Pourquoi le retour des loups est un vrai casse-tête pour l’Union européenne
De plus en plus d’éleveurs et de bergers se battent pour avoir le droit d’abattre le loup, espèce protégée dont la prédation augmente dangereusement. Les associations de défense de l’environnement ne l’entendent évidemment pas de cette oreille.
Après avoir été massivement chassés partout en Europe de l’Ouest, les loups gris reviennent progressivement sur leurs anciennes terres, où leur nombre croît de plus en plus rapidement. Avec ce retour massif, des Alpes françaises jusqu’aux forêts allemandes, les loups ravivent aujourd’hui un vieux conflit entre eux et les éleveurs, qui perdure depuis environ 3000 ans.
Plusieurs personnalités politiques se rallient pour défendre les bergers. Ils insistent sur le fait que le nombre de loups représente aujourd’hui une telle menace qu’il devrait être autorisé aux éleveurs d’avoir la liberté de contourner la législation européenne et ainsi leur donner le droit de les abattre. L’année dernière en France, 10.000 moutons auraient été tués alors que la population totale de loups est estimée à 300. En 2016, le pays a dû payer 3,2 millions d’euros de dédommagement pour ces pertes, et 2,8 millions l’année d’avant.
« Si vous ne parvenez pas à éradiquer ces attaques, la situation ne va jamais s’améliorer », a réagi le député européen des Verts José Bové, qui était à l’origine un éleveur de moutons dans l’Aveyron, dans le sud de la France. « Toutes les actions déjà entreprises pour protéger les éleveurs (placement de clôtures ou utilisation de chiens) n’ont pas fonctionné ».
Le problème a rapidement divisé les éleveurs et les défenseurs de l’environnement. Les bergers qui cherchent à protéger des troupeaux de plus en plus vulnérables font face à un camp conservateur de plus en plus puissant, qui perçoit le loup comme un allié important dans la repopulation de la vie sauvage européenne et dans l’amélioration de la biodiversité.
Nicolas Hulot, le ministre français de l’Ecologie, s’était réjoui du retour des loups au mois du juillet dernier, même s’il avait accepté, sous dérogation européenne, de porter à 40 le nombre total de loups pouvant être tués, ce qui n’avait pas manqué de faire réagir ses partisans. Son homologue allemande Barbara Hendricks a récemment déclaré à un média allemand que les éleveurs ne pouvaient pas se comporter comme s’ils étaient dans le « Far West » en contournant la législation qui protège de telles espèces.
Quelques éleveurs et chasseurs ont déjà contourné la loi et s’arment pour contrer le phénomène.
« Les loups ont toujours été admirés et adorés, mais également détestés par ceux qui vivaient près d’eux, comme les bergers. Il n’y a pas énormément de solutions, soit vous tuez tous les loups, soit tous les moutons, soit vous trouvez une solution intermédiaire », explique Luigi Boitani, un professeur de biologie et spécialiste des loups à l’Union internationale pour la conversation de la nature.
Les éleveurs s’en prennent principalement à la « directive habitat » qui interdit l’abattage des loups. Elle autorise néanmoins les pays à les tuer quand il n’existe plus aucune autre alternative pour empêcher les attaques de bétail, ou encore s’ils risquent blesser des personnes. Pour les éleveurs, il n’y a plus d’autre alternative, c’est pourquoi ils ont recours à leurs armes, alors que leurs opposants plaident pour des solutions alternatives comme la création de clôtures électriques, par exemple.
Les divergences politiques autour du problème se sont répercutées de manière intense lors des élections régionales du Länder allemand de la Basse-Saxe, où 10% des moutons du pays sont élevés. Le parti de centre-droit des chrétiens-démocrates voulait inscrire le droit d’abattre les loups dans la législation régionale, mais la coalition SPD-Verts s’est opposée.
