Sur les réseaux sociaux, les climatosceptiques ont pris pour cible ceux qui représentent, pour eux, la science climatique: les présentateurs météo. © BelgaImage, Facebook (Météo-Mons), Ippicy

«Spécialiste en carton», «payé par le gouvernement»… Pourquoi les présentateurs météo sont de plus en plus souvent agressés

Soraya Ghali
Soraya Ghali Journaliste au Vif

Désormais maillons essentiels entre les scientifiques et le grand public, les présentateurs et les présentatrices décryptent, alertent et sensibilisent. Et sont devenus la cible de climato-sceptiques.

On s’habituerait presque aux records de pluie et de températures qui varient de 10 °C en moins de vingt-quatre heures. Le mois de juin l’a encore montré: la météo est instable. Des températures en-dessous de la normale ont été enregistrées, accompagnées de précipitations excédentaires et d’une durée d’ensoleillement, elle aussi, en-dessous de la normale. «Pourtant, juin boucle une série de six mois les plus chauds jamais enregistrés, note Pascal Mormal, météorologue à l’Institut royal météorologique (IRM), le «M. Météo» préféré des médias francophones.

Des phénomènes météorologiques anormaux dont doivent rendre compte de plus en plus fréquemment les climatologues et les présentateurs météo du monde entier. Le dérèglement climatique peine cependant à trouver sa place dans les bulletins météo tant il bouscule le métier de présentateur. La première difficulté réside dans le timing. En trois minutes, il doit exposer une météo sur sept jours. Il lui reste alors peu de temps pour évoquer le climat et l’impact de l’activité humaine sur le réchauffement climatique. A la radio, sans carte, c’est encore plus compliqué.

A cette contrainte de temps s’ajoute une autre difficulté: la confusion souvent faite entre météo et climat, sur laquelle se nourrissent les théories climatosceptiques. «Quand il fait automnal en juin, les médias et les citoyens se posent beaucoup de questions. C’est difficile d’expliquer rapidement et clairement que cela ne remet pas en cause le réchauffement climatique et qu’il s’analyse sur un temps plus long», répond Pascal Mormal. Les spécialistes et les présentateurs sont longtemps restés très prudents quant au lien entre météo et climat. Mais, aujourd’hui, il ne demeure guère d’incertitudes: l’observation des réalités météorologiques réalisées sur trente ans montre une hausse des températures. «Elle signe l’effet indéniable du dérèglement climatique. On l’observe vraiment depuis dix ans. Les événements extrêmes sont plus fréquents, plus répétitifs et plus intenses», poursuit Pascal Mormal.

Le déclic de la canicule de 2003

Plus que jamais, les étés et les hivers chauds de ces cinq dernières années – 2018, 2019, 2020, 2022 et 2023 figurent parmi les dix années les plus chaudes jamais enregistrées -, auront mis en avant les présentatrices et les présentateurs. Eux qui, longtemps, ont été les femmes élégantes et les gendres idéaux que les téléspectateurs regardaient pour savoir comment s’habiller. Les mêmes qui introduisent et concluent le JT depuis des décennies. Les mêmes qui évoquent les «nuages cumuliformes», les «anticyclones» et les «probabilités des précipitations» sans être pour autant scientifiques. Des membres de la rédaction presque comme les autres qui, aujourd’hui, évoquent, chaque jour ou presque, le réchauffement climatique. Un bouleversement pour tous. Autrefois, le bulletin météo était une respiration et apportait une certaine fraîcheur. Au cours des années 1980 et 1990, quand les températures avoisinaient 30 °C, l’animateur se montrait volontiers euphorique, se réjouissait et lançait ainsi : «Tous à la piscine!» Depuis, le ton a véritablement changé.

Pour les climatologues comme pour les météorologues et les présentateurs, l’épisode de chaleur extrême d’août 2003, en France et dans une moindre mesure en Belgique, représente un tournant. Une canicule la plus meurtrière, puisqu’elle a entraîné la mort de près de 20.000 personnes en quinze jours et dévoilé l’incapacité des pouvoirs publics à y répondre.

