
Belle-mère, beau-père: comment trouver sa place? «Je voulais créer une tribu, lui privilégiait ses enfants»
Jouer au parent-pote, passer pour la marâtre, éduquer les enfants d’un ou d’une autre, construire une nouvelle famille sans fragiliser son couple: la vie de belle-mère ou de beau-père est un véritable challenge. Certains trouvent vite leur place, d’autres ne parviennent jamais à se faire accepter.
«Avec le recul, je me demande pourquoi je me suis autant acharnée. Pourquoi j’ai autant encaissé.» Lorsqu’elle songe à ce rôle de belle-maman endossé il y a 30 ans, Rosalie (1), la soixantaine, ressent une pointe d’amertume. Entre elle et ses deux beaux-enfants, qui n’avaient que 3 et 7 ans lorsqu’elle s’est mise en couple avec leur papa, «le lien ne s’est jamais tissé». Il y a bien eu quelques moments de partage et de complicité mais elle ne s’est jamais sentie proche d’eux, ni acceptée.
Avec son compagnon, Rosalie a eu un fils, aujourd’hui âgé de 27 ans. Lui est parvenu à nouer une relation fraternelle avec son demi-frère et sa demi-sœur. Mais la famille recomposée n’a jamais trouvé ni la cohésion, ni l’harmonie.
«Au début de notre relation, mon conjoint et moi vivions séparément. J’étais enceinte de six mois lorsque j’ai emménagé dans son appartement. Je me rappelle que la première fois que nous avons dîné tous ensemble, sa fille m’a regardé et m’a lancé « toi, tu ne dors pas ici ». Sur le moment, j’ai pouffé de rire.» Rosalie n’imaginait pas à cet instant qu’entre elle et ses beaux-enfants, les relations seraient toujours conflictuelles. «Le garçon était un peu plus tendre, bien qu’assez agité. C’est un écorché vif qui a toujours été dans sa bulle. C’est toujours le cas aujourd’hui. Quant à sa sœur, qui vit à l’étranger, elle reconnaît que j’ai pu lui apporter certaines choses malgré tout. Mais lorsqu’elle rentre en Belgique, elle ne s’adresse qu’à son père, jamais à moi. J’avais proposé de créer un groupe WhatsApp pour améliorer la communication avec les enfants mais cela ne s’est finalement jamais fait.»
«La première fois que nous avons dîné tous ensemble, sa fille m’a regardé et m’a lancé “toi, tu ne dors pas ici”.»
Comment trouver sa place, en tant que belle-mère ou beau-père, dans une nouvelle configuration familiale? Comment gagner l’amour de la progéniture de l’autre? Contrairement à la maternité et à la paternité, la «belle-parentalité» fait l’objet de peu d’études et de recherches et les ouvrages traitant du sujet sont rares. «Les études menées jusqu’ici, explique Sarah Galdiolo, professeure de psychologie clinique à l’UMons et autrice de Psychologie du couple (De Boeck Supérieur, 2024), se sont surtout intéressées à un des deux membres, le beau-père ou la belle-mère, ou aux parents du partenaire, mais rarement à la dynamique du couple en cas de recomposition familiale. Ni à la complexité de cette recomposition, qui implique non seulement les deux conjoints et les enfants mais aussi l’ex-conjoint, l’autre parent biologique.»
L’ami de maman
A travers l’un de ces rares ouvrages consacrés au sujet, Belle-mère, beau-père. Trouver sa place (éd. Esf, 2024), Ivy Daure, docteure en psychologie clinique et professeure à l’université de Bordeaux, explore cette complexité. Le beau-parent et l’enfant, mais aussi ce nouveau couple dont la solidité se trouve mise à rude épreuve lorsque des conflits surgissent. «De nombreux parents ont entendu leurs enfants prononcer la phrase fatidique « je ne veux pas que tu aies un(e) autre amoureux(se) ». Dans certaines situations, ces impératifs des enfants se confrontent à l’impératif amoureux des parents qui, dans l’élan de la rencontre, peuvent être pressés de vivre une relation épanouie et de la partager en famille.»
