Carte blanche

Pour un Green New Deal belge et européen

Ce n’est pas la première fois que des sociétés humaines se trouvent au pied du mur face à des crises qui appellent à un sursaut majeur. Face aux enjeux du XXIe siècle, des réponses démocratiques fortes peuvent être mises en place, comme ce fut déjà le cas après la crise de 1929. Un Green New Deal social, économique et écologique peut aujourd’hui répondre à ces enjeux avec cohérence et efficacité.

Le statu quo n’est pas une option : notre démocratie et notre prospérité sont en danger

Pour respecter l’Accord de Paris sur le climat, nous devons faire plafonner nos émissions de gaz à effet de serre d’ici 2022, les réduire de 55% d’ici 2030, et les amener à zéro d’ici 2050. Les autres défis environnementaux sont gigantesques, comme le rappelle le récent rapport de l’IPBES (le GIEC de la biodiversité), qui documente la sixième extinction en cours de la vie sur Terre, la dégradation de nos écosystèmes et l’érosion de nos ressources naturelles. Tout aussi gigantesques sont les défis sociaux : la réduction des inégalités, le renforcement des services publics, l’amélioration de la qualité de la vie et l’exigence citoyenne de participation démocratique.

Face à cette crise de civilisation, la démocratie des petits pas a révélé toute son impuissance. Alors qu’elle profitait après-guerre des gains de la croissance économique pour huiler les rouages du consensus social, elle doit aujourd’hui composer avec la stagnation économique, l’érosion des services publics et l’amère désillusion de la face égoïste de l’individualisme, et du matérialisme. L’inertie domine alors que nous savons que le statu quo nous mène au pire. Si notre démocratie ne relève pas d’urgence ce triple défi environnemental, social et économique, le risque est grand que les citoyens se jettent dans les bras du populisme et de l’autoritarisme. Nous n’avons pas le choix, notre démocratie va devoir se hisser à la hauteur des enjeux, se montrer audacieuse, créative, rapide, forte et déterminée comme jamais !

Au XXe siècle : le New Deal de Roosevelt, un défi brillamment relevé

En 1929, l’Occident subissait la pire crise financière et économique du XXe siècle. Aux Etats-Unis, l’instabilité financière, la déflation, le chômage et l’extrême pauvreté étaient endémiques. Le populisme et le fascisme proliféraient et menaçaient la démocratie. Comme aujourd’hui, pour les démocrates, le statu quo n’était plus une option. La démocratie devait faire quelque chose d’inédit et de massif si elle voulait s’en sortir. Il fallait coaliser les forces entrepreneuriales, syndicales, scientifiques, intellectuelles, associatives et politiques dans un même élan, pour aller de l’avant. C’est pourquoi le président américain Franklin Delano Roosevelt proposa à ses concitoyens un New Deal. Un chantier colossal : il s’agissait de mettre fin à l’instabilité financière, de rétablir les prix sur les marchés, de relancer la production alimentaire, de fournir une aide aux démunis et de l’emploi aux chômeurs, d’améliorer le pouvoir d’achat, de restaurer l’environnement et de relancer l’économie.

Si le New Deal de Roosevelt a lancé une dynamique de croissance dont on mesure aujourd’hui certains effets destructeurs (ainsi, 285 aéroports et 1 million de kilomètres d’autoroute en son nom), il comportait cependant aussi des aspects environnementaux, ce qui est souvent ignoré. Si la crise de 29 avait ébranlé le pays d’un point de vue social et économique, la nature avait aussi fait les frais de calamités importantes. Les Raisins de la colère, roman et film fameux des années trente, nous aide à nous en souvenir. Plusieurs programmes fédéraux importants comportaient un volet de protection de la nature et des « ressources communes dans l’intérêt du peuple américain », et ce sur le long terme.

Pour le XXIe siècle : un Green New Deal, une contagion mondiale

Nous aurions tout à gagner de nous inspirer de cette incroyable période politique pour répondre à au moins trois urgences contemporaines : le réchauffement climatique couplé à la destruction de la vie sauvage et à la surexploitation des ressources ; la colère d’une partie de la population face aux dérives du système économique et la montée des inégalités ; la montée des populismes. Ainsi, les conditions semblent réunies pour forger un Green New Deal pour le XXIe siècle, comme le proposaient déjà les écologistes il y a plus de dix ans : Jean-Marc Nollet, dans un livre intitulé « Green Deal »[1], puis le Wuppertal Institute et son « Green New Deal for Europe – Towards Green Modernisation in the Face of Crisis » (2009) conçu à la demande des Verts au Parlement européen.

