
Pourquoi les francophones font-ils moins confiance que les néerlandophones? «On observe systématiquement une différence» (sondage exclusif)

Les francophones font plus difficilement confiance que les néerlandophones aux autorités politiques et aux institutions pour faire face aux tensions internationales du moment. C’est très claire dans les résultats du sondage du Vif. Mais ce n’est pas tout à fait une surprise.
On peut difficilement affirmer, à la vue des résultats du sondage, que les Belges octroient une confiance immodérée aux institutions pour faire face à la situation géopolitique du moment. Le personnel politique, qu’il soit belge ou non, ne jouit pas non plus d’un grand crédit. Rien de nouveau sous le soleil, en soi.
Mais un autre phénomène apparaît, lorsque les données sont ventilées par groupes linguistiques: les réponses des francophones, qu’ils soient Wallons ou Bruxellois, témoignent systématiquement d’un degré de confiance moins élevé qu’auprès des néerlandophones. Pour le formuler autrement, ils se montrent globalement plus méfiants à l’égard des institutions et des autorités que leurs voisins du nord.
A priori, certains résultats s’interprètent de manière intuitive. Que Bart De Wever (N-VA), figure politique flamande et, jusqu’il y a peu, président du premier parti du nord du pays, nationaliste de surcroit, y bénéficie d’une plus grande cote de confiance qu’auprès des francophones n’est guère surprenant. Parmi ceux qui déclarent le connaître, les néerlandophones sont 14,1% à accorder une très grande confiance au Premier ministre et 32,8% lui font «plutôt confiance» pour faire face à la situation politique internationale. Presque un répondant néerlandophone sur deux (46,9%) lui donne donc du crédit, alors que les francophones ne sont qu’un sur quatre à le faire (4,3% éprouvent une «grande confiance», 20,8% ont «plutôt confiance»). Dans le même ordre d’idées, le ministre de la Défense, Theo Francken, N-VA lui aussi, bénéficie d’un degré de confiance plus élevé auprès des néerlandophones que des francophones.
Bizarrerie
En conservant cette logique, l’idée qu’une personnalité politique francophone bénéficie d’un plus haut niveau de confiance au sein de sa communauté linguistique devrait couler de source. Ce n’est toutefois pas exactement ce que traduisent les données du sondage. Le ministre des Affaires étrangères, Maxime Prévot (Les Engagés), inspire «une grande confiance» auprès de 8% des francophones et «plutôt confiance» à 26,5% d’entre eux, toujours parmi ceux qui le connaissent. La suite est plus surprenante: quelque 45,3% des néerlandophones lui attribuent une note de confiance positive. En l’occurrence, 4,6% lui font «beaucoup confiance» et 40,7% lui font «plutôt confiance».
Déclinés selon la langue des sondés, les résultats portant sur la confiance accordée à d’autres personnalités politiques dénotent systématiquement une méfiance plus prononcée du côté des francophones. Cela se vérifie notamment auprès d’autorités politiques européennes: la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen (33,3% de confiance chez les francophones, 48,4% chez les néerlandophones), le président du Conseil européen, António Costa (respectivement 29,7% et 44,2%), ou la haute représentante de l’UE pour les Affaires étrangères, Kaja Kallas (43,7% et 52,2%).
Une série de noms de chefs d’Etat ou de gouvernement ont été soumis aux sondés. Le degré de confiance est légèrement supérieur du côté néerlandophone envers le Britannique Keir Starmer, l’Italienne Giorgia Meloni, le Polonais Donald Tusk. Les résultats sont plus partagés pour le Hongrois Viktor Orbán et inversés pour les Allemands Olaf Scholz et Friedrich Merz, sans qu’on n’y trouve une explication évidente. Les échantillons de personnes pouvant identifier ces autorités étrangères étant assez restreints, il convient d’interpréter les résultats avec prudence.
Surprenant: quelque 45,3% des néerlandophones attribuent une note de confiance positive à Maxime Prévot.
Influence française dans la confiance des francophones?
Le secrétaire général de l’Otan, Mark Rutte, bénéficie d’une cote de confiance similaire de part et d’autre de la frontière linguistique (environ 45%). Un autre dirigeant, en revanche, obtient des résultats bien plus tranchés: Emmanuel Macron, de fait, jouit d’une certaine confiance auprès de 28% des francophones, mais 47,8% des néerlandophones. A l’inverse, les premiers sont 43,7% à ne lui accorder que «peu» ou «aucune confiance», contre 20% pour les seconds. Il est probable, sur ce point, que la défiance éprouvée à l’égard du président auprès des Français traverse la frontière, jusqu’à influencer une part du public belge francophone.
L’influence des médias français, y compris ceux appartenant à la galaxie détenue par l’homme d’affaires Vincent Bolloré, régulièrement perçus comme complaisants avec un logiciel idéologique d’extrême droite, pourrait faire son effet auprès des francophones. C’est une piste d’explication suggérée, sous forme d’hypothèse, par Olivier Klein, professeur de psychologie sociale à l’ULB.
