Urban Forests a notamment planté 2 700 arbres à l’Institut technique horticole de Gembloux en 2019, sur une surface de 900 mètres carrés, avec l’aide de 70 volontaires. © dr

Une forêt dense en moins de vingt ans: les forêts Miyawaki, miracle ou mirage de la verdure express ?

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

Une forêt dense à partir d’un sol presque vierge, en moins de vingt ans: c’est la promesse de la méthode Miyawaki, du nom du botaniste japonais qui l’a rendue célèbre. Malgré les critiques d’une partie du monde scientifique, ces projets de microforêts se multiplient, y compris en Belgique. A raison?

Dix fois plus rapide, vingt fois plus de biodiversité, trente fois plus dense… Les adeptes des forêts Miyawaki ne lésinent pas avec les chiffres quand il s’agit d’en défendre – et d’en vendre – les vertus. Mise au point dès les années 1970 par le botaniste japonais Akira Miyawaki (décédé en juillet 2021), lauréat du prix Blue Planet en 2006, cette méthode consiste à faire émerger de petites forêts indigènes en un temps record, grâce à l’addition de plusieurs essences et techniques de plantation, ainsi qu’à la compétition que se livrent les espèces pour accéder à l’ eau et à la lumière. Après seulement trois ans, la surface ne nécessiterait presque plus d’entretien. Après quinze à vingt ans, elle accueillerait une forêt aussi dense et mature que ce que les techniques de reboisement conventionnelles obtiendraient en deux siècles.

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Un entretien (en anglais) avec le botaniste Akira Miyawaki, évoquant notamment le rôle des forêts développées par sa méthode pour réduire l’ampleur des conséquences des tsunamis.

Une forêt Miyawaki doit être un lieu de rencontre, de balade, un marqueur de l’identité d’un quartier.

Connue depuis des décennies, la méthode Miyawaki a mis du temps à conquérir l’Europe. Désormais, l’engouement est indéniable, comme l’atteste la panoplie de start-up qui en ont fait leur spécialité. Urban Forests est l’une d’elles. Fondée en 2016 par Nicolas de Brabandère, l’entreprise a concrétisé une soixantaine de microforêts depuis lors, dont environ deux tiers en Belgique. Elle en prépare une trentaine d’autres. Parmi ses clients: des entreprises, des écoles, des acteurs du monde associatif ou des collectifs citoyens. «Nous ne travaillons que sur des surfaces comprises entre cent et trois mille mètres carrés, expose ce biologiste et naturaliste. Au-delà, il est préférable d’opter pour des techniques conventionnelles qui restent beaucoup moins chères.»

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Un puissant outil de sensibilisation

Selon Nicolas de Brabandère, la méthode Miyawaki se justifie notamment pour obtenir une forêt sur un sol dégradé, constituer une barrière visuelle naturelle, soutenir la biodiversité ou encore pour (re)créer des zones de fraîcheur dans les villes. «Par endroits, je pense qu’elle pourrait aussi jouer un rôle afin de limiter les risques d’inondation. En revanche, je n’utiliserai jamais l’argument fallacieux de la réduction des émissions du CO2», précise-t-il. La dimension participative et pédagogique apparaît d’ailleurs en filigrane des projets qui voient le jour. «On ne ralentira pas l’avancée des déserts avec les forêts Miyawaki. En revanche, elles constituent un outil de sensibilisation très puissant pour marquer les esprits et encourager les gens à aller plus loin dans la connaissance des services écosystémiques. Pour moi, il n’y a aucun intérêt à développer une forêt Miyawaki dans une zone reculée où personne n’ a accès. Elle doit, au contraire, être un lieu de rencontre, de balade, un marqueur de l’identité d’un quartier.»

La démarche nécessite une préparation minutieuse en amont. La première étape consiste à sélectionner un site propice: sans réseau souterrain, plutôt éloigné d’infrastructures mais néanmoins accessible et visible pour le public concerné. La deuxième vise à recréer un sol avec des conditions écologiques optimales, entre autres par un décompactage en profondeur et l’ apport éventuel d’amendements. En parallèle, un expert procède à la sélection des espèces indigènes, dont la germination des graines a lieu en pépinière. «Il existe une base théorique et une base d’observation de terrain, commente Nicolas de Brabandère. On adopte le meilleur compromis possible afin d’obtenir, à terme, une forêt similaire à celle qui se trouvait là bien avant. Si l’objectif sous-jacent est alimentaire ou paysager, impliquant d’importer de l’ exotisme, on ne parle plus de méthode Miyawaki. Elle vise bien à recréer la forêt indigène.» Ces étapes sont décisives pour préparer la suivante, symbolique, de la plantation, toujours selon les préceptes Miyawaki: une forte densité (trois arbres par mètre carré) et le caractère aléatoire des emplacements des plants. S’ensuivront trois années de suivi du site et d’entretiens ponctuels, le temps que la sélection naturelle opère, pour ne garder que les plants les plus adaptés à cette forêt express.

Une méthode controversée

Bien que les expériences se multiplient, la méthode Miyawaki est loin de faire l’unanimité. En Europe, bon nombre d’académiques et d’acteurs de terrain investis dans la gestion forestière dénoncent une faible base scientifique ou un manque de recul quant aux résultats escomptés. En 2010, une étude menée en Sardaigne avait acté un taux de mortalité des arbres de 61% à 84% au bout de douze ans. «En tant qu’écologues, nous nous inquiétons de la manière dont sont « vendues » ces microforêts aux contribuables et à leurs représentants, écrivaient trois chercheurs français de l’Institut national de recherche pour l’ agriculture, l’ alimentation et l’ environnement (Inrae), dans une carte blanche parue en 2021 sur le site The Conversation. Vendues, parce qu’il ne s’agit pas de science, malgré un discours qui pourrait le laisser penser.»

De son côté, Nicolas De Brabandère estime que les détracteurs de la méthode Miyawaki la condamnent avant de la comprendre réellement, ou la jugent au départ de projets mal préparés. D’où cette compilation des études sur le sujet, publiée sur le site d’Urban Forests. La Sustainable Urbanisation Global Initiative (Sugi), par exemple, fait état d’un taux de survie de 84% des forêts Miyawaki plantées à travers le monde. «Il persiste parfois une incompréhension due à la provenance de la littérature, rédigée le plus souvent en japonais ou en chinois, ou à la transposition de la méthode, constate l’entrepreneur. Il est évident que les espèces présentes au Japon ne sont pas les mêmes que chez nous. C’est pourquoi nous adaptons leur sélection et la méthode à nos milieux naturels. Certains pensent aussi que l’on fait du greenwashing, parce qu’on prônerait la réparation facile de ce qui a été détruit. Ce n’est pas du tout cela: il s’agit simplement d’acter les dégradations qui ont pu avoir lieu, afin de voir ce que l’on peut faire pour y remédier. La méthode Miyawaki est une solution parmi bien d’autres.»

Peu à peu, le déficit d’études scientifiques menées en Europe sur le sujet devrait toutefois se résorber. En France, notamment, les universités de Toulouse, de Nantes et de Lorraine s’y intéressent, en suivant des microforêts plantées sur site ou à proximité. Mais tout comme les arbres pressés des forêts Miyawaki, leurs farouches adeptes n’attendent pas l’ éventuel plébiscite académique pour avancer.

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