Pourquoi les seniors divorcent de plus en plus: « Je suis partie du jour au lendemain, j’ai été assez brutale »
Le nombre de divorces est en hausse chez les 60 ans et plus. La génération des babyboomers marque-t-elle le sommet de cette courbe, avant la chute?
«Notre divorce a été très simple. Nous sommes allés chez le notaire et nous nous sommes entendus sur tout. J’ai décidé de partir du jour au lendemain. J’ai été assez brutale. Il n’y avait plus de complicité entre nous et physiquement, ça ne marchait plus très fort. Je n’étais plus amoureuse et mon mari ne se remettait pas en question. Quand j’ai divorcé, je me suis dit: maintenant je fais ce que je veux, je ne dois rendre de comptes à personne. Je me suis sentie devenir quelqu’un. Avant, j’étais toujours sous la coupe d’un autre, du père, puis du mari.» Le cas de Margot (1), 74 ans, illustre parfaitement un phénomène en hausse en Belgique et dans les sociétés occidentales en général: le divorce gris (rapport à la couleur – naturelle – des cheveux). Les statistiques le montrent: le nombre de divorces chez les plus de 65 ans a augmenté de 40% en six ans!
A la retraite, beaucoup se retrouvent 24 h/24 ensemble. Et ils ne se supportent plus.
Pour le sociologue Jacques Marquet (UCLouvain), qui a travaillé durant toute sa carrière sur les thématiques de la famille, du couple, du genre et de la sexualité, la recrudescence du divorce chez les seniors est d’abord à replacer dans un contexte général où le taux de divortialité a crû de manière forte dans toutes les tranches d’âge. «Au début des années 1960 en Belgique, on dénombrait environ sept divorces pour cent mariages au cours d’une même année, pointe-t-il. Ce nombre a augmenté de manière significative à partir du milieu des années 1980. Ces vingt dernières années, on comptabilise grosso modo 550 000 divorces en Belgique, soit 1,1 million de personnes concernées. L’équivalent de 10% de la population. Aujourd’hui, on estime que plus d’un couple sur deux aura rompu avant ses 50 ans de mariage.»
Vingt ans devant soi
Si les compteurs du divorce s’emballent dans les tranches les plus âgées, c’est aussi lié à une autre donnée démographique: l’espérance de vie. «Je pense que c’est tout simplement parce que les gens vivent plus longtemps, avance Nathalie Van den Bossche, avocate spécialisée en droit de la famille depuis 1997. On peut vivre plus longtemps, mais aussi dans de bien meilleures conditions de santé. Si vous comparez une femme de 60 ans aujourd’hui avec une femme de 60 ans dans les années 1980, il n’y a pas photo !»
«En 1950, une grosse part de la population belge était plutôt ouvrière, avec des métiers pénibles physiquement, souligne à ce propos Jacques Marquet. Beaucoup de gens arrivaient à l’âge de 65 ans un peu cassés, avec comme objectif principal de se reposer. Aujourd’hui, ceux qui atteignent les 60, 70 ans n’ont pas connu les années de privation de la guerre et une bonne partie d’entre eux ont eu un travail d’employé. Ils arrivent à l’âge de la retraite avec, devant eux, une espérance de vie d’une vingtaine d’années, sans les contraintes de travail, dans un état de santé qui permet de faire des projets. Ça dégage votre horizon des possibles.»
Ces possibles qui s’ouvrent à l’âge de la pension vont de pair avec un grand bouleversement du quotidien, qui n’est désormais plus régi par le travail. Une nouvelle réalité potentiellement déstabilisante pour les couples. «On a souvent mis en évidence pour les femmes restées très impliquées dans la sphère domestique le syndrome du nid vide: le moment où les enfants ont tous quitté le foyer et où ces mères ne savent plus très bien quoi faire de leurs journées, parce qu’elles ont perdu ce qui pendant tant d’années donnait du sens à leur vie, poursuit le sociologue. Elles sont alors amenées à se poser la question du lien qui les unit à leur conjoint. Pour ceux qui travaillent – et dans la catégories des seniors, cela concerne majoritairement les hommes –, le même phénomène se produit à l’arrivée à la retraite. Des hommes qui ont fortement investi dans le professionnel, qui avaient une reconnaissance sociale dans leur métier, se retrouvent sans cette structuration matérielle de leur vie. D’où tous ces programmes qui conseillent d’anticiper sa retraite, d’essayer de trouver quelque chose qui fera sens hors du travail.»
«Les gens sont dans la vie active, ils se marient, ils ont des enfants, ou pas, ils travaillent. Quand sonne l’heure de la retraite, ils n’ont, en réalité, jamais vraiment vécu ensemble, ils ne faisaient que se croiser, résume pour sa part maître Van den Bossche. En se retrouvant tout à coup 24 heures sur 24 avec leur conjoint, les traits de caractère sont exacerbés et ils ne se supportent plus.»
