Réduire, capter, éliminer: controverse sur les solutions pour réduire le CO2
Bannir les combustibles fossiles, capter leurs émissions voire récupérer le CO2 directement dans l’air ambiant: les parties prenantes aux négociations climat qui se tiennent depuis lundi à Bonn sous l’égide de l’ONU s’accordent à dire que le monde émet trop de dioxyde de carbone, mais se livrent bataille sur la meilleure méthode de réduction.
En jeu, rien de moins qu’une planète viable: même si l’humanité parvient à limiter le réchauffement climatique à 1,5°C par rapport à l’ère préindustrielle, – ce qui est loin d’être garanti – des centaines de millions de personnes seraient toujours confrontées à des épisodes de chaleur dévastateurs, à la sécheresse, à des inondations et à l’élévation du niveau de la mer.
Il existe trois pistes pour réduire la quantité de gaz carbonique dans l’atmosphère: arrêter de brûler des combustibles fossiles; capter le CO2 juste après la combustion pour l’empêcher de s’échapper dans l’air; ou l’éliminer de l’atmosphère une fois qu’il s’y trouve.
« Tous les leviers dont on dispose doivent être activés », a dit lundi à l’AFP Simon Stiell, chef de l’ONU Climat. « Mais la science est très, très claire: le moyen le plus rapide et le plus efficace de nous amener à nos objectifs est la réduction et l’élimination progressive de tous les combustibles fossiles ».
Mais tout le monde n’est pas sur cette ligne. Deux grands camps s’affrontent: l’Union Européenne (l’Allemagne en particulier), la Grande-Bretagne, de nombreux pays en développement et petits pays insulaires veulent sortir rapidement du pétrole, du gaz et du charbon. Mais les grands pays pétroliers et gaziers préfèrent mettre l’accent sur la réduction des émissions, sans abandonner les fossiles qui les génèrent.
Deux catégories
Un des partisans du camp « réduire les émissions » est Sultan al-Jaber, patron de la compagnie pétrolière nationale émiratie dont la nomination comme président de la COP28, organisée aux Émirats arabes unis à la fin de l’année, est contestée pour cette raison par des ONG et élus.
Avec son encouragement, des technologies autrefois marginales ont été propulsées sur le devant de la scène.
Elles se divisent en deux grandes catégories, souvent confondues.
Le captage du carbone généré par la combustion, à la sortie des centrales à gaz ou des cimenteries et hauts fourneaux, pour ensuite le stocker (CCS, en anglais) dans des cavités souterraines, ou pour le réutiliser (CCU) comme matière première. Cela permet de n’ajouter aucun CO2 dans l’atmosphère.
L’élimination du carbone déjà présent dans l’air, avec les arbres ou les sols qui l’absorbent par la photosynthèse (99,9% du CO2 absorbé aujourd’hui), mais aussi avec des machines encore expérimentales qui aspirent le CO2, et sont encore trop peu nombreuses et chères.
Ce sont ces machines qui attirent le plus l’attention et les dollars des investisseurs; elles permettent de chiffrer de façon bien plus fiable le volume de carbone retiré, par rapport aux projets forestiers, sujets aux fraudes ou au manipulations.
La semaine dernière, cette industrie petite mais en plein essor a été ébranlée par une « note d’information » de près de 100 pages rédigée par un groupe de travail de l’ONU, qui se déclare plutôt hostile au captage direct dans l’air (DAC, en anglais).
« L’efficacité des activités d’élimination basées sur l’ingénierie n’est pas avérée sur les plans technologique et économique, en particulier à grande échelle, et soulèvent des risques environnementaux et sociaux méconnus », selon les auteurs.
Des dizaines d’entreprises et d’associations spécialisées dans l’élimination du carbone, ainsi que plusieurs groupes de recherche, ont vivement réagi.
« Cela démontre qu’il y a beaucoup d’argent en jeu », commente Alden Meyer, du groupe de réflexion sur le climat E3G.
Pas suffisant pour 2050
Comment alors trouver un équilibre? « Il est peu probable que l’élimination du carbone à l’aide de machines fonctionne à grande échelle », confie à l’AFP Jonathan Foley, directeur exécutif du Drawdown Project, qui évalue les solutions de réduction des émissions de carbone.
« Plus de 95% de ce que nous devons faire, c’est réduire les émissions », insiste-t-il. « Moins de 5% doit passer par l’élimination du carbone, et 90% de cette élimination doit être fondée sur la nature, comme la restauration écologique et l’agriculture régénératrice. »
Ce n’est pourtant pas ce que les pays ont prévu de faire d’ici 2050, concluent des chercheurs dans une étude publiée dans Nature Climate Change analysant les engagements des Etats.
La plupart des pays riches prévoient encore d’importantes « émissions résiduelles » d’ici 2050 – en moyenne, 18% des émissions actuelles – et partent du principe qu’une technologie sera alors disponible pour les éliminer.