Poussée par un mouvement d’activistes et de scientifiques, la plus jeune députée du Congrès de l’histoire des Etats-Unis, Alexandria Occasio-Cortez, a déposé le 7 février 2019 un projet de résolution appelant à reconnaître le devoir du Gouvernement fédéral américain à créer un Green New Deal. Cette résolution vise à réussir en 10 ans une transition des Etats-Unis vers 100% d’énergie renouvelable et une économie zéro carbone, tout en l’accompagnant d’une politique de réduction drastique des inégalités et la création de millions d’emplois.

En Europe, le même mois, 600 personnalités européennes parmi lesquelles Olivier De Schutter, ont lancé un appel pour un Pacte Finance-Climat au niveau européen, consistant à investir 1100 milliards d’euros par an pendant 10 ans pour réduire drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre.

Au Royaume-Uni, le Labour party a répondu à l’appel du mouvement activiste Extinction Rebellion en faisant voter à la Chambre des communes la première résolution nationale du monde déclarant l’état d’urgence environnemental et climatique. Il s’est aussi engagé à mettre en oeuvre un Green New Deal s’il parvient au pouvoir.

Plus récemment, l’ancien ministre des finances grec Yanis Varoufakis a également appelé à un Green New Deal pour l »Europe afin de répondre à l’urgence climatique et sauver la démocratie de la dérive populiste. Varoufakis a rappelé à cette occasion que le plan de Roosevelt s’adressait aux gens qui avaient perdu l’espoir et leur inspirait l’idée qu’il y avait une alternative. Le New Deal s’adressait à la fois aux citoyens, aux chômeurs et aux entrepreneurs américains.

Le Green New Deal à la mode écologiste : le défi d’une démocratie forte

Aujourd’hui, nous avons besoin d’un séisme politique et sociétal. De plus en plus de citoyens refusent de vivre, et de laisser vivre leurs enfants, dans un environnement saccagé, une société inéquitable, une économie stérile et une démocratie sourde et incapable d’agir. Ils rejettent notre modèle économique extractiviste, productiviste et matérialiste, privilégient la qualité de vie, le lien social et l’efficacité de services publics « orientés usagers », et exigent un nouveau contrat démocratique dans lequel ils auront leur mot à dire. D’autres s’arque-boutent sur un passé révolu, nient ces constats et renforcent parfois sciemment les forces de destruction à l’oeuvre.

En quoi avons-nous besoin d’un « deal » ? Pour que la démocratie puisse relever effectivement ces défis, et garder sa légitimité auprès de la population, elle doit nécessairement proposer un projet économique, social et environnemental à ses citoyens. Si tous doivent changer, nul ne doit être laissé au bord du chemin. On ne pourra avancer l’agenda environnemental et climatique sans avancer en même temps l’agenda de la justice sociale. Nous avons besoin d’une alliance, d’un « deal » entre l’Etat et les citoyens, entre les travailleurs et les entreprises, avec les associations et au fond, entre toutes les composantes de la société. De facto, le climat est devenu une question de justice, c’est d’ailleurs pourquoi de plus en plus de gens parlent de « justice climatique ».

Un Green New Deal belge et européen doit tenir compte des contraintes de notre époque, notamment les habitudes de vie et de consommation qui restent très ancrées. Écologiser la société d’un seul coup, d’autorité, n’est pas possible. Mais il y a moyen de libérer les forces créatives inexploitées au sein de la société civile et de l’économie. Un phasing-out séquencé, encadré, mesuré par des indicateurs alternatifs au PIB et une augmentation graduelle de la place des alternatives nous semble les seules voies pour sortir du système qui menace notre survie.

A chaque secteur économique sa trajectoire de transition

Chaque secteur économique doit donc se doter d’une trajectoire de transition qui, pour certaines, passera par une reconversion complète.

