Pourquoi il y a plus de parents solos en Wallonie qu’en Flandre (analyse)
Les couples sans enfants sont plus fréquents en Flandre qu’en Wallonie et beaucoup plus qu’à Bruxelles. Les familles monoparentales, elles, fleurissent au sud du pays et sont plus rares au nord. Pourquoi ces contrastes dans un si petit pays? A éplucher avec nuances.
Sur la digue de Coxyde, on entend moins de cris d’enfants qu’ailleurs. C’est que sur l’ensemble des couples qui y vivent, 38,1% sont sans enfants. Soit leurs gamins et gamines ont passé l’âge de vivre sous le même toit que leurs parents, soit ils n’en ont jamais eus. Coxyde est, selon les chiffres de Statbel, la commune de Belgique où les couples sans enfants sont les plus nombreux. A l’autre bout de ce classement établi pour les 582 communes de Belgique, on trouve le territoire bruxellois de Saint-Josse-ten-Noode, où les couples sans enfants sont nettement minoritaires: à peine un peu plus de un sur dix. La première commune francophone de la liste, Neupré, apparaît à la 154e place, avec un score de 31,5% de ménages sans enfants.
En Belgique, un duo parental sur quatre vit sans descendance à son domicile. Ce constat concerne 15% des ménages en Région bruxelloise, 22% en Wallonie et 29% en Flandre. On les trouve moins dans les grandes villes du pays que dans les régions rurales, et moins dans les communes qui s’égrènent le long du sillon Sambre-et-Meuse. Les différences géographiques sont donc marquées et marquantes. Comment s’expliquent-elles?
Disposer de précisions sur l’âge des couples sans enfants serait précieux: les plus âgés d’entre eux ne vivent vraisemblablement plus avec leur progéniture devenue adulte. Et suivant le mouvement «no kid», les duos plus jeunes établis choisissent, davantage que par le passé, de ne pas avoir de descendants, ou d’en lancer la conception plus tard dans leur parcours de vie.
Dans les grandes villes, et singulièrement à Bruxelles, on sait que les jeunes adultes ont tendance à rester plus tard chez leurs parents, le coût du logement, plus élevé qu’ailleurs, les empêchant parfois de prendre leur envol quand ils l’auraient souhaité. Ce sont de premiers éléments explicatifs.
Le niveau de richesse des habitants d’une commune est-il corrélé au nombre de couples qui y habitent sans enfants? En grande partie. Ainsi, parmi les dix communes à l’indice de richesse le plus élevé, toutes, à l’exception de deux, présentent un pourcentage de couples sans enfants supérieur à 30. Seules Lasne (25,9%) et Attert (22,5%) affichent un résultat un peu plus faible.
En bas de classement, le lien entre bien-être socioéconomique et famille sans enfants apparaît tout aussi évident: le pourcentage des ménages de ce type s’établit entre 10% et 20% dans les 17 communes qui clôturent la liste. Toutes sont situées en Wallonie ou en Région bruxelloise. Leur indice de richesse ne dépasse pas le seuil de 76 –soit moins de la moitié de l’indice relevé à Laethem-Saint-Martin (163), en tête de classement.
Enfin, on notera qu’en Flandre, l’âge moyen de la population est plus élevé que dans le reste du pays: 43 ans, contre 37,7 ans à Bruxelles et 41,7 ans en Wallonie. Coxyde, encore elle, détient la moyenne d’âge la plus haute de Belgique, autour de 55 ans, tandis que les habitants de la commune déjà évoquée de Saint-Josse-ten-Noode ont en moyenne 35 ans. Cette donnée peut largement expliciter pourquoi les habitants de Coxyde sont moins nombreux à cohabiter encore avec leur progéniture. La Région flamande affiche aussi une espérance de vie (82,6 ans) supérieure à ce qu’on relève dans la Région de Bruxelles-Capitale (81,6 ans) et en Wallonie.
«Une plus grande longévité s’explique là encore par un niveau global de richesses plus élevé en Flandre qu’ailleurs, souligne Marie-Thérèse Casman, collaboratrice scientifique à l’ULiège. Vivre dans la précarité va en effet de pair avec des conditions de vie plus rudes, notamment en matière de santé. Il faudrait lancer des recherches scientifiques plus fouillées pour déterminer si les couples sans enfants affichent un indice de richesse plus élevé parce qu’ils ne vivent pas ou plus avec leur progéniture ou s’ils n’ont pas d’enfants parce qu’ils sont plus riches. Selon moi, le lien causal fonctionne dans les deux sens. Mais j’ignore dans quelles proportions. C’est une hypothèse qui devrait être corroborée par des enquêtes approfondies.»
«Si le couple se sépare, il n’est pas rare que l’un des partenaires, sinon les deux, réintègre la ville.»
L’invisible frontière des monoparents
La photographie des familles monoparentales se décline elle aussi en dégradés différents selon les Régions du pays. En Belgique, une famille sur dix ne compte qu’un seul parent: 1.056.528 femmes sont dans cette situation, pour 232.559 hommes. Et encore… «En cas de garde partagée, souligne Marc Debuisson, démographe à l’Iweps, l’Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique, seul l’un des deux parents est considéré comme famille monoparentale; l’autre est enregistré comme isolé. Autrement dit, les statistiques ne sont pas l’exact reflet de la réalité de terrain.»
En Wallonie et à Bruxelles, selon Statbel, la monoparentalité est plus fréquente (12%) qu’en Flandre (8%). «Dans les statistiques officielles, on considère comme monoparentales tant des familles comprenant des enfants en bas âge qu’une maman de 80 ans qui habiterait avec sa fille de 50 ans, recadre Marc Debuisson. En Belgique, sur l’ensemble de ces ménages, 20% cohabitent avec des « enfants » de plus de 25 ans.» Dans ces cas, s’agit-il encore de parentalité au sens strict ou de cohabitation entre adultes?