Alors certains décident de larguer les amarres. «D’autant plus que ce qu’on attend aujourd’hui d’une relation amoureuse a changé, ajoute Jacques Marquet. Avant, on demandait d’abord au père d’être pourvoyeur de revenus, et s’il ne dilapidait pas l’argent au jeu ou en boisson, on considérait qu’il remplissait son rôle. Aujourd’hui, c’est un peu maigre comme idéal. Une attention à la qualité de la vie relationnelle, affective, sexuelle intervient.»
L’économie du couple
Lors d’une séparation chez les seniors, la question de la garde des enfants ne se pose plus et c’est là une grosse source de conflit évacuée. Par contre, le partage des biens peut se révéler problématique. «Beaucoup se sont mariés sans contrat, sous un régime de communauté, ce qui peut engendrer pas mal de conflits chez le notaire, relève Nathalie Van den Bossche. Dans un cas sur deux, l’aspect financier est très litigieux.» Dans ce conflit, la femme est encore souvent en position de faiblesse. «Il y a régulièrement des déconvenues pour les femmes au foyer, encore nombreuses dans la tranche des plus de 70 ans, souligne l’avocate. Certaines n’avaient pas de diplôme ou si elle en avaient un, elles ne l’ont pas utilisé. Il y a eu un accord pendant plusieurs décennies pour que madame reste à la maison et s’occupe des enfants, ou alors l’épouse était conjoint aidant. Se pose alors la question de la pension alimentaire. La bataille peut être âpre, parce que le confort matériel, la qualité de la deuxième vie dépendra de l’issue des négociations du divorce.»
La situation économique pourrait faire diminuer le nombre de divorces des seniors.
Là aussi, la situation varie selon les classes sociales, comme le souligne Jacques Marquet: «Dans le milieu ouvrier, le modèle traditionnel de centration très forte de l’épouse sur le domestique et l’investissement fort du mari dans le professionnel reste davantage dominant. Cela s’explique, entre autres, par le fait qu’un homme peut exercer un métier relativement bien payé sans avoir fait de longues études, dans la construction par exemple. Alors que du côté féminin, avec ce même degré de qualification, on aura un emploi de caissière dans un supermarché, ou on travaillera dans une agence de titres- services, avec un salaire de misère. Chez ces profils, c’est le mari qui s’investira professionnellement pour ramener plus d’argent pour le ménage. Et les femmes travailleront à temps partiel, ou pas du tout, parce qu’au regard de leur salaire et des sommes demandées pour la garde d’un enfant dans une crèche, le calcul est vite fait.»
Au-delà du romantisme, il y a donc l’économie du couple, pour reprendre le titre du film de Joachim Lafosse. Et de la même manière qu’elle le fait augmenter aujourd’hui, la situation économique globale pourrait bien faire diminuer le nombre de divorces des seniors demain. «Les seniors d’aujourd’hui auront peut-être eu les meilleures retraites possibles, précise encore le sociologue. C’est un élément important parce qu’on sait que lorsqu’il y a séparation, se pose la question de la manière dont chacun pourra s’en sortir financièrement. Nous avons maintenant une population avec une retraite plus confortable que les générations précédentes, qui a pu travailler pendant les Trente Glorieuses et qui, pour une part conséquente, est propriétaire de son habitation. On voit dans toutes les discussions sur les retraites que ceux qui ont 30 ans aujourd’hui ne savent pas du tout sur quel avenir ils doivent tabler. Avec la crise actuelle, une proportion des ménages bascule dans la fragilité économique, qui est une variable vraiment importante dans le taux de divorce. Les démographes constatent d’ailleurs un autre phénomène: les “living together apart”, des individus qui vivent ensemble en ne formant plus un couple. Leur situation économique est à ce point compliquée qu’ils n’ont pas les moyens de se séparer, quand bien même ils voudraient le faire.» Si dans les prochaines années le nombre de divorces vient à chuter, on ne le prendra dès lors pas forcément comme une bonne nouvelle.
(1) Prénom d’emprunt.
40%
L’augmentation du nombre de divorces chez les plus de 65 ans en six ans.
Comme des ados
Aujourd’hui, Margot, 74 ans, a retrouvé l’amour. De même que Gérard, 66 ans, que le départ de sa femme avait mis au tapis mais qui désormais réécrit en couple un nouveau chapitre. Comme Thierry, dont l’épouse, après trente ans de mariage, «ne pouvait plus continuer comme ça», et qui a pu se reconstruire avec quelqu’un «qui lui a souri».
Si les seniors choisissent le divorce, c’est plutôt dans la perspective d’une nouvelle vie amoureuse, pas d’une fin de vie dans la solitude. «Le but n’est pas de se retrouver tous les jours seul devant son assiette. Certains messieurs viennent même me consulter avant d’entamer les démarches de la séparation, pour être certains qu’ils ont encore leurs chances et que ça en vaut la peine», confie Marie de Duve, directrice de l’agence matrimoniale A2, qui constate elle aussi de plus en plus de cheveux gris dans sa clientèle. «Les seniors d’aujourd’hui sont encore très jeunes dans leur tête. A cet âge, on peut tout à fait retomber amoureux, avoir des papillons dans le ventre comme des ados.» Son client le plus âgé, encore très actif professionnellement, avait 91 ans.
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