Rapport du Giec sur le climat : « c’est de pire en pire «
La moitié de la population mondiale est d’ores et déjà « très vulnérable » aux impacts cruels et croissants du changement climatique, et l’inaction « criminelle » des dirigeants risque de réduire les faibles chances d’un « avenir vivable » sur la planète. Et ce n’est qu’un début, l’avenir est de plus en plus sombre: « il va faloir s’adapter ou mourir ».
Le nouvel opus des experts climat de l’ONU (Giec) publié lundi est sans appel: les conséquences du réchauffement provoqué par les activités humaines ne se conjuguent pas seulement au futur.
Sécheresses, inondations, canicules, incendies, insécurité alimentaire, pénuries d’eau, maladies, montée des eaux… De 3,3 à 3,6 milliards de personnes sont déjà « très vulnérables », souligne le « résumé pour les décideurs » négocié ligne par ligne par les 195 Etats membres lors de cette session en ligne et à huis clos qui a débordé de plus de 24 heures les deux semaines prévues.
Et ce n’est qu’un début. Si le monde ne se décide pas très vite à réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre, il devra faire face à un déluge d’impacts inévitables et « parfois irréversibles » dans les décennies qui viennent.
« J’ai vu de nombreux rapports scientifiques dans ma vie, mais rien de comparable à celui-ci », a réagi le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres, décrivant « un recueil de la souffrance humaine et une accusation accablante envers l’échec des dirigeants dans la lutte contre les changements climatiques ».
Le changement climatique c’est déjà ici et maintenant
Les conséquences dévastatrices du changement climatique, longtemps vu comme un point à l’horizon, sont devenues une réalité maintenant aux quatre coins de la planète, avec 3,3 à 3,6 milliards de personnes d’ores et déjà « très vulnérables« , soit près de la moitié de l’humanité. Le réchauffement d’environ +1,1°C en moyenne depuis l’ère préindustrielle a déjà contribué au déclin des espèces et à l’extinction de certaines, à l’augmentation des maladies transmises par les moustiques, à plus de morts causées par la chaleur et la sécheresse, à une perte de récoltes agricoles et de la pêche. La santé des populations, physique et mentale, est également touchée. « L’augmentation des extrêmes météorologiques et climatiques a conduit à des impacts irréversibles » sur les sociétés humaines et la nature, conclut le Giec. Mais ce n’est que le début et les impacts sur la nature et l’Homme vont s’accroître: extinction possible de 3 à 14% des espèces terrestres à +1,5°C, des « milliards » de personnes supplémentaires exposés à la dengue, ou de manière générale, une « augmentation sensible des maladies et des morts prématurées ».
Une souffrance encore plus sensible pour les populations les plus fragiles comme les peuples autochtones ou les populations pauvres, insiste le Giec. Mais qui n’épargne pas les pays riches comme se le rappellent l’Allemagne balayée par les inondations ou les Etats-Unis ravagés par les flammes l’an dernier.
Face à ce tableau dramatique, il n’est pas question que ce rapport soit éclipsé par l’invasion russe en Ukraine, plaide Hans-Otto Pörtner, co-président du groupe du Giec ayant préparé ce rapport. Le réchauffement « nous hante. L’ignorer n’est pas une option », a-t-il déclaré à l’AFP.
Question de survie
Alors que la planète a gagné en moyenne environ +1,1°C depuis l’ère pré-industrielle, le monde s’est engagé en 2015 avec l’accord de Paris à limiter le réchauffement bien en deçà de +2°C, si possible +1,5°C.
Dans le premier volet de son évaluation publiée en août dernier, le Giec estimait que le mercure atteindrait ce seuil de +1,5°C autour de 2030, soit dix ans plus tôt qu’escompté. Il laissait toutefois une porte ouverte, évoquant un retour possible sous +1,5°C d’ici la fin du siècle en cas de dépassement.
Dépasser temporairement +1,5°C a des impacts irréversibles
Le premier volet du rapport du Giec sur la physique du climat en août avait estimé qu’il serait possible, en cas de dépassement probable de +1,5°C, objectif le plus ambitieux de l’accord de Paris, de revenir ensuite sous ce seuil d’ici à la fin du siècle. Mais ce dépassement même temporaire, que les climatologues appellent « overshoot », n’irait pas sans répercussions. Tout dépassement de +1,5° « entraînerait des impacts irréversibles » sur des écosystèmes capitaux comme les récifs coralliens, les glaciers de montagne et les calottes glaciaires. « Le risque d’impacts graves augmente avec chaque fraction supplémentaire de réchauffement », dépassement temporaire ou pas, selon le rapport.
Mais le deuxième volet publié lundi — avant un troisième début avril sur les solutions pour réduire les émissions de gaz à effet de serre — souligne que même un dépassement temporaire de +1,5°C provoquerait de nouveaux dommages « irréversibles » sur les écosystèmes fragiles comme les pôles, les montagnes et les côtes, avec des effets en cascade sur les communautés qui y vivent.
Et les conséquences désastreuses vont augmenter avec « chaque fraction supplémentaire de réchauffement », de la multiplication des incendies au dégel du pergélisol.
