Sécheresse : est-ce vraiment aux ménages à limiter leur consommation d’eau ?
Chaleur, code orange. Le manque de précipitations fait baisser le niveau des nappes phréatiques et pousse toujours plus de communes à limiter aux usages essentiels la consommation d’eau de leur population. Si les ménages doivent faire des efforts, qu’en est-il des autres utilisateurs ?
Nathalie, de Pepinster, souhaiterait laver sa voiture, mais non. Olivier, de Bouillon, aimerait remplir sa piscine, mais non. Valérie, de Libin, voudrait prendre un bain, on lui demande de privilégier la douche. Conséquence de la sécheresse de cet été : dix-huit communes wallonnes ont pris des arrêtés de police de restriction de consommation d’eau de distribution ; certaines doivent désormais ravitailler leurs réservoirs par camions-citernes. La consigne est claire un peu partout : « Compte tenu de la situation et des tendances pour les prochains jours, il est recommandé à la population d’utiliser l’eau de distribution de façon parcimonieuse. »
Les citernes à eau de pluie, la solution ?
Pas forcément, selon Cédric Prevedello, conseiller scientifique chez Aquawal. « Le comportement reste plus important que l’équipement. Ces dernières années, les nouvelles maisons sont de facto équipées d’une citerne à eau de pluie. Une baisse de consommation telle qu’on aurait pu l’imaginer n’a toutefois pas été enregistrée. Parce qu’il y a de plus en plus d’appartements mais aussi, et c’est une hypothèse, parce que les citernes sont souvent un argument pour consommer plus. »
Les restrictions se limitent pour l’instant à la seule eau de distribution dont les ménages sont les premiers consommateurs. Au total, en Wallonie, 160 millions de mètres cubes sont consommés par an : 112 millions par les ménages, principalement pour les toilettes et les douches et bains (voir infographie ci-contre) selon une estimation de Belgaqua, la fédération belge du secteur de l’eau.
Depuis les années 2000, une baisse régulière de la consommation d’eau par ménage est observée grâce, entre autres, à des électroménagers plus économes en eau mais aussi à une conscientisation des citoyens. « Même si on constate une stagnation depuis 2020 », tempère Cédric Prevedello, conseiller scientifique chez Aquawal, l’Union professionnelle des opérateurs publics du cycle de l’eau en Wallonie. A l’échelle du pays, la Wallonie est la plus économe : 85 litres par jour en moyenne, contre 96 à Bruxelles et 86 en Flandre. La province de Hainaut, et plus particulièrement la région de Tournai, affiche les consommations les moins élevées. « La présence historique d’un grand nombre de citernes d’eau de pluie en Wallonie picarde peut être une explication, souligne l’expert. La taille des ménages influence aussi la consommation d’eau, bien plus que celle d’électricité ou de mazout. Idem pour le niveau socio-économique : les plus riches ont tendance à consommer plus. »
L’importance des interconnexions
Tous les Wallons ne sont pas non plus logés à la même enseigne en matière de ressources disponibles. «Les restrictions dépendent vraiment de l’endroit où l’on habite, note Amael Poulain, hydrogéologue chez Traqua, un bureau d’étude spécialisé. L’eau souterraine est présente partout mais pas en quantité équivalente. Lorsque les puits sont à sec, certains producteurs et distributeurs d’eau ne sont pas en mesure de répondre au manque par d’autres points de captage. » Pour venir en aide aux communes plus sensibles à ce stress hydrique, la Société wallonne des eaux a investi quelque 500 millions d’euros dans l’interconnexion. Notamment à Vielsalm où les captages ne suffisent plus et où une connexion a été prévue avec le barrage de la Gileppe. « Lorsque cette capacité d’interconnexion du réseau n’existe pas, nous devons opter pour des restrictions ou faire appel à des producteurs voisins. A Bruxelles, par contre, où l’eau provient entièrement de Wallonie, il n’y a pas de restriction, car Vivaqua possède une connexion avec une ressource qui produit beaucoup. »
« Il faudra patienter jusqu’au mois de novembre avant que les nappes se rechargent naturellement. »
Amael Poulain
Le problème est qu’aujourd’hui les puits sont de plus en plus vite à sec. « Il faut imaginer notre sous-sol comme un réservoir qui se remplit en automne et en hiver et se vide en été, illustre Amael Poulain. En Wallonie, les nappes se rechargent globalement bien, mais la date à laquelle cela s’arrête et où on commence à les vider survient de plus en plus tôt. Les printemps sont très secs, la végétation se développe plus vite, la température de l’air est plus élevée et l’eau de pluie ne suffit plus à remplir les nappes. Il faudra patienter jusqu’au mois de novembre avant que les nappes se rechargent naturellement.»
Pas de restrictions pour les entreprises
L’eau de distribution n’est pas la seule à être concernée par la raréfaction ni à être consommée, d’ailleurs. Et si la population est touchée, les acteurs économiques le sont aussi. Parmi eux, les centrales électriques sont, de loin, les plus grosses consommatrices d’eau – elles représentent 86 % des prélèvements des eaux de surface (les eaux qui s’accumulent sur le sol ou dans un cours d’eau, une zone humide…) – essentiellement pour refroidir leurs installations. « Les eaux de refroidissement ont un effet quantitatif faible, il s’agit principalement d’eaux de surface dont la grosse majorité est rejetée en aval. De plus, l’eau non rejetée s’évapore et rentre dans le cycle de l’eau », précise Cédric Prevedello. Les rejets jouent, par contre, sur la qualité de l’eau. En France, l’eau rejetée par certaines centrales, trop chaude, nuit à la biodiversité aquatique. Pas question pour autant de les mettre à l’arrêt.