Dans la littérature, ajoute l’autrice, il existe pourtant une forme de consensus pour dire que les enfants souhaitent généralement que leurs parents se remettent ensemble. Dans ce contexte délicat, la rencontre avec le nouveau partenaire est un moment clé de la recomposition familiale. «Il est important de la soigner, de faire attention à ce qu’elle n’arrive pas trop tôt par rapport à la séparation des parents, ni trop longtemps après un long célibat du parent, alors que l’enfant croit que plus personne d’autre n’interviendra dans sa relation avec son parent.» Il est également préférable, estime la psychologue clinicienne, de ne pas cacher aux enfants la vraie nature de la relation avec l’autre, en le présentant dans un premier temps comme un(e) ami(e), puis finalement comme son ou sa partenaire. Une recommandation que relativise Sarah Galdiolo. «L’honnêteté est en effet importante mais il faut également rester attentif à ne pas brûler les étapes. Tout dépend de l’âge de l’enfant et de son degré de maturité.»
«De nombreux parents ont entendu leurs enfants prononcer la phrase fatidique: “Je ne veux pas que tu aies un(e) autre amoureux(se)”.»
Pour que la famille recomposée puisse fonctionner, précise Ivy Daure, la relation entre le parent séparé et l’enfant doit être consolidée. Ce n’est qu’à cette condition qu’un tiers pourra entrer dans le cercle. «Si cet espace n’a pas été créé, l’enfant peut alors vivre l’arrivée de ce nouveau partenaire comme une intrusion et s’indigner que personne ne lui ait demandé son avis.»
D’autant que l’arrivée d’un autre adulte dans la vie de son enfant peut aussi être mal vécue par l’ex-partenaire, l’autre parent biologique. Il n’est alors pas rare que de nouveaux conflits naissent, autour de l’organisation de la garde alternée ou de la manière dont le beau-parent se comporte avec l’enfant, voire sur sa personnalité, ses valeurs.
Cette précédente union, surtout si elle s’est finie en mode Kramer contre Kramer, laisse bien souvent des stigmates. Pour Ivy Daure, il ne faut pas sous-estimer le poids et l’influence de ces anciennes relations dans la dynamique de la famille recomposée. Ni le risque que l’enfant s’imagine devoir choisir dans quel camp se placer. «D’un côté, s’il va dans le sens de son parent et lui obéit quand il lui demande de dénigrer son père ou sa mère et le nouveau partenaire, cela signifie, pour lui, devoir s’exposer au risque de perdre l’amour de sa mère ou de son père (et du conjoint). Mais de l’autre côté, s’il suit son parent et accueille ce nouveau conjoint, l’enfant prend le risque de perdre l’amour de sa mère ou de son père puisqu’il se montre « déloyal » envers elle ou lui.»
Armés et solidaires
Etre dans l’ombre d’une autre et une place qu’elle n’est jamais parvenue à se faire entre celui qu’elle aimait et ses deux garçons: c’est ce qu’a vécu Leonor (1). Il y a deux ans, elle et son mari ont pris la décision de se séparer. «Lorsque nous nous sommes rencontrés, ses deux garçons étaient âgés de 7 et 11 ans. Nous avons attendu un an avant de faire les présentations. Au début, tout se passait très bien. Les garçons ne s’entendaient pas très bien avec le conjoint de la maman et nous représentions donc le côté « positif ».» Après un an et demi de relation, le couple emménage à mi-chemin entre leurs deux domiciles. «A partir de là, nous avons accumulé les difficultés. Je mettais 1 h 40 pour conduire ma fille à l’école, à Bruxelles. Les garçons, eux, jouaient au football dans un club de la région namuroise. Ils n’étaient pas souvent à la maison.»
«Le papa s’installait alors à l’autre bout du canapé pour ne pas mettre ses enfants mal à l’aise.»
L’ambiance s’est encore davantage dégradée lorsque la maman des garçons a rompu avec son conjoint. «L’aîné, un enfant hypersensible, a alors changé de comportement avec nous, sans doute en raison d’un conflit de loyauté envers sa maman qui était malheureuse. C’est un garçon qui éprouve des difficultés à gérer ses émotions. Tout comme son père, d’ailleurs. Le matin, je n’avais pas droit à un bonjour et lors des repas, il ne cessait de me fixer. Un jour, j’ai fini par lui dire que je ne lui demandais pas de m’aimer, juste de me témoigner du respect.»
Au fil des mois, la famille recomposée s’est scindée en deux noyaux: D’un côté, le papa et ses garçons, de l’autre Leonor et la fille que le couple a eue ensemble. «La vie de famille était organisée en fonction des entraînements et des matchs de foot des garçons. Je mangeais tantôt avec ma fille, tantôt avec les garçons. Les soirées film que je proposais étaient refusées au profit de soirées foot à la télé. Le papa s’installait alors à l’autre bout du canapé pour ne pas mettre ses enfants mal à l’aise et me témoignait très peu d’affection. Il n’était d’ailleurs pas rare que je me retrouve seule le soir dans ma chambre.»
