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Pourquoi les phoques font leur grand retour à Ostende

Plus de dix mille phoques gris nageraient actuellement en mer du Nord. La communauté n’a jamais été aussi grande. A Ostende, les échouages se multiplient depuis deux ans. Pour le plus grand bonheur des touristes, pas forcément celui des mammifères marins. Mais la NorthSealTeam veille.

En ce début de matinée du mois d’août, la «reine des plages» accueille déjà de nombreuses familles en route pour une balade sur son estacade plus que centenaire. A quelques pas, la «petite plage», elle, est encore quasiment vide. Seul un petit groupe se forme derrière un cordon de sécurité. «Le bébé phoque est revenu!», lance, toute excitée, une jeune fille en pointant un doigt en direction du rivage. Un brin chétif, le mammifère marin – un phoque commun, ou veau de mer – ondule vers les vagues. «Il se rapproche de la mer afin de fuir si besoin ; tout à l’heure, il a eu très peur», nous indique Els Derycke, l’une des 130 bénévoles de la NorthSealTeam, devenue manager de cette association qui intervient depuis deux ans pour garantir un peu de calme et de sécurité à ces phoques qui affluent sur la côte. Quelques instants plus tôt, un chien non tenu en laisse, malgré la réglementation locale, s’est montré menaçant à l’égard de l’animal échoué. Si les bénévoles de la NorthSealTeam interviennent et informent les maîtres pour les sensibiliser aux besoins de calme des phoques, «certains ne veulent rien entendre. Attaqué par un chien, un phoque en est pourtant mort l’an dernier», regrette Els Derycke.

La plupart du temps, les gens pensent que les phoques ont besoin d’aide, or ils ne sont pas forcément en difficulté.

Se reposer ou mourir

L’association a été créée en 2020 par Inge De Bruycker, une habitante d’Ostende, après avoir observé, avec effroi, la propension des habitants et des touristes à importuner les phoques sur la plage. Selfies intempestifs, caresses non consenties, dons de nourriture inappropriée, cris perçants d’enfants et d’adultes… «Certains phoques peuvent mourir d’un excès de stress induit par ces comportements qui provoquent chez eux une grande fatigue», alerte Els Derycke. «Cela affaiblit leur système immunitaire et provoque des infections», ajoute Jonathan Meul, du Sea Life, à Blankenberge, où un «hôpital» de dix places peut accueillir des animaux marins malades ou blessés, notamment les phoques repérés sur la côte.

Le phoque gris n’a presque plus de prédateurs, alors qu’il est lui-même considéré comme un redoutable chasseur.
Le phoque gris n’a presque plus de prédateurs, alors qu’il est lui-même considéré comme un redoutable chasseur. © North Seal

Une étroite collaboration entre la NorthSealTeam et Sea Life s’est d’ailleurs instaurée. Les bénévoles envoient des photos aux soigneurs, décrivent l’état général de l’animal et, surtout, offrent des moments de répit aux phoques. «Ces interventions permettent de réduire le stress des phoques, et donc de restreindre les nôtres», affirme Jonathan Meul. «Il faut que le public s’habitue à la présence des phoques et les laisse tranquilles. La plupart du temps, les gens pensent que les mammifères marins ont besoin d’aide, or ils ne sont pas forcément en difficulté lorsqu’ils sont sur les plages», rappelle Els Derycke, qui s’évertue à informer les autorités locales de la nécessité d’ériger des panneaux informatifs le long des côtes.

Est-ce vraiment pertinent d’aider chaque petit phoque individuellement, même les plus faibles?

En effet, les bébés phoques gris, par exemple, avec leur célèbre lanugo, ce pelage blanc caractéristique, reprennent juste parfois des forces avant leur mue car leur pelage de naissance rend la nage éreintante, parfois impossible. Ils patientent aussi souvent seuls, le temps que leur mère aille chercher de la nourriture. Par le passé, Sea Life recueillait systématiquement ces bébés, car ces périodes de repos les rendent extrêmement vulnérables. Désormais, elle les laisse jusqu’à 48 heures sur la plage avant de décider d’une éventuelle prise en charge.

Trop de phoques?

Depuis 2020, les phoques sont clairement de retour en Belgique. Si l’espèce est «indigène», comme le rappelle Jan Haelters, de l’Institut royal des sciences naturelles, elle s’était faite plutôt rare ces dernières décennies. Toutefois, lorsqu’on parle de phoques, encore faut-il être précis. A Nieuport, ce sont surtout des phoques «communs», ou veaux marins, qui prennent leurs quartiers. Ceux-là sont présents depuis quelques années et si leur population augmente légèrement en Belgique, elle décroît au Royaume-Uni.