La présence plus importante de parents solos dans les villes peut s’expliquer par la disponibilité des services que l’on trouve plus aisément en milieu urbain qu’à la campagne et par la plus grande diversité des relais pour les enfants. «Un couple avec enfants a souvent tendance à partir vivre en milieu rural, note Martin Wagener, professeur de sociologie à l’UCLouvain. Mais si le couple se sépare, il n’est pas rare que l’un des partenaires, sinon les deux, réintègre la ville.»
De nombreuses recherches se sont déjà penchées sur le lien entre indice socioéconomique faible et monoparentalité. Un parent solo qui dispose de moins de moyens financiers aura logiquement tendance à s’installer dans une commune où le prix du logement est plus bas, donc dans des quartiers moins bien cotés sur le marché immobilier et, selon toute vraisemblance, dans des habitats de moindre qualité.
Selon les données de Statbel, le pourcentage de familles monoparentales est d’ailleurs plus élevé dans la province de Hainaut. Autour de Mons et de Charleroi, ce taux atteint les 15%, avec un pic à 17% à Colfontaine. «Le lien entre monoparentalité et pauvreté explique notamment la forte présence de ce type de famille en milieu urbain et dans des régions industrielles», détaille François Ghesquière, attaché scientifique à l’Iweps. Il n’est pas plus facile de vivre avec peu de moyens en milieu rural, ne fût-ce que parce que vivre à la campagne nécessite des frais supplémentaires pour assurer ses déplacements. Et que les autres membres de la famille, relais potentiels, ne vivent pas forcément dans la même région.
«On peut faire l’hypothèse que la pauvreté fragilise les liens familiaux.»
Herstappe, village le moins peuplé de Belgique situé dans le Limbourg, ne compte que 3,5% de familles emmenées par un parent seul. Son indice de richesse est élevé: 111. A Coxyde, toujours elle, où l’indice de richesse s’établit à 140, seuls 5,3% des familles ne comptent pas deux parents. «L’indice de richesse est, selon moi, assez fondamental pour expliquer les chiffres de la monoparentalité en Belgique, avance Marie-Thérèse Casman. On peut faire l’hypothèse que la pauvreté, qui survient certainement après la rupture d’un couple mais lui préexiste parfois, fragilise les liens familiaux et induit de plus grandes tensions entre parents.» Ce qui engendre davantage de séparations, donc de cas de familles dirigées par des parents solos.
«La monoparentalité est plus élevée dans les pays qui offrent un haut niveau de protection sociale.»
Fécondité, emprunts, divorces…
En matière de survenance de la monoparentalité, bien des facteurs jouent, dans un sens ou dans l’autre: les Bruxellois et les Wallons divorcent-ils plus que les Flamands? Oui, selon les données de Statbel. En 2022, l’indicateur de divorcialité affichait un score de 410 pour 1.000 mariages en Wallonie, de 362 en Région de Bruxelles-Capitale et de 337 en Flandre. La fécondité est-elle plus élevée au sud du pays qu’au nord, créant de facto davantage de situations potentielles de monoparentalité en cas de séparation? De fait: ce fut le cas pour la Wallonie, depuis 1984 et jusqu’en 2017; et pour Bruxelles, de 1984 à 2020. «Avancer systématiquement une raison socioéconomique pour justifier la monoparentalité constitue une excuse un peu facile, estime Marc Debuisson. C’est beaucoup plus complexe que cela.»
On pourrait ainsi évoquer encore l’importance des emprunts contractés par un ménage relevant de la classe moyenne –emprunte-t-on plus en Flandre qu’ailleurs?– et son lien avec la fréquence de la monoparentalité. Tenus de rembourser ces prêts, ces couples avec enfants font le choix de ne pas se séparer pour honorer leurs engagements bancaires. Dans le même registre, un couple dont les deux conjoints travaillent et gagnent confortablement leur vie seront moins réticents à l’idée de se séparer, s’il échet, car leur séparation ne remettra pas ou peu en cause leur niveau de vie. Ce qui pose la question du taux d’emploi, qui varie entre les trois Régions du pays, et plus précisément du taux d’emploi des femmes…
«Les familles monoparentales sont aussi diversifiées que les autres, relève Martin Wagener. En Flandre, la conception du rôle de la femme au sein de la famille reste sans doute plus traditionnelle qu’au sud du pays. Le coût culturel d’un divorce doit y être plus élevé qu’à Bruxelles, par exemple.» Ce qui a certainement un effet sur le nombre de parents solos vivant avec leurs enfants. «En Europe, on observe aussi que la monoparentalité est plus élevée dans les pays qui assurent un haut taux de protection sociale, comme en Belgique, en France, aux Pays-Bas ou dans les pays scandinaves, poursuit Martin Wagener. Quand les femmes savent qu’elles pourront compter sur la protection de l’Etat, elles optent plus facilement pour le divorce.»
Qu’en est-il encore de l’accès à la contraception? Les couples à moindre niveau d’éducation et d’information s’en procurent sans doute moins systématiquement que les adultes issus d’un milieu plus favorisé. Donc ont davantage de chances de devenir parents, avec une probabilité plus élevée que ce parcours se termine en famille monoparentale… Et que le schéma se reproduise à la génération suivante.
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La question, on le voit, n’a rien de simple. De très nombreux paramètres, économiques, éducationnels, culturels, familiaux et sociaux peuvent justifier, ou éclairer, les chiffres contrastés de Statbel. Sous ces données brutes, bien des réalités, souvent liées à l’intime, se cachent…
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