Leonor garde aussi le souvenir du peu de soutien d’un conjoint qui prenait systématiquement le parti de ses enfants. «Il tenait un discours différent selon qu’il s’adressait à moi ou à ses enfants. Nous n’avions tout simplement pas les bonnes clés: moi je voulais créer une tribu, lui privilégiait sa relation avec ses enfants. Il n’est jamais parvenu à s’investir dans ce projet de famille recomposée. Or, pour que cela fonctionne, il faut impérativement que le couple soit armé et solidaire.»
Le manque de soutien de son conjoint, c’est aussi ce que déplore Rosalie. «Il témoignait d’une forme de loyauté envers ses enfants, qu’il voulait protéger. Certains hommes disent à leurs enfants « c’est la femme que j’aime, vous devez la respecter ». Lui ne l’a jamais fait. J’ai pensé le quitter plusieurs fois mais il y avait notre fils… Ce manque de soutien a laissé des traces. Aujourd’hui, il admet tout de même que la situation n’a pas été facile à vivre pour moi.»
«Pour certaines personnes, inclure son partenaire est forcément une richesse. D’autres se montrent plus individualistes.»
«Pouvoir compter sur un conjoint qui vous épauledans l’exercice d’une parentalité est l’un des fondements du couple. Mais cet appui est plus difficile à accorder si les deux personnes ne partagent pas les mêmes valeurs. Il dépend aussi de la manière de concevoir la place d’un tiers dans sa relation avec ses enfants, analyse Sarah Galdiolo. Pour certaines personnes, inclure son partenaire est forcément une richesse, même s’il ne partage pas tout à fait les mêmes conceptions. D’autres se montrent plus individualistes.»
Leonor est revenue vivre à Bruxelles avec sa fille. Avec le recul, son ex-mari reconnaît également qu’il ne l’a pas épaulée, et qu’il n’avait pas pansé les blessures de sa précédente relation, s’empêchant ainsi d’en construire sereinement une nouvelle. L’aîné des deux garçons a lui aussi reconnu qu’il avait mené la vie dure à sa belle-mère. «Aujourd’hui, je me rends compte que je suis allée loin dans le sacrifice», réalise Leonor.
Humour et jeux de société
Pour Jessica et Ludovic, tous deux quadragénaires, et leurs enfants respectifs, les relations se sont construites en douceur. Ils se rencontrent en 2024 alors qu’elle est séparée depuis 2019, lui depuis quelques mois seulement. Après avoir fait connaissance, chacun de leur côté, des enfants de l’autre, et puisque tout s’était bien passé, les conjoints ont organisé une rencontre «surprise» au restaurant entre les quatre jeunes (âgés de 16 et 23 ans pour ceux de Jessica et de 17 et 19 ans pour ceux de Ludovic). «Nous ne les avions pas prévenus, de peur qu’ils stressent ou qu’ils se débinent. Arrivés au restaurant, Ludovic et moi avons lancé quelques sujets de conversation et très vite, les enfants se sont mis à discuter ensemble.»
La stratégie adoptée par Jessica et Ludovic pour que l’harmonie règne dans la famille consiste à gérer le temps, en partageant certains moments tous ensemble, avec les enfants du conjoint, et en réservant d’autres à leur propres enfants. Le couple a aussi fait le choix d’emménager ensemble mais de garder l’appartement de Ludovic, situé dans le même village. Les enfants peuvent s’y rendre à leur guise. «Deux logements, ça représente un coût important. Mais nous l’avons envisagé comme un investissement dans quelque chose de plus durable, dans de la sérénité. Nous voulions pouvoir établir des bases solides.»
Dans cette famille recomposée, rien n’est laissé au hasard: les jeux de société sont utilisés pour apprendre à mieux se connaître et stimuler la complicité, les escape games pour développer la coopération, l’implication des enfants dans les tâches ménagères est discutée et les repas conviviaux autour de grandes tablées rythment les week-ends. «A chaque étape réussie, on passe à la suivante, s’enthousiasme le couple. Et en matière de valeurs ou d’habitudes de vie, comme l’alimentation, on est raccord.» Jessica et Ludovic attribuent surtout cet équilibre familial à une bonne communication entre les membres de la tribu et à l’humour, qui apporte une certaine légèreté et désamorce les conflits.