Le phénomène véritablement nouveau concerne la recrudescence, ces deux dernières années, du nombre de phoques gris – beaucoup plus grands et massifs – qui débarquent sur notre littoral, alors même que leur colonie en mer du Nord avait quasiment disparu les derniers siècles, chassés par les humains pour leur graisse et leur pelage, mais aussi par les ours et les loups dans leurs lieux de reproduction ou de repos. Seules quelques centaines d’individus assuraient la survie de l’espèce sur des îles isolées au nord du Royaume-Uni.

Désormais, ils sont plus de dix mille à nager entre le Royaume-Uni, les Pays-Bas, la Belgique et le nord de la France. Une «explosion» que décrypte Jan Haelters: «Le phoque gris a été l’objet de mesures de protection dans les années 1960. Ce statut d’espèce protégée a permis à la population de grandir. Aujourd’hui, on peut dire que leur colonie n’a jamais été aussi grande. Vu leur nombre grandissant, ils se dispersent aussi dans nos eaux.» Par ailleurs, le phoque gris n’a presque plus de prédateurs, alors qu’il est lui-même considéré comme un redoutable chasseur. Il gobe des tonnes de poissons et n’hésite pas à goûter aux marsouins ou aux phoques communs. A tel point que son statut d’espèce protégée est remis en cause. L’association écossaise des producteurs de saumon a ainsi dénoncé les ravages causés par les phoques sur les élevages de poissons. Des pêcheurs irlandais et anglais ont même réclamé l’abattage de populations de phoques, qu’ils voient comme des concurrents dans l’accès aux ressources halieutiques.

De plus en plus nombreux, faut-il encore les protéger? «L’homme ne devrait pas trop déstabiliser la sélection naturelle. Est-ce vraiment pertinent d’aider chaque petit phoque individuellement, même les plus faibles?», s’interroge Jan Haelters. D’un autre côté, «ne rien faire serait dommage», ajoute le chercheur, notamment lorsqu’on constate que le nombre de décès de phoques étouffés ou blessés à mort dans des filets de pêche ne fait qu’augmenter. « Il s’agit de trouver le bon équilibre», conclut-il.

Plus habitués

Les bénévoles de la NorthSealTeam, eux, interviennent le long des 63 kilomètres de plages belges. A Ostende, ils ont même obtenu qu’un périmètre d’environ 900 mètres carrés soit installé de manière permanente sur la «petite plage» où des phoques viennent et reviennent presque chaque jour. S’ils jettent leur dévolu sur cet endroit, c’est que la mer y est calme, souvent très poissonneuse et vide de bateaux. Le vent y souffle moins fort. Un lieu de villégiature quasiment idéal pour reprendre un peu de poil de la bête et dormir quelques heures.

Tous les jours, les bénévoles, armés de leurs jumelles, veillent sur la jetée. Ils observent les allées et venues des mammifères marins, veillent sur eux, les comptabilisent, notent les heures d’apparition, leur temps de repos, leurs allées et venues et envoient toutes ces données à l’équipe de Jan Haelters. Bien sûr, ils en profitent pour sensibiliser les passants, par exemple de la nécessité de rester à une distance d’au moins trente mètres.

Quatre-vingts phoques ont été recensés sur la seule plage d’Ostende au cours des deux dernières années.
Quatre-vingts phoques ont été recensés sur la seule plage d’Ostende au cours des deux dernières années. © belga image

Au sein de l’association, on se souvient de ce phoque facétieux qui décida de visiter les ruelles du centre-ville d’Ostende ou de l’histoire d’un de ses comparses qui suscitait l’admiration des touristes sur la promenade côtière de Nieuport. «Cela fait deux ans que la population de phoques grandit, sans que l’on sache exactement pourquoi. Nous n’étions plus vraiment habitués à leur présence», constate Els Derycke. Son association a comptabilisé quatre-vingts phoques uniquement à Ostende au cours des deux dernières années.

Sur la «petite plage», un phoque gris s’est joint à notre bébé phoque commun. Il semble animé des meilleures intentions. Les bénévoles de la NorthSealTeam le nomment Cobra. «Il bouge comme un serpent, c’est un véritable acrobate», s’enthousiasme Els Derycke. Les touristes, fascinés, s’agglutinent et observent de loin, comme hypnotisés par l’irruption de la vie sauvage quasi en plein cœur de la ville.

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