Les DINKs, ces couples sans enfants qui ont le goût du luxe: «L’enfant est devenu une contrainte»
Les DINKs -ces couples sans enfants à deux revenus- remodélisent les tendances de consommation, jusqu’à impacter le PIB. Entre choix économique et émancipation personnelle, ce style de vie peut impacter la composition démographique en Belgique. Né dans les années 1980, le phénomène connaît un retour en force. Mais il est encore difficilement chiffrable par les analystes.
Ils s’appellent les DINks (Double Income No Kids). Ils sont ces couples à deux revenus, sans enfants. Incarnés par la jeune génération, ils prônent un rejet de la parentalité, dépensent différemment, mais font aussi craindre une aggravation du problème démographique en Europe. Avec un impact potentiel sur la santé économique de chaque pays.
L’essor des DINKs suscite un débat musclé outre-Atlantique. Elon Musk, en tête, n’a cessé d’avertir qu’un taux de natalité plus faible pourrait avoir un impact économique majeur. Il a été chiffré par le magazine américain Fortune: les DINKs pourraient diminuer le PIB des Etats-Unis de 4%. Une… fortune. En France aussi, Emmanuel Macron a défendu bec et ongles son plan de «réarmement démographique». Au Japon, le débat fait également rage. L’Empire du soleil levant voit sa pyramide démographique chamboulée, avec moins de naissances, et des personnes âgées qui vivent plus longtemps.
Qui sont ces DINKs, et comment vivent-ils? Une récente enquête américaine menée par Harris Poll détaille les habitudes de consommation de ces couples qui ne souhaitent pas avoir d’enfants. Majoritairement représentés dans la génération Z et les Millennials, ils dépensent par exemple beaucoup en vacances ou en plats à emporter. Et sont plutôt aisés financièrement: plus de 60% d’entre eux ont un revenu familial supérieur à 100.000 dollars par an.
Pour les DINKs, c’est vacances x2 et nourriture x4
«Les DINKs remodélisent les tendances de consommation grâce à leur flexibilité financière et à leurs dépenses discrétionnaires élevées, allouant près du double du budget classique aux vacances. Ils dépensent également jusqu’à… quatre fois plus en repas chaque mois par rapport aux autres Américains», ressort-il de l’étude d’Harris Poll. Et pour cause, les DINKs développeraient un intérêt marqué pour les expériences de luxe dans les domaines de la restauration, des voyages ou encore dans les produits de développement personnel.
Les DINKs allouent près du double du budget classique aux vacances. Ils dépensent également jusqu’à quatre fois plus en repas chaque mois par rapport aux autres Américains.
Enquête Harris Poll
Si les habitudes de consommations des DINKs américains sont transposables en Europe, qu’en est-il de leur impact sur l’économie globale? En Belgique, les études manquent pour le déterminer précisément. La Banque nationale (BNB) indique ne pas disposer d’estimations sur le sujet. Même son de cloche chez Statbel, qui ne détient pas de données suffisamment étayées, ni même de pourcentage de DINKs dans la population belge. Et les potentiels futurs calculs s’annoncent d’ores et déjà complexes. Comment, en effet, distinguer les ménages qui n’ont pas d’enfants, avec ceux qui en ont, mais hors du foyer? Dans ce second cas, le coût qu’ils représentent encore ou non pour leurs parents (études, logement, aide diverse…) est incertain.
DINKs et LTA
Il en va de même pour les Living Together Apart (LTA), ces personnes non mariées, en couple, mais qui ne vivent pas sous le même toit. «Typiquement, faire un enfant n’entre pas dans leur style de vie. Et il est compliqué d’identifier ces couples via les données du registre national, puisqu’ils ne vivent pas sous le même toit», commente Alice Rees, chercheuse en démographie à l’UCLouvain.
Depuis les années 70, la diversification du type d’union est croissante. Mais leur statut économique n’est pas toujours clairement défini. Selon l’institut wallon Iweps, si aucune étude spécifique sur les DINKs n’a encore été menée, les statistiques disponibles montrent que les ménages de deux adultes sans enfants sont généralement plus aisés que les autres. «Les couples de moins de 65 ans sans enfants sont les moins touchés par la pauvreté monétaire, indique l’Iweps. A l’inverse, en Wallonie, le type de ménage le plus touché est constitué des familles monoparentales.» Toujours selon l’Institut, les célibataires et les couples avec plus de deux enfants sont souvent exposés à la pauvreté monétaire.
DINKs: «La réponse d’une génération au traumatisme économique»
«L’essor des DINKs n’est pas un rejet de la parentalité, mais plutôt la réponse d’une génération au traumatisme économique, transformant la sécurité financière en luxe ultime», explique Libby Rodney, chef de stratégie chez Harris Poll.
Les DINKs connaissent leurs déclinaisons. Les DINKY représentent les indécis, (dual income, no kids yet, ces couples qui n’ont pas encore d’enfants mais qui l’envisagent). Et le phénomène s’étend aux célibataires avec les SINK (single income, no kids – revenu simple, pas d’enfant) et les SINKY (single income, no kids yet – revenu simple, pas encore d’enfant).