«L’élève que je connais le mieux»
Des valeurs partagées, une vision et des attentes communes. C’est aussi ce que décrit Pierre. Ce quadragénaire, directeur d’école à Bruxelles, a rencontré sa compagne dans les couloirs de son établissement en 2020. Une maman d’élève qui est vite devenue plus que ça. Depuis plus de quatre ans, Pierre cumule le statut de directeur et de beau-papa. «Au début de notre relation, la décision avait été prise de faire sauter l’élève (son fils) d’une classe. Le papa, qui ne vit pas en Belgique, s’était senti exclu. J’ai donc été amené à le recevoir dans mon bureau pour discuter de la scolarité de son fils. Ce qui était assez particulier.»
«Nous avons mis une bonne année à nous apprivoiser. Aujourd’hui, on est au clair sur la place de chacun.»
Le couple, qui s’était formé en juin, a attendu le mois d’août pour informer l’enfant (aujourd’hui âgé de 11 ans) que «Monsieur le directeur» allait devenir son beau-papa. «A la rentrée, comme nous venions ensemble à l’école, les autres enfants pensaient que j’étais son papa. Pour lui, ce fut difficile à vivre.» Le malentendu s’est heureusement vite dissipé. «En tant que directeur, c’est l’élève que je connais le mieux. Mais pas celui que je vois le plus dans mon bureau, étant donné qu’il a un bon comportement», souligne Pierre.
L’autre relation, le lien familial, n’a pas été évident à établir. «Nous avons mis une bonne année à nous apprivoiser. Par moments, il me faisait comprendre qu’il craignait que je lui pique sa mère. Mais mon objectif n’a jamais été de prendre la place de son papa, bien que cela faisait six ans qu’il vivait seul avec sa mère. Aujourd’hui, on est au clair sur la place de chacun.» Le beau-papa directeur concède qu’il reste parfois un peu mal pris lorsque sa compagne est en désaccord avec l’institutrice de son fils. «Nous ne partageons pas toujours le même avis sur le plan pédagogique et sur la manière de travailler de mes enseignants. Pour éviter que cela ne tourne à la dispute, nous convenons parfois de ne pas en parler. Après tout, on ne se met pas en couple avec une autre personne pour entrer en conflit avec elle.»
Pierre a compris que chacun avait trouvé son équilibre dans cette nouvelle configuration le jour où son beau-fils, de retour d’une semaine passée chez son père en France, s’est exclamé «je suis rentré à la maison». «A ce moment-là, j’ai su que c’était gagné.»
(1) Le prénom a été modifié.20% de familles recomposées
Selon le Baromètre 2022 de la Ligue des familles, 54% des familles sont des dites «classiques», 20% sont recomposées et 26% sont monoparentales. Parmi les parents séparés, 28% pratiquent la garde alternée égalitaire (la moitié du temps avec chacun d’eux) des enfants, contre 39% qui en ont la garde exclusive.
Plus de la moitié des parents s’arrangent à l’amiable (51%) pour régler la question de l’hébergement des enfants. Vingt-cinq pour cent sont passés par un jugement, 6% par une médiation, 5% par un notaire. Pour le reste, 15% ont demandé à une connaissance (famille, amis…) de jouer le rôle «d’arbitre» et dans 17% des cas ce sont les enfants qui ont décidé.
Le club des marâtres
Coach et par ailleurs belle-mère de deux filles, Aurélie Maquils a eu l’idée de créer un espace de parole sur Meta, la page #maratres2.0, pour les femmes qui ressentent le besoin de partager et d’échanger à propos de leur expérience au sein d’une famille recomposée.
Le projet, qui aboutira d’ici peu, inclut des ateliers autour de thématiques spécifiques (trouver sa place dans la famille, comment imposer certaines règles, se faire respecter, etc.). «Personnellement, j’aurais voulu savoir où je mettais les pieds avant de devenir belle-maman, même si je ne remets pas mon engagement en question.»
Comme beaucoup d’autres «marâtres», Aurélie a été confrontée aux difficultés spécifiques de la famille recomposée: moments de tensions avec les enfants ou avec l’autre parent, valeurs ou pratiques éducatives divergentes, manque de reconnaissance… «A travers ce projet, je souhaite aussi attirer l’attention sur l’image négative de la belle-mère que nous renvoie la société. Dans l’inconscient collectif, elle est forcément celle qui vole le papa, lui ou son argent, ou qui maltraite les enfants. Tous les livres pour enfants la représentent de la sorte.»
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