Urgence climatique : déserter ou se battre?
« Déserter » des emplois « destructeurs » ou « changer le monde »? Face au gigantisme de l’urgence climatique, certains jeunes ingénieurs ou chercheurs scientifiques choisissent de « refuser de servir un système », tandis que d’autres accélèrent leurs travaux dans l’espoir de sauver la planète.
Sur les 13 équipes de recherche finalistes du prestigieux prix de l’inventeur européen 2022, annoncées mardi, sept sont récompensées pour des innovations liées à la transition écologique ou à l’industrie verte. Parmi leurs innovations, on trouve la décontamination de sols miniers pollués par des plantes mangeuses de métaux, la création d’une nouvelle génération de prévisions météo permettant de mieux localiser le CO2 ou le méthane, ou la conception d’un béton favorisant la biodiversité marine sur les installations offshore. Certains chercheurs appartiennent à de grands groupes industriels, comme Frédérick Pasternak, ingénieur chez le constructeur aéronautique européen Airbus, qui a déposé une vingtaine de brevets dans le domaine de la météorologie et du climat. D’autres ont créé des start-up pour répliquer leurs découvertes en masse « avant qu’il ne soit trop tard ».
Deux semaines avant le palmarès de l’Office Européen des Brevets (OEB), huit diplômés de l’école d’ingénieurs française AgroParisTech ont agité les réseaux sociaux en appelant leurs congénères à « déserter » des emplois « destructeurs », à « refuser » de « participer aux ravages sociaux et écologiques en cours » et de « servir » un système.
« Sauvés par le progrès »
Un discours tranchant qui rappelle celui de l’astrophysicien du Centre national de la recherche scientifique (CNRS, organisme public français) Aurélien Barrau, militant écologiste et défenseur du vivant. Régulièrement, celui qui est aussi docteur en philosophie s’exprime devant des étudiants de grandes écoles d’ingénieurs pour les convaincre du besoin de « radicalité » face à la « catastrophe écologique » et à « l’extinction massive » des espèces. « Vous construisez des avions, en soi c’est problématique », a dit l’astrophysicien le 15 février aux étudiants de l’école aéronautique Sup’Aero à Toulouse, dans le sud-ouest de la France. « La meilleure solution serait en soi de fermer une école comme la vôtre », leur a-t-il lancé en boutade, avant d’admettre qu’on pouvait « être sauvés par le progrès » à condition de faire une « révolution » dans les priorités.
« Le risque que vous ayez un rôle assez drastiquement nuisible dans l’affaire de survie de la planète est très élevé », avait-il aussi lancé en mai 2021 aux élèves de Polytechnique, qualifiés de « produits un peu archétypaux d’un système façonné pour la reproduction à l’identique, qui est devenu la pire menace pour la vie sur Terre ».
Interrogés par l’AFP, les chercheurs, chimistes, physiciens, biologistes… primés cette semaine par l’OEB ont une vision un peu plus optimiste. « Quand on est chercheur, il faut oser un peu regarder derrière le mur », préconise le Belge Johan Martens, de l’université de Leuven, spécialiste de chimie des matériaux et d’énergie.
« Je déteste le béton »
Primé avec deux de ses étudiants postdoctorants, Tom Bosserez et Jan Rongé, pour l’invention d’un panneau photovoltaïque permettant de produire directement de l’hydrogène à partir du soleil et de l’humidité de l’air, il attend pour l’industrialiser d’être « sûr » qu’il va servir « à aider la planète et les plus pauvres ». Mais il encourage les jeunes à chercher. Lui-même fourmille d’idées. Il voudrait notamment « piéger l’eau de l’air pour avoir de l’eau pendant les sécheresses ». Claude Grison, docteure française en chimie, récompensée pour ses plantes mangeuses de métaux et ses écocatalyseurs végétaux, insiste sur l’éthique des chercheurs. Elle veut « aller plus loin que la +chimie verte+ qui cherche à limiter l’impact de la production sur l’environnement ». « Nous voulons aussi participer à la résolution des problèmes dont nous avons hérité, par exemple la pollution des sols par l’extraction minière » et créer un nouveau système de production grâce à un engagement écologiste « de terrain ».
« La raison pour laquelle je me suis lancé dans la création d’un béton écologique est que je déteste le béton », explique à l’AFP le biologiste marin israélien Ido Sella, qui veut « changer le monde ». Il est pionnier d’un béton qui offre un habitat aux huîtres et aux bernacles dont les coquilles agissent ensuite comme une colle biologique pour renforcer la structure du béton. « Cela fait 10 ans que je travaille sur mon panneau photovoltaïque et chaque jour en me levant, je me dis que je vais contribuer à sauver la planète », ajoute Johann Martens.
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