La défiance à l’égard des autorités politiques et des institutions est plus perceptible auprès des francophones, mais il est également remarquable que ceux-ci sont un peu plus indulgents envers des personnalités qui ne sont pas supposées être des «alliées» politiques du pouvoir en Belgique. Il s’agit, en l’occurrence, du président russe Vladimir Poutine et du président américain Donald Trump.
A l’inverse, dans le contexte de la guerre en Ukraine, Volodymyr Zelensky inspire un peu moins de confiance chez les francophones pour faire face à la situation géopolitique. La question a été posée aux sondés de savoir s’ils considèrent que ce dernier est le bon président pour l’Ukraine: 45,6% des francophones et 53,6% néerlandophones répondent par l’affirmative.
Une moindre confiance des francophones, c’est récurrent
Quelques pistes peuvent être avancées, pour tenter d’interpréter ce différentiel de confiance entre francophones et néerlandophones. Une explication intrinsèque à l’enquête, tout d’abord: du côté francophone, les habitants des grands centres urbains sont un peu surreprésentés dans l’échantillon par rapport aux répondants néerlandophones, relève Olivier Klein. Il est possible que cet élément renforce quelque peu la défiance à l’encontre des autorités politiques en place, tant en Belgique qu’à l’échelon européen, l’électorat des grandes villes étant souvent marqué plus au centre-gauche que dans des localités moins urbaines.
En outre, ajoute Olivier Klein, le sentiment d’anomie peut influencer le sentiment de confiance politique et éventuellement jouer ici un rôle. «L’anomie, c’est le sentiment que le tissu social se délite, que la société se désintègre», précise-t-il. Or, «des études montrent que l’anomie est plus marquée dans les grandes villes. Par ailleurs, ce sentiment peut également être renforcé par la situation économique plus défavorable au sud et par la complexité des institutions du côté francophone.»
L’environnement socioéconomique dans lequel évoluent les sondés, enfin, constitue un paramètre qui pèse potentiellement sur ces tendances générales, indique encore le professeur en psychologie sociale.
A vrai dire, ces observations ne sont pas vraiment surprenantes, commente également Thierry Bornand, chargé de recherche à l’Iweps, l’Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique, et doctorant à l’ULB, spécialisé dans les questions de confiance politique. «Ce n’est pas nouveau. La confiance dans les institutions est plus faible en Wallonie et à Bruxelles qu’en Flandre, en raison des différences de niveau socioéconomique entre Régions.»
On se méfiera donc des interprétations de type culturel ou essentialisant. «Les Wallons sont plus récalcitrants» n’est pas ici une formulation adéquate. En tout cas, ce n’est pas une question de terreau culturel, encore moins de nature.
Confiance des francophones: une explication socioéconomique
Ce sentiment est fluctuant, «mais on observe néanmoins systématiquement cette différence», poursuit-il. Cela s’explique par l’articulation d’éléments conjoncturels et structurels. Si les éléments conjoncturels recouvrent les faits d’actualité, l’élection de telle personnalité ou l’influence de tels médias par exemple, la réalité socioéconomique constitue, elle, un paramètre structurel.
«De manière générale, donc, la confiance sera un peu moindre dans une région au statut économique plus faible. On observait déjà ce type de différences en période de pandémie, par exemple. Les taux de vaccination étaient moins grands en Wallonie et à Bruxelles», rappelle Thierry Bornand. Ce n’était pas tellement une question de vaccination à proprement parler, mais de confiance dans les institutions. «Les institutions pourvoient-elles à notre bien-être? Voilà le type de question qui influence le niveau de confiance, le fait que les gens adhèrent ou non.»
On observait déjà ce type de différences en période de pandémie, par exemple. Les taux de vaccination étaient moins importants en Wallonie et à Bruxelles.
Thierry Bornand
Le fait que les francophones octroient un peu plus ou un peu moins de confiance aux autorités, dans une même logique, n’est pas uniquement lié au contexte dans lequel elles interviennent (la guerre en Ukraine, par exemple) mais aussi aux éléments structurels (socioéconomiques) qui contribuent à façonner cette confiance, des francophones comme des autres.
On ne sera pas surpris, dès lors, d’apprendre que les Belges francophones sont 42,9% à faire confiance aux médias traditionnels que sont la presse écrite, la radio ou la télévision pour s’informer sur la guerre en Ukraine et ses conséquences, alors que les néerlandophones sont 53,8%.
La confiance envers d’autres institutions, révèle le sondage, est encore et toujours plus élevée auprès des néerlandophones, qu’il s’agisse du gouvernement fédéral, de la Commission européenne ou des puissances européennes que sont la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni. C’est un peu moins vrai pour l’Otan, soit dit en passant, pour lequel ce sentiment est quasi équivalent de part et d’autre de la frontière linguistique.
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