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Pat’Patrouille, Gabby ou les Schtroumpfs: pourquoi vous devriez surveiller la vitesse des dessins animés de vos enfants
Les programmes télévisés pour enfants peuvent épuiser leurs ressources cognitives, notamment chez les plus jeunes d’entre eux. La vitesse des changements de plan crée rapidement un sentiment de saturation, qui rappelle l’importance d’encadrer l’usage des écrans.
Il suffit de s’installer devant l’écran avec un enfant et de se mettre à compter. Au bout d’une minute, combien de changements de plan se sont produits dans le dessin animé qu’elle ou il regarde? Champ-contrechamp, gros plan, zoom, vue d’ensemble, etc. Sans oublier les possibles flashs, mouvements rapides et autres effets visuels. Autant de stimuli que de jeunes cerveaux doivent absorber et qui épuisent, littéralement.
Bombardés d’informations visuelles et sonores, les plus jeunes téléspectateurs peuvent ressortir lessivés d’une période devant l’écran, même brève, avec des effets immédiatement visibles. Crise, larmes, hurlements, ils en veulent encore, insistent, menacent, frappent parfois. Mais pourquoi?
«Le mécanisme d’attention est fortement et constamment sollicité devant une série ou un dessin animé. Il y a des relances permanentes pour capter le spectateur. Chez les plus jeunes, avec un cerveau en plein développement, ce n’est pas étonnant qu’il n’y ait plus aucune ressource pour gérer les émotions après cela», explique le psychopédagogue Bruno Humbeeck, auteur de nombreux ouvrages sur la parentalité et la famille.
Des dessins animés toujours plus rapides?
Ces paramètres techniques de nervosité du montage, des plans et de l’action à l’écran restent difficiles à capturer et à mesurer. Ils sont le fruit d’une époque, d’un tempo devenu plus nerveux au fil du temps, pas seulement à la télévision, d’ailleurs. Les films d’hier paraissent lents, les réseaux sociaux poussent au défilement frénétique, Netflix propose de regarder ses séries en vitesse accélérée pour gagner du temps. Que les dessins animés pour enfants suivent la tendance est peu surprenant.
«Les mangas adaptés en animé ont marqué le début de cette accélération des plans, proche du zapping. Ça donne effectivement cette impression que le cerveau doit capter énormément d’informations en très peu de temps. La narration et le récit passent alors au second plan et il n’y a plus cette forme de contemplation, plus lente, notamment nécessaire à l’émerveillement», poursuit le spécialiste.
Plus l’enfant est petit, notamment vers 3 ou 4 ans, plus il faut faire attention à ces mécanismes et à la rapidité de ce qui est proposé, insiste-t-il. «Si on habitue l’enfant à scroller sur un smartphone, si on le place devant des dessins animés dans lesquels ça part dans tous les sens, son cerveau sera configuré pour que son attention soit captée en permanence, mais de manière très superficielle, avec une incapacité à la concentration plus profonde. Imaginez-vous dans une pièce dans laquelle des réveils sonnent toutes les deux secondes. Votre attention sera accaparée, sautera d’un objet à l’autre, jusqu’au moment où il y aura une saturation.»
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D’autres troubles
Outre l’épuisement mental et les problématiques d’attention, l’enfant peut présenter d’autres troubles lorsque l’exposition aux écrans est trop fréquente. Ceux liés au langage sont parmi les mieux documentés. «Il y a une concordance entre le temps devant l’écran et le développement langagier de l’enfant, qui s’affaiblit en fonction de la durée d’exposition. Y compris lorsque la télé est allumée en bruit de fond», détaille Grégoire Borst, professeur de psychologie du développement et de neurosciences cognitives de l’éducation à l’Université Paris Cité.
L’an dernier, il a participé à la production d’un important rapport français sur l’impact de l’exposition des jeunes aux écrans au sein d’un groupe d’experts, commandé par le président Emmanuel Macron. Tous les aspects liés aux écrans, du plus jeune âge à l’adolescence, ont été scrutés, avec des conclusions claires. «Il se dégage un consensus très net sur les effets négatifs, directs et indirects, des écrans sur le sommeil, la sédentarité, le manque d’activité physique et les risques de surpoids voire d’obésité, avec en cascade les pathologies qui en découlent», affirme notamment le rapport.
Le risque en tant que parent, c’est de ne pas être suffisamment vigilant à garder les enfants dans des environnements qui conviennent à leur âge.