Une claire augmentation des personnes sans enfants en Belgique
«En Belgique, on observe une claire augmentation des personnes sans enfants, qu’elles soient en couple ou pas, atteste Alice Rees. De plus en plus de personnes refusent ou postposent leur projet de parentalité. Entre 20 et 25% de la population belge atteint l’âge de 45 ans sans avoir d’enfants. Cette proportion a tendance à augmenter, surtout chez les hommes», chiffre-t-elle.
«Les individus qui refusent de faire des enfants le font généralement pour des raisons d’épanouissement personnel. Dans certains cas, l’argument écologique est aussi évoqué», avance Pauline Hervois, chargée de recherche en démographie au Muséum national d’Histoire naturelle (Paris).
Entre 20 et 25% de la population belge atteint l’âge de 45 ans sans avoir d’enfants.
Alice Rees
Chercheuse en démographie (UCLouvain)
Mais l’argument financier, s’il n’est pas toujours évoqué publiquement, semble faire partie des motivations majeures. «Les DINKs ne veulent pas être bloqué financièrement avec un enfant. Ils cherchent plus de flexibilité, un développement de carrière, et parfois des meilleures perspectives salariales», liste Alice Rees. D’ailleurs, ajoute-t-elle, «les parents commencent souvent à voyager davantage lorsque les enfants quittent le nid familial.»
D’après Pauline Hervois, spécialiste de l’histoire des statistiques de population, «il est clair que chez les jeunes générations, la volonté de ne pas avoir d’enfant est exprimée de plus en plus publiquement. En revanche, l’augmentation de couples sans enfant souffre encore d’un manque statistique, pointe-t-elle. D’autant plus que ce discours peut évoluer au cours de la vie de l’individu. L’ampleur du phénomène doit être tempéré.»
L’enfant est devenu une contrainte
Selon un sondage de l’IFOP (2022), 34% des femmes françaises en âge de procréer expriment le désir de ne pas avoir d’enfants. «Mais il sera intéressant de vérifier si cette volonté se vérifie dans quelques années», ajoute Pauline Hervois.
Car la situation est parfois paradoxale, «dans le sens où les personnes qui expriment leur volonté de ne pas avoir d’enfants ne sont pas toujours en couple. Lorsqu’on est célibataire, le cheminement est différent.»
Chez les femmes, le fait d’avoir des enfants peut ralentir ou bloquer une carrière professionnelle.
Pauline Hervois
Démographe au Muséum national d’histoire naturelle (Paris)
Quoiqu’il en soit, le discours de la jeune génération est marqué par une tendance assez claire, où «l’enfant est devenu une contrainte, remarque la démographe. On constate un clivage net avec les générations plus anciennes, qui considéraient l’enfant comme un épanouissement.»
Dans la réalité, cette tendance se vérifie aussi, notamment avec l’émergence de concepts Adults only (dans certaines hôtels, restaurants ou événements, notamment). Mais d’après Pauline Hervois, le seul argument économique ne peut pas expliquer ce phénomène dans son entièreté. «Par contre, l’épanouissement professionnel peut jouer. Chez les femmes, le fait d’avoir des enfants peut ralentir ou bloquer une carrière.» Alice Rees complète: «La nouvelle génération réfute le fait que la femme soit nécessairement destinée à faire des enfants.»
Les politiques familiales, le centre du problème?
D’un point de vue économique, le financement des retraites et de la sécurité sociale est directement lié au coût de vieillissement de la population. D’ici 20-30 ans, le socle des travailleurs sera moins solide par rapport au nombre de retraités. «Mais l’immigration peut jouer un rôle compensatoire, et les retraites peuvent être financées via d’autres moyens», estime Pauline Hervois.
Selon l’experte, «le discours nataliste est souvent porté par des valeurs de droite conservatrice. Il convient de donc faire attention au décalage entre les discours et les pratiques. Pour l’instant, nous n’avons pas encore assez de recul pour déterminer le pourcentage de la jeune génération qui restera vraiment sans enfants.»
On a tendance à trop se focaliser sur la natalité, le «seuil de renouvellement», mais pas assez sur le problème des politiques familiales.
Alice Rees
Chercheuse en démographie (UCLouvain)
En Belgique, les DINKs ne font pas pour autant figure d’exception. En Finlande, par exemple, la proportion de personnes sans enfants est encore plus importante, alors que les politiques familiales y sont meilleures (avec deux ans de congé parental, par exemple). «Le problème de natalité en Europe est un peu trop amplifié, souligne Alice Rees. On a tendance à trop se focaliser sur la natalité, le « seuil de renouvellement » (NDLR: établi à 2,1 enfants par femme), mais pas assez sur le problème des politiques familiales (pénurie des crèches, carrières professionnelles, etc.) qui peuvent rebuter à faire des enfants.»
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