Mais le problème remonte aussi jusqu’à l’échelon national. La ministre allemande de l’Ecologie Barbara Hendricks (SPD) et le ministre de l’Agriculture Christian Schmidt (CDU) ne sont même pas d’accord entre eux. Ce dernier a d’ailleurs prié Karmenu Vella, le commissaire européen à l’Environnement, d’autoriser rapidement l’abattage des loups.
« Pourquoi l’Union européenne ne classe-t-elle pas le loup dans la case des espèces dangereuses ? Quelle est la limite de population qu’ils peuvent atteindre ? », s’est interrogé le rédacteur en chef d’un magazine allemand consacré à la chasse.
La France semble, elle, être plus unie sur la question et dessine actuellement les contours d’une nouvelle politique en la matière, qu’elle espère proposer en janvier. Nicolas Hulot avait exaspéré ses soutiens en juillet quand il a eu recours à l’exception que prévoit la directive européenne, en autorisant l’abattage d’une quarantaine de loups (entre 10 et 13% de la population totale), suite aux nombreuses pressions des éleveurs.
Beaucoup d’entre eux considèrent cependant que le nombre de loups est aujourd’hui suffisamment élevé pour autoriser l’abattage. « Nous demandons à la France de réformer la « directive habitat » pour que le loup soit classé comme animal nuisible », a déclaré le président de l’union de coordination rurale des éleveurs de l’Aveyron, un département très touché par le phénomène.
Le nombre de loups a augmenté de manière exponentielle tant en France qu’en Allemagne. Deux loups seulement auraient franchi les Alpes depuis l’Italie vers la France en 1992. L’Office national de la chasse et de la vie sauvage estime aujourd’hui leur nombre entre 250 et 350. En Allemagne, deux loups sont venus de Pologne et ont donné naissance à des petits en 2000. Le pays compte maintenant 47 meutes, chacune composée entre trois et dix loups. Les attaques seraient apparemment de plus en plus nombreuses, et arriveraient de nuit comme de jour.
En août, quelques semaines à peine après la décision de Nicolas Hulot d’autoriser l’abattage d’une quarantaine de loups, des membres de la brigade « anti-loups » ont tué trois petits, sous la houlette de l’Office national de la chasse et de la vie sauvage. Les défenseurs de la cause animale ont indiqué que les petits ne posaient aucune menace pour le bétail et a qualifié ces abattages de « massacre ».
Le conflit entre les éleveurs, leurs représentants et les défenseurs de l’environnement et de la cause animale est bien ouvert. La Commission européenne est d’ailleurs bien consciente que sa politique est un véritable casse-tête. En discussion avec des jeunes chasseurs le mois dernier, le commissaire à l’Environnement Vella a déclaré que Bruxelles était en train de travailler avec les gouvernements nationaux pour désamorcer les tensions et qu’elle allait favoriser la coexistence avec les grands carnivores. Il a promis que la Commission allait clarifier sa réglementation afin de mieux gérer l’espèce.
20 ans après leur réintroduction dans les Pyrénées, les ours sont aujourd’hui au nombre de 39. L’évolution est assez impressionnante puisqu’ils n’étaient que 29 en 2015. Les dommages ont logiquement suivi cette hausse de population. Sur l’année 2016, 125 dossiers ont été imputés aux ours et les 158 animaux tués ou blessés (et 31 ruches détruites) ont été indemnisés. Ces dégradations ne font évidemment pas le bonheur des éleveurs, qui doivent constater les dégâts, mais la réintroduction de l’ours plaît aux associations de défense. Un éternel conflit.
Une des associations de défense, Ferus, constate que les chiffres montrent bien le succès de la réintroduction de l’ours dans la région et plaide pour un nouveau « lâcher d’ours ». Une requête que ne comprennent pas les éleveurs, qui dénoncent les attaques de leurs troupeaux, dont les pertes peuvent parfois s’élever jusqu’à 10%.
En juillet, environ 210 brebis ont chuté d’une falaise ou ont été tuées suite à l’attaque d’un ours, dans l’Ariège.
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