Grégoire Borst
Professeur de psychologie du développement et de neurosciences cognitives de l’éducation à l’Université Paris Cité
La recommandation sur l’absence d’écran avant 3 ans est également martelée par le groupe d’experts. Même s’il ne faut pas ouvrir les vannes sans contrôle par la suite. «La progressivité et l’adaptation des contenus auxquels on expose nos enfants sont parfois oubliées. Le risque en tant que parent, c’est de ne pas être suffisamment vigilant à les garder dans des environnements qui conviennent à leur âge», explique Grégoire Borst.
L’accompagnement permet en effet aux plus petits d’apprivoiser les codes de l’audiovisuel, à l’aide d’un parent, qui sera là également pour verbaliser les émotions devant l’écran. Le fait de regarder ensemble permet aussi de vérifier le contenu dans sa globalité, qui peut aussi reposer sur les aspects «techniques», dont la vitesse de défilement des images dans les dessins animés. Ces aspects sont en effet oubliés des recommandations concernant l’âge des programmes (tous âges, 6 ans et plus, etc.), qui vérifient seulement l’absence d’images préjudiciables à l’enfant, comme la violence, la peur, le sexe, ou encore le langage grossier.
Retrouver des temps de déconnexion
Les deux experts se rejoignent sur l’importance de retrouver du temps hors écran. Un conseil qui vaut également pour les adultes et sur l’image qu’ils renvoient en étant scotchés eux aussi. «Il faut des temps de déconnexion dans les familles. Le moment du repas est crucial, car on y interagit, on échange. C’est fondamental pour les enfants, en premier lieu pour le langage évidemment», selon le professeur.
«Il faut effectivement s’interroger sur nos propres comportements, complète Bruno Humbeeck. L’adulte doit prendre conscience des mécanismes qui font qu’il est aliéné aux écrans, que son attention est détournée par la présence du smartphone, qui accapare aussi ses ressources en le sollicitant sans arrêt. C’est devenu un capteur d’attention permanent, invasif, qu’on ne rencontrait pas avec la télévision. La déconnexion doit donc être vue comme un problème familial, pas seulement des enfants ou des adolescents.»
La place de l’écran appelle aussi à une prise de conscience de l’intolérance grandissante de la société par rapport aux enfants. Donner son smartphone pour occuper est devenu un geste refuge, qui permet d’éviter de se confronter au jugement des autres. «Il suffit de monter dans un train et d’observer comment les familles avec enfants sont dévisagées par les autres passagers. Tout le monde espère qu’on mette vite un écran dans les mains des petits pour avoir le calme. La place des écrans dans nos sociétés est une problématique beaucoup plus complexe qu’un simple souci de surconsommation ou de contenu», conclut Grégoire Borst.
Plutôt Cocomelon ou Bluey?
Pour se faire une idée de la cadence d’images dans certains programmes pour enfants, une dizaine de dessins animés ont été analysés par Le Vif à l’aide d’une solution automatisée. Celle-ci a marqué tous les changements de plan, en se basant sur les déviations brusques dans la colorimétrie de l’image, afin d’en tirer une moyenne au bout de l’émission. L’exercice est loin d’être scientifique et affiche une certaine marge d’erreur, mais démontre bien les différences notables de vitesse dans les dessins animés pour enfants (voir ci-dessous).
Parmi les programmes les plus «nerveux» de cette courte sélection, l’adaptation des petites briques danoises dans la série Lego City remporte la palme, avec un changement de plan en moyenne toutes les deux secondes. Pour cette série en particulier, la sensibilité de détection a dû être diminuée afin d’éviter de trop nombreuses fausses détections dues aux effets visuels, mouvements de caméra ultrarapides et action en pagaille.
Si Lego et les Schtroumpfs, dans une série courte en 3D, sont parmi les plus rapides, ils sont étiquetés pour les 6 ans et plus, là où Cocomelon, véritable phénomène sur YouTube, est le programme «tous âges» le plus rapide de la sélection.
L’analyse ne s’attarde pas sur le contenu de l’émission, pour lequel chaque parent se fera une opinion. Certains programmes jouent en effet sur des aspects plus éducatifs, profitant d’une histoire pour faire passer des messages ou des apprentissages.
La problématique des «baby tv», ces chaînes spécifiques proposant du contenu soi-disant adapté pour les enfants de moins de 3 ans, avec un rythme lent et des images plus simples, n’a pas été prise en compte ici, même si leur existence peut étonner, au vu des recommandations existantes. Un court message d’avertissement rappelant aux parents les effets néfastes de la télévision s’imprime sur l’écran, mais ne bloque nullement le contenu. Sous prétexte de proposer une activité adaptée, ces chaînes ne font en réalité rien d’autre que priver les plus jeunes des jeux, des interactions humaines et d’apprentissages essentiels au développement, rappelle notamment le psychiatre français Serge Tisseron dans un ouvrage publié sur la plateforme yapaka.be.
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