Pas assez formé, le personnel des crèches? « Il y a un gros décalage »
Les écoles supérieures francophones inaugurent un bachelier pour mieux professionnaliser le secteur, qui présente certaines faiblesses.
Pour l’ONE, une formation plus solide et une revalorisation du statut des accueillants permettront d’attirer plus de candidats vers le secteur des crèches. Sylvie Anzalone, porte-parole.
Pourquoi proposer une formation plus poussée pour le personnel des crèches? Celles qui existent sont-elles insuffisantes?
En février 2019, le parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles a approuvé deux décrets relatifs à la réforme des milieux d’accueil et de la petite enfance. Cette réforme visait à améliorer la qualité et l’accessibilité de l’accueil, ce qui justifiait une révision conjointe de la formation des professionnels du secteur. Un autre élément a pesé dans la balance: toutes les recherches internationales indiquent que la formation initiale des professionnels de l’enfance est une des variables clés pour le développement d’une qualité d’accueil. Cette formation initiale a donc été reconnue comme objectif prioritaire dans les contrats de gestion de l’ONE. C’est dans ce cadre que, dès 2011, l’organisme a confié à l’ULiège la mission de dresser un état des lieux du milieu de l’accueil de l’enfant de 0 à 12 ans.
L’étude universitaire a mis en évidence certaines faiblesses du système actuel, comme le morcellement de la formation et le niveau de qualification. En effet, certaines formations se sont avérées inférieures au niveau de l’enseignement secondaire sans certificat d’enseignement secondaire supérieur (CESS). Comparé aux compétences requises pour pouvoir accueillir les enfants, il existait dès lors un gros décalage. L’ULiège a également formulé des recommandations pour mieux cerner les métiers de l’enfance et les compétences nécessaires, et établir une organisation plus en phase avec l’évolution de la société et les besoins des tout-petits. Parmi ces recommandations, certaines portaient sur la mise en place d’un parcours de formation cohérent et mieux articulé.
Sylvie Anzalone «Un bachelier permettra de combler le retard qu’accuse la FWB.
Qu’adviendra-t-il des travailleurs qui ont suivi des formations moins qualifiantes? Seront-ils mis sur la touche au profit des bacheliers?
On a voulu assurer une protection pour les personnes déjà en fonction. Il n’est pas question de leur dire que leur formation n’est plus valable et qu’elles ne pourront plus travailler dans les crèches. Par contre, le fait que le nouveau dispositif ouvre la porte aux bacheliers permettra de combler le retard qu’accuse la Fédération Wallonie-Bruxelles dans le secteur par rapport à d’autres pays. En effet, les recommandations européennes indiquent qu’au vu des enjeux actuels, 30% à 60% des personnes actives dans l’accueil de la petite enfance devraient avoir un niveau de formation équivalent à un bachelier. L’autre lacune, par rapport à ces recommandations, était l’absence de possibilité de progression.
Concrètement, qu’apportera cette formation comme plus-value dans la prise en charge des enfants dans les crèches?
Jusqu’en juin 2022, les formations professionnelles n’existaient que dans l’enseignement secondaire qualifiant et l’enseignement en alternance de l’IFAPME (Institut wallon de formation en alternance et des indépendants et petites et moyennes entreprises). Dorénavant, les candidats ont la possibilité de s’engager dans un cursus spécifique de niveau supérieur, ce qui leur permettra d’approfondir leurs compétences organisationnelles, relationnelles et réflexives.
Autant de compétences devenues vraiment nécessaires pour soutenir un accueil de qualité. Cela ne signifie pas que nous remettons en question la bonne volonté ou même les qualités professionnelles des accueillantes actuellement en place, mais on constate tout de même un écart entre les diplômes et les pratiques professionnelles qui sont attendues. Autre aspect important: jusqu’ici, la société n’a pas pris suffisamment en compte l’évolution de la fonction des milieux d’accueil de l’enfance. L’attention était focalisée sur le soin et l’hygiène.
