Pourquoi l’effondrement du glacier en Italie était imprévisible (analyse)
Difficile de ne pas lier le drame de la Marmolada au réchauffement climatique. Les Alpes orientales italiennes connaissent des pics de température inhabituels. Il reste que cet effondrement était imprévisible.
La montagne n’est ni juste ni injuste. Elle est dangereuse », a un jour déclaré le grand alpiniste italien Reinhold Messner. Parfaitement conscient des innombrables risques de l’alpinisme, qui avait arraché, en 1970, la vie à son frère cadet, il n’a néanmoins pas su cacher sa stupeur et sa colère. L’effondrement inédit, le 3 juillet, d’une partie du glacier centenaire de la Marmolada, au nord de l’Italie, l’a bouleversé.
« Cette catastrophe n’est pas une fatalité ! Nous ne faisons vraiment rien pour sauver la Terre », s’est-il écrié après avoir vu les images de l’immense bloc de glace, de débris et de roche qui s’est détaché, au cours d’un paisible après-midi de juillet, de l’un des plus beaux massifs des Alpes orientales, appelé la « reine des Dolomites ». Un écroulement filmé par plusieurs promeneurs du dimanche, alertés par la voix assourdissante de ce fragment de glacier, de deux cents mètres de largeur et de quatre-vingts mètres de profondeur, s’émiettant brutalement dans sa course vers la vallée.
Opérations de secours délicates
Un « événement exceptionnel », selon tous les experts sollicités après le désastre qui a mis en péril, voire entraîné, dans son périple final d’un kilomètre et demi, parcouru à environ trois cents kilomètres à l’heure, des dizaines d’alpinistes ainsi que leurs guides. En milieu de semaine, sept corps mutilés avaient été retrouvés par les secours alpins alors que treize personnes étaient encore portées disparues.
« Un alpiniste expérimenté, en cette période de l’année, évite de se promener sous un sérac : l’art de l’alpinisme consiste justement à éviter la mort, là même où cette possibilité existe. Pour y arriver, il faut toujours tenir les yeux grand ouverts et les oreilles à l’écoute du moindre bruit »
Les opérations de sauvetage se sont, dès le début, révélées extrêmement délicates. Les secours alpins ont utilisé tous les moyens à leur disposition – hélicoptères, drones, unités cynophiles, appareils de surveillance à même de capter la présence de téléphones portables allumés sous la neige –, mais une forte pluie et, surtout, l’instabilité du terrain ravagé par l’avalanche ont considérablement compliqué la tâche des secouristes et des bénévoles accourus sur place.
« Un alpiniste expérimenté, en cette période de l’année, évite de se promener sous un sérac : l’art de l’alpinisme consiste justement à éviter la mort, là même où cette possibilité existe. Pour y arriver, il faut toujours tenir les yeux grand ouverts et les oreilles à l’écoute du moindre bruit », a expliqué Reinhold Messner aux journalistes. Pourtant, cette tragédie, probablement la plus cruelle de l’histoire de ces majestueuses montagnes italiennes, pouvait difficilement être prévue ou évitée.
« Nous ne pouvions pas présager l’inimaginable. La surveillance attentive des zones montagneuses est lancée si un massif présente une histoire révélant sa dangerosité. Or, le glacier de la Marmolada n’avait jamais été associé, jusqu’à ce dimanche, à des risques manifestes, précise Fabrizio de Blasi, chercheur en glaciologie à l’Institut des sciences polaires du Conseil national de la recherche italien. Par ailleurs, les cordées d’alpinistes, ainsi que leurs guides, emportés par la violence de l’avalanche, étaient en train de suivre un parcours qui n’avait jamais été considéré comme périlleux, un trajet que j’ai moi-même effectué il y a quelques années. »
Vagues de chaleur
La nature est en train de changer, voire de se venger. Rarement, en cette période de l’année, les températures ont atteint de tels records. Le jour de l’effondrement, elle était de 10°C au sommet de la Marmolada, à 3 300 mètres d’altitude. « Nous affrontons des vagues de chaleur, dues notamment à l’air extrêmement chaud en provenance d’Afrique, ce qui explique pourquoi, au mois de mai et de juin derniers, la température était supérieure de plus de deux degrés à la moyenne des quatorze dernières années », ajoute Fabrizio de Blasi.
Un changement climatique qui est en train de transformer inexorablement la morphologie et le visage des glaciers européens. Précaires et instables par nature, les séracs alpins peuvent présenter des crevasses, voire se déplacer naturellement vers les vallées. L’effondrement du 3 juillet n’a, toutefois, rien de « normal ». Les températures exceptionnellement chaudes pour la saison ont provoqué une énergie thermique inhabituelle au coeur du glacier. Un « coussin d’eau » chaude s’est ainsi formé entre la glace et la base du sérac : le glacier s’est soudain brisé comme du cristal, pour ensuite se détacher du terrain et brutalement dévaler la pente de la montagne.
« Tout est vraiment choquant… Ici, les changements climatiques se manifestent de manière très différente, par des conditions atmosphériques parfois complètement antinomiques mais toujours extrêmes », commente Alia Radetti, monitrice de ski et directrice de Dream Beyond, une agence de voyages de Bolzano qui organise des randonnées sur les massifs alpins du nord italien. « Nous devons parfois affronter des hivers trop généreux en neige et des étés terriblement pluvieux ou, au contraire, de plus en plus, des périodes de véritable sécheresse », ajoute-t-elle avec un soupçon de tristesse.
Mesures urgentes
Les passionnés de montagne se sont ainsi habitués, ces dernières années, à des sommets moins enneigés, à des pistes de ski recouvertes de neige artificielle, ou encore à des glaciers moins épais et stables qui se rétractent lentement, laissant derrière eux, comme corollaire de la fonte, des débris et d’impétueux torrents d’eaux sombres. « Avec la chaleur croissante, les glaciers deviennent plus minces et, lorsqu’ils s’effritent, des blocs de la taille d’un gratte-ciel s’effondrent vers les vallées », a lancé, dépité, Reinhold Messner. L’avenir des massifs alpins est désormais incertain. « Cette tragédie est due, indéniablement, à la détérioration de l’environnement. Le gouvernement doit prendre des mesures urgentes afin qu’un tel accident soit déjoué à l’avenir », a déclaré le président du Conseil, Mario Draghi, après être arrivé sur les lieux du drame, ravagés par une soudaine tempête de vent et de pluie.
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