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Sheep Solution ou comment entretenir des espaces verts avec des moutons

Estelle Spoto Journaliste

Entretenir les espaces verts avec des moutons ? C’est le principe de l’écopâturage, proposé par Sheep Solution. On range les tondeuses, on booste la biodiversité et on crée du lien.

Amélie Jacques et Céline Ernst le disent sans rougir : avant, les moutons, elles n’y connaissaient rien. La première est juriste de formation, la seconde agronome. Leurs enfants fréquentent la même école, mais elles ne se connaissent pas vraiment, jusqu’au jour où elles se retrouvent dans le même groupe de course à pied. « On était en train de courir quand Amélie m’a parlé d’un reportage qu’elle avait vu à la télé sur l’écopâturage en France, retrace Céline. Elle m’a proposé de lancer ça avec elle et j’ai accepté. A la base, ça s’est un peu emballé sur pas grand-chose… »

Amélie Jacques et Céline Ernst

 A l’époque, Amélie Jacques se rétablit d’un grave problème de santé qui a remis sa trajectoire professionnelle en question. « En 2017, j’ai fait un infarctus, causé par le stress. J’étais en burn out, mais je ne m’en rendais pas compte. En fait, ça faisait longtemps que je n’étais plus bien dans mon boulot, mais je me disais qu’il fallait que je continue, jusqu’au moment où mon cœur a lâché. Il m’a fallu un an pour m’en remettre, autant psychologiquement que physiquement. » Pas question pour elle de reprendre son boulot comme si de rien n’était, il faut changer. Le reportage sur l’écopâturage rallume chez elle son vieux rêve de voler de ses propres ailes, d’entreprendre. « Travailler dehors, travailler avec des animaux, c’est ce que j’avais envie de faire, mais je ne l’aurais pas fait toute seule. Avec Céline, on s’est renseignées, on est parties rencontrer des éleveurs en France, où l’écopâturage est beaucoup plus développé, et on s’est formées en Belgique à la Fédération des Jeunes agriculteurs. On a lancé Sheep Solution en mars 2019, avec quatre moutons. »

D’Ouessant

Qui, en cet été suffocant où les fenêtres devaient impérativement rester ouvertes, n’a pas été importuné par le concert cacophonique des tondeuses, des coupe-bordures et des taille-haies -activés même s’il n’y avait plus rien à couper à cause de la sécheresse, mais parce que les jardiniers devaient bien remplir leur contrat d’entretien ? Imaginez que ce brouhaha de machines tonitruantes soit remplacé par du silence, interrompu de temps à autre par un attendrissant bêlement. C’est le principe de l’écopâturage : des moutons vivent à l’année dans des espaces verts qu’ils entretiennent tout « bêtement » en broutant. « C’est une pratique très ancienne et très simple, on n’a rien inventé, explique Amélie Jacques. Tout ce qu’on a fait, c’est adapter le concept à la demande des entreprises et des collectivités pour essayer d’avoir un impact écologique moindre par rapport à une tonte classique. On travaille comme un entrepreneur de jardin classique, mais on entretient de façon slow. »

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© Getty

Les contraintes du dispositif sont minimales : une clôture pour délimiter l’espace, un abri et un abreuvoir, le tout sur un terrain de minimum 20 ares. « Et si le client ne veut rien faire, il ne fait rien, on s’occupe de tout, la clôture et le reste, précise Céline Ernst. On passe régulièrement sur le site, on s’occupe du suivi du troupeau, de la tonte, d’un éventuel animal malade. Ce qui arrive rarement puisque nous avons opté pour des moutons d’Ouessant, qui sont très rustiques, très résistants, et comme ils sont petits, on sait les porter et les manipuler facilement. Ce que les client doivent faire, par contre, c’est comprendre que s’ils veulent de l’herbe coupée à ras, ils ne l’auront pas avec des moutons. »

Charmes punk

Les amateurs de greens seront déçus : Achille, Blanche, Céleste et les autres se fichent un peu de l’esthétique quand il s’agit de manger. « En été, on nous appelle parfois pour nous dire que « c’est la jungle », parce que la végétation a beaucoup poussé, explique Amélie Jacques. Il faut réexpliquer qu’on pratique le pâturage extensif, avec peu d’animaux par surface pour qu’ils trouvent leurs ressources alimentaires toute l’année, puisque l’idée est de ne pas devoir déplacer du foin. Donc, oui,  il arrive que l’herbe soit un peu plus haute en été et il est normal que ce soit un peu plus ras en hiver. Et puis les moutons ne mangent pas tout non plus. Les chardons, les orties… il y a des plantes qui resteront et qu’on fauchera à la fin de la saison. »

Ce qu’on perd en rigueur esthétique, on le gagne par contre en biodiversité. « Les moutons ne mangent pas de manière uniforme, poursuit Amélie Jacques. Ils laissent des endroits avec de la végétation plus haute, où des insectes et des oiseaux peuvent s’installer. » Avec cette méthode, on évite aussi le massacre systématique d’abeilles et autres précieuses petites bêtes à coups de lames de tondeuse. En prime, avec leurs excréments, les moutons fertilisent le terrain. Si certains sont encore réfractaires aux charmes punk des jardins plus sauvages, les mentalités évoluent. « On travaille avec le Réseau Nature de l’association Natagora, qui essaie de sensibiliser les entreprises à la biodiversité dans leurs espaces verts, précise Amélie. Il y a aussi une cellule biodiversité au sein de l’Union Wallonne des Entreprises. Plusieurs choses se mettent en place. »

Champagne !

Et quelles sont justement les entreprises et les collectivités qui font appel à Sheep Solution ? « Notre premier client a été le BEP, le Bureau Economique de la Province de Namur, rappelle Céline. Ils avaient déjà utilisé des moutons pour entretenir des anciennes décharges réhabilitées. Mais ceux-là ne venaient que pendant quelques semaines puis partaient et ils cherchaient des bêtes qui restent à l’année. Mais notre clientèle est très variée. Nous avons placé des moutons dans une réserve naturelle, un champ de panneaux photovoltaïques, un hôpital, une maison de repos… »

Et en fonction des clients, l’objectif principal change. « Pour certains, le but est de faire des économies sur l’entretien des espaces verts, précise Céline. Si on compare à un fauchage deux fois par an, l’écopaturage -à partir de 250 euros par mois pour deux moutons– est plus coûteux, mais si ça remplace un jardinier qui vient deux fois par mois en été, les moutons sont plus économiques. Dans une maison de repos, les moutons créent aussi du lien. On sent que ça fait vraiment du bien aux résidents. Là-bas, les moutons sont de vraies stars. Et quand on vient pour la tonte une fois par an, il y a un petit verre de champagne, c’est la fête. » « A l’hôpital, les patients du service psychiatrie vont régulièrement les voir. Ca recrée de la vie là où il n’y en avait plus, complète Amélie. A l’UCM, ils ont placé des bancs près des prairies, certains vont manger tous les midis à côté des moutons. »

Aujourd’hui, Amélie et Céline gèrent plus d’une centaine de moutons. Si en France certaines entreprises d’écopâturage comptent plusieurs milliers de bêtes, le duo de copines se contentera pour l’instant de doubler son cheptel. « Il y a un potentiel énorme et on aimerait avoir plus de clients, mais on n’a pas envie de travailler pour n’importe qui. L’idée est de grandir de façon raisonnée. » Une approche slow, là aussi.

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