Préserver la biodiversité et consommer local : comment vivre la saison des champignons à Bruxelles
L’automne est traditionnellement vu comme la saison de la cueillette des champignons. A Bruxelles, elle est interdite. Mais la capitale offre d’autres possibilités aux amateurs de profiter des pleurotes, morilles, shiitakés et compagnie. Levif.be dresse un portrait tout ce qui est du champignon à Bruxelles.
Les feuilles orange commencent à joncher les chemins des forêts et les trottoirs. Les brumes matinales tardent à se dissiper. Des épisodes de pluies s’abattent sur la Belgique. Le mois d’octobre débute dans deux jours. Nous sommes bel et bien en automne.
Une tradition d’automne est la cueillette de champignons. Armé d’un petit couteau, et d’un sac, l’on peut s’aventurer dans les champs et les forêts, à la recherche de ces petites délicatesses. Mais attention, pas tous ne sont comestibles. Et en Région bruxelloise, la cueillette est strictement interdite dans toutes les zones boisées classées Natura 2000, ainsi qu’en Forêt de Soignes, soit-elle bruxelloise, wallonne, ou flamande.
« Il y a 1.200.000 habitants en Région bruxelloise, on ne pourrait pas permettre qu’ils aillent piller tous les champignons. Ce serait un sérieux dommage pour la biodiversité », observe Stéphane Vanwijnsberghe de la division Nature et Forêt de Bruxelles Environnement. Aussi, les champignons risqueraient d’être mal coupés, voire arrachés avec leur réseau de racines, aussi appelé le mycellium. Les personnes piétineraient aussi l’habitat des champignons.
Les agents de Bruxelles Environnement multiplient les tours de ronde en automne. Une première interpellation sera une simple sensibilisation, mais en cas de récidive des avertissements puis des amendes débutant à 50€ peuvent suivre.
Les activités d’observation sont cependant autorisées. Cette année, suite à la sécheresse puis aux pluies, l’automne est particulièrement propice aux champignons. « Les personnes qui veulent observer les champignons peuvent le faire, mais nous leur conseillons de se munir d’un bon manuel de référencement. Elles doivent observer les champignons de loin, et s’aiguiser l’oeil sur les aspects extérieurs comme les formes, les tailles, les couleurs, les lamelles », commente Stéphane Vanwijnsberghe. Des associations comme Tournesol ou le Cercle de Mycologie organisent aussi des sorties d’observation, et autres activités. Des activités ludiques pour les classes d’école sont aussi permises.
« En 1999, un inventaire a recensé 1189 types différents de champignons dans la Forêt de Soignes », note Stéphane Vanwijnsberghe. D’autres zones champignonneuses sont les espaces boisés, ainsi que les zones marécageuses à l’ouest de Bruxelles, selon une carte publiée par Bruxelles Environnement.
Des champignons chez vous ?
« Il est possible d’avoir des champignons dans son jardin. Les champignons blancs par exemple sont comestibles », explique Stéphane Vanwijnsberghe. Le fumier de cheval, le bois mort où le marc de café peuvent aussi favoriser la poussée, à condition d’y ajouter du mycélium ou des spores. L’on peut aussi acheter des substrats préparés (des mélanges de matières organiques, comme des céréales, etc. et du mycélium).
Des entreprises bruxelloises se sont spécialisées dans la culture de champignons, Permafungi et le Champignon de Bruxelles. Permafungi propose des équipements pour faire pousser des pleurotes, soit avec des substrats préparés, qu’il faut simplement arroser, soit avec son propre marc de café. Le Champignon de Bruxelles proposait des kits pour faire pousser des shiitakés, mais a arrêté, car il est moins aisé de le faire pousser. S’ils ne sont pas arrosés immédiatement après l’achat, ils meurent, contrairement aux pleurotes qui peuvent s’activer dès qu’il y a de l’eau.
Outre des équipements de culture maison, ces deux entreprises produisent des champignons, vendus dans les supermarchés et épiceries bio.
L’agriculture urbaine
Dans un esprit d’économie circulaire et d’agriculture urbaine, ces deux entreprises bruxelloises se consacrent à la culture de champignons. Permafungi, dans les caves de Tour et Taxis, et le Champignon de Bruxelles, dans les caves sous les Abattoirs d’Anderlecht. En entrant, on remarque un filet d’odeur de champignon flotte dans l’air. Les caves sont un lieu propice aux champignons, grâce à l’inertie thermique : toute l’année, sans chauffer ni rafraîchir les lieux, la température reste plus ou moins identique, où une certaine humidité peut aussi être gardée. Le champignon n’est donc pas uniquement un produit de saison.
