Excision: quand le corps de la femme est au service de la communauté
Le 6 février est la Journée internationale de tolérance zéro à l’égard des mutilations génitales féminines. Dans A l’ombre de la cité Rimbaud, Halimata Fofana explique comment la pratique se perpétue, même en Europe.
L’Organisation mondiale de la santé estime que trois millions de filles dans le monde sont exposées chaque année au risque d’une mutilation génitale. Une étude commandée par la secrétaire d’Etat à l’Egalité des genres, Sarah Schlitz, a établi, en juin 2022, que plus de 12 000 enfants de mères excisées vivant en Belgique étaient menacées de l’être à leur tour. Dans A l’ombre de la cité Rimbaud (1), Halimata Fofana raconte cette réalité à travers le parcours de Maya, née en France de parents maliens et excisée à l’âge de 6 ans, qui, pour sortir du «modèle éducatif» familial qui l’enferme, sera contrainte «d’enfreindre les règles, de se battre, de se mettre en danger», une question de survie. «Dans Maya, il y a une partie de moi et une partie inspirée des témoignages de femmes lorsque j’animais des conférences sur l’excision», précise Halimata Fofana. Rencontre.
Le corps de la femme est au service de la communauté.
Quand la maman de Maya est interpelée par un professeur qui lui dit que ce n’est pas bien de frapper son enfant, elle se sent perdue car elle ne connaît pas de modèle d’éducation alternatif. Le même processus prévaut-il à propos de l’excision?
C’est le même fonctionnement. La pratique de l’excision est transmise de génération en génération. La mère de Maya l’a subie avant elle. Mais le mot excision n’est pas prononcé. Les choses se font en silence. Quand on excise Maya, c’est parce qu’on excise toutes les filles. On ne s’interroge pas sur le bien de l’individu. Le corps de la femme est au service de la communauté. Il faut qu’elle puisse enfanter. Cette préoccupation prend le dessus sur le bien-être ou sur le respect du corps de Maya.
«Ce marquage nous retire de la société française, nous sommes pour toujours des femmes amputées», déclare Maya à propos de l’excision. Y a-t-il une méconnaissance et un rejet de ce phénomène en Europe?
C’est la perception de Maya. Moi, je pense que, souvent, la société aura plutôt de la compassion envers les femmes qui ont subi l’excision. Quand je parle de «marquage», je veux dire qu’à partir du moment où une fille subit une excision, elle intègre pleinement la communauté. C’est la première étape qui la mènera jusqu’au mariage. Elle vivait dans l’innocence. A partir de l’excision, elle est jetée dans le monde adulte. Mais une «adulte» de 6 ans.
A propos de la maman de Maya, vous écrivez que «pour affronter cette vie, elle s’est endurcie au point de ne plus savoir donner d’affection». Comment en est-elle arrivée là?
A-t-elle reçu de l’affection? On n’ est capable de donner que ce que l’on a reçu. Elle a subi l’excision, n’ a pas choisi son mari, a des enfants qu’elle ne voulait pas. Elle s’est endurcie même avec ses propres enfants. Si elle ne s’endurcit pas, elle s’effondrera. Et si elle s’effondre, c’est la fin. La famille restée au pays la jugera. Un proverbe que j’ai moi-même entendu en Afrique de l’Ouest résume sa situation: «Si un enfant est bien élevé, c’est grâce à son père. S’il est mal élevé, c’est à cause de sa mère.»
Maya apprend très vite aussi que dans son milieu, «être femme est une malédiction». Ce constat trouve-t-il sa source dans le modèle d’éducation dans lequel elle a grandi?
C’est l’éducation que j’ai reçue. C’est «la malédiction d’Eve» qui souffre dès qu’elle arrive sur Terre. Maya l’observe dans l’éducation qu’elle a reçue par rapport à celle de ses frères. Ils ont beau être plus jeunes, ils bénéficient de davantage de liberté. Elle reçoit une éducation pour être une «bonne épouse» et une «bonne mère». On la sacrifie. Le qu’ en-dira-t-on prend une place très importante à côté d’une éducation écrasante où la notion de bonheur est absente. Maya et ses sœurs doivent rentrer dans ce cadre. Ce qui est frappant, c’est que les parents ne sont pas en mesure de se dire qu’elles sont en France et qu’elles pourraient devenir ingénieure ou enseignante. La tradition est tellement ancrée en eux qu’ils pensent que Maya, même née en France et après avoir fait des études, vivra la même vie que sa mère
Maya est écartelée entre l’intégration à la société française et la loyauté à ses parents. Une situation difficile à gérer?
Elle sait que si elle s’ouvre complètement au mode de vie à la française, ses parents ne s’en remettront pas. C’est pour cela qu’elle essaie de naviguer entre ces deux mondes, et qu’elle le fait plutôt bien. Elle arrive à s’adapter.
Entre l’aspiration à la liberté et le respect des parents, pensez-vous que beaucoup de jeunes d’aujourd’hui font passer le second avant la première?
De nombreuses jeunes filles renoncent à leur rêve. D’ailleurs, alors qu’on croit que c’est gagné pour Maya et qu’elle s’émancipera, elle est rattrapée par son milieu et elle «rentre dans le rang». C’est ce que je voulais mettre en exergue: ce n’est jamais gagné.
Les autorités n’en font-elles pas assez pour lutter contre les mutilations génitales féminines?
Non. On en parle peu. Même les professionnels de santé n’osent pas en discuter avec leurs patientes. Si eux n’ osent pas en parler, qui le fera? Le tabou n’est pas uniquement chez les victimes. Il faut faire de la prévention, sensibiliser dans les maternités, dans les centres de protection maternelle et infantile. Quand des réfugiés arrivent, il faut leur en parler dès le début. Surtout quand on connaît leur provenance. Les filles de Guinée-Conakry sont excisées à plus de 98%. Si une famille de Guinéens arrive en France, il faut agir. Il faut faire comprendre aux personnes, de façon factuelle, quelles sont les conséquences des excisions. Tu as mal là? Tu as eu des problèmes au moment d’un accouchement? Je t’explique pourquoi. Ta sœur est décédée au moment de son accouchement au pays, je vais te dire de quoi elle est morte…
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