Aujourd’hui, nous nous situons dans une approche beaucoup plus globale de l’enfant et dans tous les domaines de son bien-être et de son développement. Cela va du registre du langage à l’aspect psychoéducatif en passant par la protection de l’enfant par rapport aux violences ou sa participation aux activités même s’il ne parle pas encore. Il est également important de prendre en compte l’évolution de la société en ce qui concerne la diversité des contextes familiaux et sociaux et de pouvoir faire face aux nouveaux défis tels que la migration, la recomposition familiale, la précarité, etc. Les métiers de l’accueil participent à la réduction des inégalités. Pourtant, ils manquent cruellement de reconnaissance sociale et financière. Il nous semble qu’un bachelier peut vraiment attirer des jeunes vers la profession.
Pour les crèches privées qui souffrent déjà de la crise, engager du personnel plus qualifié sera compliqué… C’est l’effet recherché?
Il est nécessaire d’injecter davantage de moyens dans les crèches, mais si on veut professionnaliser un secteur, il faut mettre en place des mesures plus contraignantes. Aujourd’hui, on considère encore trop souvent que ce n’est pas bien compliqué d’accueillir des enfants, puisque c’est un secteur féminin et que les femmes ont souvent des enfants. Il est également essentiel d’éviter au maximum les enjeux de marchandisation du secteur et d’inscrire cette réforme dans le système non marchand.
C’est aussi pour remédier à ce problème qu’a été établi le Plan cigogne, qui vise à créer 5 200 places subventionnées (NDLR: infrastructures et personnel, à l’horizon 2025) en crèche. Le secteur privé peut évidemment continuer à ouvrir des milieux d’accueil mais l’idéal reste «un enfant = une place d’accueil». Pour cela, il faut que la crèche reste accessible à tous les parents, quel que soit leur salaire. En ce qui concerne la crise dont souffre le secteur, il est vrai que nous avons enregistré des fermetures, essentiellement de milieux d’accueil non subventionnés. Toutefois, n’oublions pas que nous nous trouvons dans un contexte de crises successives: Covid-19, énergie, flambée des loyers, pénurie de personnel, contrats précaires…
Selon le Forem, ces difficultés se font surtout sentir en Région wallonne mais on ne peut pas vraiment parler de pénurie. Elles seraient surtout liées aux conditions de travail, par exemple pour les personnes ne disposant pas de véhicule alors que les horaires d’un travail en crèche ne sont pas simples. Cela implique d’être présent tôt le matin ou tard le soir. En outre, l’ONE a mis en place de nombreuses mesures d’aide d’urgence pour ces milieux d’accueil: négociation de loyers ou recherche de locaux, recherche de repreneurs… Mais pour certains parents, cela reste difficile d’assumer financièrement une place dans un milieu d’accueil privé.
Dixit
«Ce sont en majorité des femmes qui se trouvent dans les milieux d’accueil et pendant la crise du Covid, on a vu que c’était un secteur essentiel. Or, ces métiers n’attirent plus car ils sont peu valorisés financièrement et sont peu reconnus socialement…»
Damien Hachez, chargé d’études et d’action politique à la Ligue des familles, sur La Première (05/09/23).
«Oui, on fait du gardiennage, mais on ne garde pas des meubles ou des voitures. On garde des petites personnes. Il faut aussi qu’on s’occupe de nos fins de carrièrex.»
Michelle Collard, puéricultrice depuis 35 ans à Richelle, en région liégeoise, à propos de la grève des puéricultrices en mai 2021 en vue de revaloriser le secteur (RTBF Info)
«Ce qui est différent d’une formation en puériculture, c’est le temps qu’on laissera à la réflexion dans la manière d’aborder les cours.»
Emilie Devos, directrice du département sciences de l’éducation de la haute école Lucia De Brouckère, référente pour la formation de bachelier en accueil et éducation du jeune enfant (RTBF Info, 4/09/23).
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