Permafungi a des partenariats avec des cafés, notamment Exki et le Pain Quotidien, pour récupérer leur marc de café. Soit Permafungi part récolter le marc à vélo, soit les livreurs des chaînes de restauration déposent le marc en fin de tournée. « Le marc de café est un très pratique : c’est un déchet, qu’on réutilise, et quand il arrive, il est frais, et vient d’être pasteurisé. On n’a donc plus besoin de le pasteuriser, ce qui nous permet de gagner beaucoup d’énergie », explique Julien Jacquet, fondateur du projet.
Ensuite, le marc est mélangé à de la paille dans un sachet, et l’on ajoute du mycélium, qui est comme un réseau des cellules filamenteuses des champignons. Les champignons ne sont que les « fruits » du mycélium, qui reste un être vivant peu exploré, ni végétal, ni animal. Cette étape s’appelle l’inoculation.
La deuxième étape est l’incubation, où le mycélium va se propager à travers le mélange de marc de café et de paille, pendant une semaine, dans une pièce isolée, où il crée sa propre chaleur (comparable à la création de chaleur d’un tas de compost, en fermentant).
Ensuite, la troisième étape est la fructification, où les sachets sont pendus pendant deux semaines dans une pièce souvent arrosée de brume, et où les champignons poussent vers l’extérieur des sachets, sous la forme que l’on connaît, avec une tige et un chapeau. Permafungi cultive des pleurotes uniquement, qui sont les plus faciles à faire pousser, car les plus rapides et les plus robustes.
« On est vraiment une entreprise circulaire, car nous ne produisons aucun déchet, et nous transformons des déchets. Les restes du mélange de marc de café et de paille, une fois les champignons récoltés, peuvent être utilisés comme engrais. Le marc de café seul serait trop acide pour utiliser comme engrais sur un champ », explique Julien Jacquet. Les restes peuvent aussi être solidifiés, et deviennent comme de la frigolite. Une matière qui est notamment utilisée pour faire des abat-jour. Cinq tonnes de marc de café permettent ainsi de produire une tonne de pleurotes. Le mycélium, produit à Gand, ainsi que la paille, doivent tout de même être achetés.
Du côté du Champignon de Bruxelles, la drêche de bière est utilisée comme mélange pour nourrir le mycélium. « On ne peut utiliser que la drêche bio, sinon ça ne fonctionne pas. Donc on travaille avec Cantillon, la seule brasserie bio à Bruxelles. Mais ils ne produisent de la bière que d’octobre à mars, car ils travaillent avec une levure particulière, qui a besoin d’une certaine température », explique Quentin Declerck du Champignon de Bruxelles. D’autres brasseries bio, au niveau local en campagne, travaillent souvent avec les fermiers directement ; les cochons apprécient particulièrement la drêche comme nourriture.
Le reste de l’année, le Champignon de Bruxelles prépare donc des mélanges à base de céréales, et des nouvelles recettes sont souvent testées. « Comme avec des fèves de cacao vides, mais cela n’a pas marché. Dommage, cela aurait fait un produit bien belge, des champignons qui poussent à partir de bière et de chocolat », réfléchit Quentin Declerck.
Une étape qui s’ajoute : la pasteurisation. Le mycélium, s’il était en concurrence avec des bactéries, perdrait la bataille, et il ne pourrait y avoir de champignons. Pendant 15 heures, les préparations sont exposées à une chaleur de 95°, puis refroidies pendant trois jours. La chaleur dégagée pendant ce procédé permet d’alimenter une machine qui déshydrate. « Elle nous a été fort utile pendant le confinement. On a pu faire assécher de nombreux champignons, pour les vendre sous forme sèche », se souvient Quentin Declerck.
Le Champignon de Bruxelles cultive différents champignons, notamment les shiitakés et les maïtakés, qui mettent entre deux et trois mois à l’étape d’incubation. Le mycélium se propage à l’intérieur du sachet, et émet de la chaleur, qui condense, de manière à trouver un juste équilibre. « Un peu comme en été, dans le sol, à une profondeur de quelques centimètres, où le mycélium crée son réseau de racines dans un sol très humide et très chaud », compare Quentin Declerck.
Pour quatre tonnes de préparation, le Champignon de Bruxelles produit entre 800 kilos et une tonne de champignons. Les shiitakés et maïtakés sont des productions maison, et l’entreprise travaille aussi avec des substrats tout prêts, qui viennent des Pays-Bas, et qui passent directement à l’étape de fructification, pour des pleurotes notamment. « En allant lentement vers le circulaire », ajoute Quentin Declerck. Une autre production maison, en train d’être testée : le reishi, champignon rouge écarlate aux vertus médicinales, beaucoup utilisé en Chine, et qui ressemble à du corail. Autre que des champignons, l’entreprise produit aussi des herbes aromatiques, destinées aux restaurants, dont les étoilés.
En automne ou non, en forêt ou dans des caves, les amateurs peuvent trouver dans la capitale différentes possibilités de profiter des champignons.
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