Depuis, les présentateurs sont les témoins directs d’une dynamique qui s’accélère, plongés chaque jour dans les cartes météorologiques et constamment en discussion avec les prévisionnistes. Le climat prend alors de plus en plus de place à la télévision. Les bulletins intègrent petit à petit les journaux télévisés et deviennent une information à part entière. Les cartes de vigilance pour les canicules, les orages et les vents font leur apparition. Avec des conseils très basiques: veiller aux personnes âgées, à s’hydrater, prendre garde à la qualité de l’air, à économiser l’eau… «Ils se basent sur l’expertise des instituts météorologiques et se sont enrichis de décryptages et d’explications», observe Pascal Mormal. Lui et ses confrères sont de plus en plus invités sur les plateaux. Car les climatologues et les météorologistes, insuffisamment écoutés ces dernières années, ont besoin de relais. Le présentateur météo est justement ce maillon, ce trait d’union entre eux et le grand public. Mais les experts du climat ne sont pas dupes: ils savent bien qu’ils ne peuvent pas rivaliser en termes d’aura médiatique.

Tous estiment néanmoins qu’il manque des émissions sur le climat. Il y a bien Quel temps pour la planète sur La Une, une émission de dix minutes pour comprendre «les phénomènes de la météo et l’avenir du climat chez nous et à l’autre bout du monde», ou encore Déclic, Le Tournant, sur La Première, consacré régulièrement aux enjeux climatiques, mais des initiatives isolées. Si le climat se pose en matière sérieuse, la météo, en tout cas, pèse peu face à d’autres sujets.

Les spécialistes météo, “bons à rien”

Et si le métier n’est plus le même, il expose davantage aux propos injurieux, voire menaçants. Sur les réseaux sociaux, l’agence météo espagnole a ainsi été accusée d’avoir fabriqué la sécheresse tandis que son homologue française est accusée de surévaluer le réchauffement climatique. Les météorologues et les présentateurs subissent eux aussi la hargne de climatosceptiques. Insultes, harcèlement, menaces… Le phénomène est mondial. Des Etats-Unis à l’Espagne, de la France à la Grande-Bretagne, les cas sont en hausse. Au cours de ces dernières semaines, la météo automnale a fait fleurir les commentaires et les injures. Pascal Mormal doit ainsi composer avec l’agressivité des internautes. «Les menaces restent rares. Il s’agit plutôt de moqueries et de sarcasmes. C’est le classique: « Quand vous n’êtes même pas capable de faire des prévisions correctes à J-1, on peut douter de vos compétences sur vos analyses concernant le réchauffement climatique. Bon à rien! Spécialiste en carton! »».

Les présentateurs et les présentatrices météo subissent un assaut similaire. «Je serais payé par les médias et par le gouvernement pour inventer des choses, ou en cacher d’autres, comme les fameux chemtrails (NDLR: théorie complotiste selon laquelle les traînées d’avions visibles dans le ciel sont la trace de produits chimiques répandus délibérément pour arrêter les pluies et de provoquer de la sécheresse)», témoigne Farid El Mokaddem, qui présente des bulletins sur LN24 et TV5 Monde. Ces attaques sont également habituelles pour Emilie Dupuis, présentatrice sur RTL-TVI. Elle est ainsi traitée d’incompétente. En réponse à ces critiques, la jeune femme a publié, à plusieurs reprises, des mises au point. «J’en peux plus! L’IRM fait son boulot en tentant d’être le plus précis possible et moi je transmets l’information. A J-7, les prévisions sont incertaines et tout le monde le sait! Oui, j’étais enthousiaste à l’idée du retour des beaux jours qui auront vingt-quatre heures de retard comme annoncé il y a une semaine! Et ensuite, nous avons très vite constaté que ça prendrait un peu plus de temps… Allez, il va faire du bien à tout le monde ce soleil, je crois… on se détend!»

Les menaces sont rares. Il s’agit plutôt de moqueries et de sarcasmes

Pascal Mormal

Météorologue

Ces attaques suivent un rythme saisonnier, observe Pascal Mormal. «Tous les étés, on observe une recrudescence, tout comme après la publication de chaque rapport du Giec, remarque-t-il. L’an dernier, quand il faisait très chaud, on nous sortait qu’il y avait déjà eu des températures élevées en 1976. C’est alors le fameux « il est où le réchauffement climatique? »» On l’accuse de «vouloir faire peur aux gens», d’être un «crypto-Ecolo» ou d’être « payé par le Giec». «Nous sommes les messagers des mauvaises augures. Les ouragans, les inondations, les canicules, les événements extrêmes sont des sujets anxiogènes, qui s’ajoutent à d’autres inquiétudes. Les gens ne supportent plus d’entendre les mauvaises nouvelles. Mais, voilà, je communique de la façon la plus factuelle possible en m’appuyant sur des chiffres et des faits. Tant pis si ça ne plaît pas», conclut Pascal Mormal.

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