Le rapport prédit également la disparition de 3 à 14% des espèces terrestres même à +1,5°C, et qu’à l’horizon 2050, environ un milliard de personnes vivront dans des zones côtières à risque, situées dans de grandes villes côtières ou de petites îles.
Alors « l’adaptation est cruciale pour notre survie », a réagi dans un communiqué le Premier ministre d’Antigua et Barbuda Gaston Browne qui préside l’Alliance des petits Etats insulaires (AOSIS), appelant les pays développés à respecter leur engagement d’augmenter l’aide climatique aux pays pauvres, en particulier pour leur permettre de se préparer aux catastrophes qui s’annoncent.
– Flotter ou se noyer –
A cet égard, le rapport constate que malgré quelques progrès, les efforts d’adaptation sont pour la majorité « fragmentés, à petite échelle » et que sans changement de stratégie, cet écart entre les besoins et ce qu’il faudrait risque de s’accentuer.
900 millions de personnes vivent à moins de 10 m au-dessus du niveau la mer
Quel que soit le rythme des émissions de gaz à effet de serre, un milliard de personnes pourraient vivre d’ici à 2050 dans des zones côtières à risque, alors que la hausse du niveau de la mer renforce l’impact des tempêtes et des submersions marines. La population exposée au risque d’inondations marines va doubler si l’océan s’élève de 75 cm, un chiffre largement compatible avec les projections pour 2100. Aujourd’hui, environ 900 millions de personnes vivent à moins de 10 m au-dessus du niveau la mer. D’ici à 2100, la valeur des infrastructures et autres actifs installés dans ces zones sujettes à des inondations exceptionnelles (« une tous les 100 ans ») sera d’environ 10.000 milliards de dollars dans un scénario modéré d’émissions.
Mais à un certain point, s’adapter n’est plus possible. Certains écosystèmes sont déjà poussés « au delà de leur capacité à s’adapter » et d’autres les rejoindront si le réchauffement se poursuit, prévient le Giec, soulignant ainsi qu’adaptation et réduction des émissions de CO2 doivent aller de pair.
Effet en cascade et points de basculement
Le rapport met en lumière certaines modifications irréversibles et potentiellement catastrophiques du système climatiques, appelées « points de basculement », qui peuvent être déclenchés à certains niveaux de réchauffement.
Cela concerne en particulier la fonte des calottes glaciaires du Groenland et de l’ouest de l’Antarctique qui contiennent suffisamment d’eau glacée pour faire monter les océans de 13 m.
A plus court terme, certaines régions — nord-est du Brésil, Asie du Sud-Est, Méditerranée, centre de la Chine — et les côtes presque partout pourraient être frappées par de multiples catastrophes en même temps: sécheresse, canicule, cyclone, incendies, inondations. La science commence tout juste à se pencher sur les impacts de ces impacts en cascade.
Au contraire, « si on s’en tient aux engagements actuels, les émissions devraient augmenter de près de 14 % au cours de cette décennie. Ce serait une catastrophe. Toute chance de maintenir l’objectif de 1,5°C en vie serait anéantie », a dénoncé Antonio Guterres, désignant comme « coupables » les grands pays émetteurs « qui mettent le feu à la seule maison que nous ayons ».
« Cette abdication de leadership est criminelle »
Malgré le constat cataclysmique, plusieurs Etats, notamment Chine, Inde et Arabie saoudite ont tenté pendant les négociations de faire retirer des références à l’objectif de +1,5°C, ont indiqué à l’AFP plusieurs sources participant aux discussions.
Le Pacte de Glasgow adopté lors de la conférence climat de l’ONU COP26 fin 2021 appelle pourtant les Etats à renforcer leur ambition et leur action climatiques d’ici la COP27 en Egypte en novembre, dans l’espoir de ne pas dépasser ce seuil. « N’oublions pas une chose: nous sommes dans le même canoé », a commenté l’ancien Premier ministre de Tuvalu Enele Sopoaga. « Soit nous lui permettons de flotter, soit nous le laissons couler et nous nous noyons tous ».
S’adapter ou mourir
Le précédent rapport de 2007 ne s’étendait pas sur la question de l’adaptation, c’est-à-dire les mesures prises pour limiter ou se préparer aux impacts du réchauffement. Cette question est désormais centrale. De manière générale, le Giec met en garde contre le fait que le monde n’est pas prêt, le réchauffement va plus vite que les mesures pour s’adapter aux conséquences. En outre, « au rythme actuel de planification et de mise en place de l’adaptation, l’écart entre les besoins et ce qui est fait va continuer à grandir ». Redécouverte de variétés anciennes de cultures agricoles plus résistantes, restauration des mangroves ou construction de digues, plantation d’arbres dans les villes pour créer des couloirs rafraîchis ou climatisation: l’exploration des possibles est urgente. Mais sans garantie de résultat. Le Giec met ainsi en garde contre les dangers de mesures qui peuvent être totalement contreproductives, alors que le monde n’a plus aucune marge d’erreur. « Il y a des preuves de plus en plus nombreuses de mal-adaptation dans de nombreux secteurs et régions ». Par exemple, construire une digue pour protéger des submersions marines alimentées par la montée du niveau de la mer peut conduire à développer la zone en question pourtant la plus à risque, créant un sentiment erroné de sécurité.
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