D’un côté, la partie du tissu économique mondialisée, hypercompétitive et hypercarbonée doit être entièrement réorientée vers une économie circulaire et régénératrice, décabornée et recouplée autant que possible aux marchés locaux. Cela vaut à tout le moins pour les secteurs énergétiques, des transports, de la chimie, de l’agroalimentaire et de la construction. Un accompagnement public de ces trajectoires doit être prévu, pour créer les emplois nécessaires, comme le montre l’exemple des Allliances emploi-environnement dans le secteur de la construction[2].

La difficulté majeure de la transition de cette partie de l’économie sera d’éviter tout dumping environnemental, social ou fiscal. Alors comment faire ? Quatre voies doivent être mises en place de façon simultanée. La première – et sans doute la plus difficile à implémenter -, c’est la régulation de la finance pour la mettre au service de la société plutôt que des rentiers. La deuxième, c’est la taxation carbone aux frontières extérieures de l’Union Européenne pour les importations provenant de pays où les entreprises ne s’alignent pas sur l’Accord de Paris ou ne respectent pas la liberté syndicale. La troisième, c’est l’intégration dans les prix de vente des effets indirects des processus de production sur la société et la nature – c’est « l’internalisation des externalités ». Et la dernière, c’est le durcissement progressif mais rapide des normes sanitaires et environnementales. Le marché ne peut être plié aux contraintes écologiques et à la justice sociale que moyennant des lois claires et strictes.

De l’autre côté, l’économie locale, marchande et non-marchande, doit s’organiser autour des notions de sobriété. Aidée par les pouvoirs publics, basé sur un entrepreneuriat social et écologique, elle doit prendre une place majeure dans le tissu économique et assurer son financement par des circuits économiques courts.

Un troisième type d’activités économiques, plus expérimental, doit être valorisé à partir des initiatives de transition : fablabs, petites industries à destination locale et autres projets low tech en seraient les principaux composants. Ancré dans la créativité, ce nouveau secteur serait celui où un revenu de base prendrait tout son sens.

Enfin, le dernier pan de l’économie qui doit opérer sa transition, en assurant un rôle d’exemplarité puisqu’il est maîtrisable démocratiquement de part en part, c’est le secteur public. D’abord dans son rôle d’opérateur de services collectifs, orienté usagers. Ensuite dans son rôle administratif, où il doit opérer une mutation profonde afin de devenir un Etat partenaire, soutenant les initiatives à condition qu’elles s’inscrivent dans ce Green New Deal. Enfin dans son rôle d’entrepreneur à long terme, là où il peut investir comme personne d’autre, pour mener la transition.

Cette transition nous entraînera dans une nouvelle économie, fondée non plus sur l’extraction illimitée des ressources mais sur la sobriété, la circularité et la solidarité. Plus créative et résiliente, elle sera plus à même de rester dans les limites de la biosphère. Le déploiement d’une telle économie au travers d’une transition positive et contrôlée, devrait nous permettre d’échapper aux chocs dramatiques que nous subirions en cas d’inaction prolongée.

L’Etat démocratique peut se hisser à la hauteur de l’urgence écologique et sociale

L’exemple historique du New Deal nous montre que, face à une crise profonde, l’interventionisme de l’État est légitime et peut répondre aux enjeux avec cohérence et efficacité. Nous ne sommes toutefois plus dans les années trente. L’importance cruciale de la question environnementale oblige à prendre des mesures d’urgence. Pour parvenir à atteindre un monde zéro carbone en 2050, l’intervention devra être massive et coordonnée. Il serait d’ailleurs malhonnête d’annoncer que ces transformations se réaliseront sans bousculer nos habitudes et nos modes de vie. La seule manière d’y arriver, c’est de proposer un nouveau « contrat social », entre tous les citoyens, d’allier fin du monde et fin du mois, de défendre une transition écologique et solidaire, une véritable justice climatique, bref, un Green New Deal.

Jonathan Piron, conseiller à la prospective, Etopia

Christophe Derenne, directeur d’Etopia

Cédric Chevalier, économiste et chercheur-associé à Etopia

[1] Editions Le Cri / Etopia, 2008.,https://etopia.be/books/le-green-deal

[2] Menées par les écologistes à Bruxelles et en Wallonie entre 2004 et 2014. Sur l’impact à Bruxelles, lire « Impact des incitants financiers bruxellois à la construction durable sur le secteur de la construction », Confédération de la construction, Bruxelles-Capitale, 2016.

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