Il faut décloisonner les sciences et les idées pour aller voir plus loin
Le physicien Etienne Klein fait l’éloge du court-circuit pour dépasser la tendance à compartimenter la vie des idées en disciplines.
Physicien et philosophe des sciences, Etienne Klein regrette que «par habitude, par nécessité ou en raison de la faiblesse de notre intelligence dépassée par le tsunami des savoirs et des informations», «nos façons ordinaires de nourrir [la] vie des idées consistent à la découper en secteurs, à la compartimenter en disciplines, à l’atomiser en petites spécialités étiquetées bien comme il faut». Dans son dernier essai intitulé Courts-circuits (1), il a donc décidé «de briser les enclos, de s’encanailler, de provoquer des courts-circuits au petit bonheur la chance et, si possible, des étincelles».
La capacité à s’émanciper de l’agitation est certainement l’une des conditions de la liberté d’esprit.
Souvent savoureux, ce petit voyage au pays des courts-circuits mène le lecteur à la rencontre de Michel Serres, philosophe «joyeux parce qu’effrayé», le confronte à Albert Einstein et aux Rolling Stones, membres de «la petite nation de ceux qui, joyeusement, tirent la langue et se comprennent sans parler la même», ou lui fait découvrir Jean Cavaillès. Philosophe et résistant fusillé par les Allemands le 5 avril 1944, il fut, aux yeux de l’auteur, «un court-circuit étincelant» car «il incarna l’alliance – peut-être unique dans l’histoire – de l’intelligence la plus abstraite, de la culture la plus vaste, avec le courage physique le plus assumé et l’engagement le plus radical». On l’a compris, Etienne Klein n’a de cesse de décloisonner les disciplines et de pulvériser les a priori comme, en guise d’hommage à son frère, celui de «notre sempiternel dédain pour l’intelligence des mains».
Découlent donc de Courts-circuits quelques avertissements et leçons. Sur les technologies numériques: «Allons-nous définitivement troquer ce qui nous fait réfléchir contre ce qui nous fait réagir?» Sur la liberté: «La capacité à s’émanciper de l’agitation, à élaborer son propre détachement, à ne jamais perdre son fil est certainement l’une des conditions de la liberté d’esprit.» Sur la vie et la mort: «Tout instant vécu, dès lors qu’il se détache ostentatoirement du fond obscur de la mort, acquiert par là même de l’éclat.»
Celui qui avait mis en garde pendant la crise du Covid contre l’ultracrépidarianisme (le fait pour une personne de s’exprimer sur des sujets sur lesquels elle n’a pas de compétence), vante donc aujourd’hui, sans que cela soit contradictoire, le court-circuit parce qu’il est «à la fois promoteur et produit du désir d’aller voir plus loin, ou d’y regarder de plus près».
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