En 2020, l’Iweps, l’Institut wallon de l’évaluation, de la prospective et de la statistique, a analysé les risques d’une raréfaction en eau. « La baisse des débits liée à une période de sécheresse peut avoir des conséquences sur le fonctionnement et la production des centrales, dans un contexte où la demande en électricité risque d’être soutenue par la consommation des appareils domestiques et industriels de réfrigération et de conditionnement d’air », indique son cahier de prospective.
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L’industrie wallonne consomme deux cents millions de mètres cubes d’eau chaque année, dont vingt millions d’eau potable. Aucune mesure de restriction n’a actuellement été adoptée par la cellule sécheresse à son égard. « Nous n’avons pas connaissance d’entreprises qui risqueraient de se retrouver à sec. Pour les voies hydrauliques, il n’y a pas encore de problèmes de quantité », assure-t-on au Service public de Wallonie (SPW). De nombreuses industries ont pourtant un raccordement à l’eau de distribution. C’est le cas de Solarec, une laiterie située à Libramont, commune soumise aux restrictions. « Nous autoproduisons notre eau à hauteur de 90 % (NDLR : par potabilisation les eaux évaporées du lait), le reste provient du réseau de distribution, note Louis Ska, le directeur général. Nous avons un contrat pour nous alimenter de manière régulière. Nous ne pouvons pas subir de restrictions, sinon l’entreprise est à l’arrêt, nous ne pourrions plus nettoyer nos installations. »
« Ce serait une décision compliquée à prendre mais il est probable que les industries et les agriculteurs en manque d’eau se tourneront d’eux-mêmes vers des régions sans restrictions si la situation devait devenir critique », prévient Amael Poulain. « L’interrogation pour les années à venir, si la météo actuelle s’installe durablement, concerne l’agriculture, enchaîne Benoît Moulin, responsable communication à la SWDE. Jusqu’à présent, notre régime de pluie alimentait les besoins en eau de notre agriculture sans qu’il soit nécessaire de mettre en place d’autres mesures. Cela pourrait ne plus être le cas. » Dans ce secteur, les volumes sont difficiles à quantifier : seuls les puits de plus de 3 000 m3 possèdent un compteur d’eau. « La consommation liée à l’abreuvement des bovins est estimée à environ 20 millions de m3/an, un chiffre en diminution car il y a moins d’animaux, spécifie Cédric Prevedello, d’Aquawal. Par contre, on remarque un recours massif, ces dernières années, à l’irrigation. »
Fuites
Aspect du dossier : la garantie d’un réseau de distribution performant et la lutte contre les fuites du réseau. Les évaluations oscillent entre 10 et 30 % de fuites du volume transporté par les 40.000 km de canalisations wallonnes. Elles peuvent monter à 50 % par endroit. Leur rythme de remplacement tourne autour de 1 % par an. « La réduction des pertes et de ce que l’on appelle les volumes non enregistrés est d’ores et déjà un objectif du contrat de gestion de la SWDE, mais je souhaite, avec la future stratégie sécheresse, qu’une approche concernant tous les opérateurs de distribution soit mise en œuvre », expliquait la ministre Tellier en avril dernier en commission parlementaire.
Pour pallier les problèmes futurs, des solutions sont à l’étude en Wallonie côté agricole : le développement des capacités de stockage d’eau de pluie, la subvention de certaines cultures, la réutilisation des eaux usées ou les retenues d’eau de surface en hiver pour une utilisation en été… Plusieurs mesures peuvent également être mises en place pour faciliter l’infiltration des eaux de pluie dans le sous-sol, comme la plantation de haies ou la préservation des milieux humides. Un groupe de travail a été créé et une « stratégie intégrale sécheresse » sera présentée par la ministre walonne de l’Environnement, Céline Tellier (Ecolo), en septembre. Une priorisation des usages de l’eau pour les cas de conflit est notamment prévue. En attendant la fin des recherches, la ministre « a pu remarquer que les agriculteurs prennent conscience des dérèglements climatiques et sont prêts à adapter les modes de culture ».
Valérie, de Libin, devra-t-elle à l’avenir se contenter d’une douche et dire adieu au bain en été ? « Pour les communes et les distributeurs comme la SWDE, il est prioritaire de garantir une sécurité d’approvisionnement suffisante en diversifiant les ressources. Mais le comportement individuel est une des clés. L’eau est une ressource commune qui n’est pas infinie. Nous n’avons jamais été habitués à nous limiter, le stress hydrique ne faisait pas partie de notre quotidien », conclut l’hydrogéologue Amael Poulain. Pour la suite, des arbitrages sont possibles. « C’est une situation qui, finalement, ressemble au Covid, on devra éventuellement décider qui ferme, qui ouvre et à quel pan de la société on donne la priorité. »
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