on laisse passer les images, mais sans contraintes cérébrales. »
SOFIA (31 ans)
Pose nue depuis cinq ans
« Je suis née sur une île grecque. Quand j’étais petite, je me promenais souvent nue. Adolescente, j’étais même ennuyée de devoir porter un maillot. Je n’ai aucune gêne, pour moi être nue est plutôt libérateur. »
« Poser me permet de travailler comme danseuse. Quand je danse, je bouge alors qu’ici je dois parfois rester gelée dans la même position pendant vingt minutes. Entre-temps, je sais qu’avec des micromouvements ou des exercices de respiration, je peux surmonter la douleur. C’est très puissant. Je n’aurais jamais pensé pouvoir rester sans bouger pendant une heure. C’est une forme de méditation. Quand on reste sans bouger, certaines parties du corps deviennent parfois insensibles. En même temps on en est très conscient. Alors on dirait parfois que je sors de mon corps. C’est presque une expérience spirituelle. »
« Une danseuse doit oser se montrer sur le podium. Je ne suis pas vraiment timide, mais je ne vais pas vite exiger toute l’attention. Grâce aux poses, je me sens beaucoup plus confortable sous le regard des autres. Cela m’a libéré. »
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici