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Permaculture: cultiver chez soi, pour demain

Estelle Spoto Journaliste

Faire pousser ses légumes de manière durable dans son jardin, on a oublié comment le faire, mais ça s’apprend. De plus en plus de particuliers se lancent dans le potager permaculturel.

Un dimanche ensoleillé de ce début de mars. L’Usine, un espace polyvalent situé en plein centre d’Uccle et hébergeant artistes, artisans et différentes activités et événements, accueille la première journée du stage en potager permaculturel d’Econnaissances dans son petit jardin paradisiaque. Entre les ruches, les arbres fruitiers et le bassin aux poissons, Benjamin Ingebos, formateur du stage, présente les différentes zones dévolues aux légumes. Parmi les participantes, le degré de connaissances de base fluctue, mais toutes sont venues pour la même raison: apprendre à cultiver de manière durable, permanente.

Permaculture: le mot est assez répandu, mais que recouvre-t-il exactement? « Méthode de conception destinée à la création d’environnements humains soutenables », précise Bill Mollison, cofondateur australien de cette « méthode » dans les années 1970, dans son Introduction à la permaculture. « Le but est de développer des modes de vie et de fonctionnement qui ne nuisent pas à l’environnement et qui soient viables économiquement, qui subviennent à leurs propres besoins, qui n’abusent ni des humains ni du vivant, qui ne polluent pas la terre, et qui, par conséquent, sont durables sur le long terme. […] C’est une philosophie qui invite à travailler avec la nature plutôt que contre elle. » Face à la crise climatique, le concept a de quoi séduire ceux qui veulent agir à leur échelle, dans leur propre jardin (une trentaine de mètres carrés suffisent pour se lancer). La permaculture se distingue de l’agriculture bio car, si cette dernière n’utilise pas de produits issus de la pétrochimie, l’étiquette bio peut recouvrir des pratiques non durables comme l’utilisation de serres chauffées ou le recours au tracteur.

Après la Seconde Guerre mondiale, on a adopté une manière de cultiver très simplifiée par rapport à la complexité de l’agriculture qui a été pratiquée pendant des siècles.

Pour Benjamin Ingebos et sa compagne Marie Marchant, fondateurs d’Econnaissances et tous deux bioingénieurs formés à l’ULB, le déclic est venu lorsque, peu avant la fin de ses études, en 2016, Marie a eu un AVC, complètement inattendu. « Il m’a fallu quasiment trois ans pour terminer les six mois d’études qu’il me restait, retrace-t-elle. Ça a été un moment d’arrêt pour nous deux, ça nous a en quelque sorte éjectés de nos rails, ça nous a ouvert les yeux sur ce qu’il y aurait d’autre à envisager. » Alors qu’ils prévoyaient plutôt de travailler dans la recherche universitaire ou au sein d’une entreprise se concrétise l’envie de s’ancrer « plus dans le réel », de mettre les mains dans la terre. « Le potager est venu un peu par hasard, poursuit Marie. Du fait de cet AVC, je ne savais plus me concentrer sur quoi que ce soit et c’est devenu un projet à ma portée, où je pouvais m’investir petit à petit. Benjamin s’y est mis avec moi et c’est devenu une passion. Comme nous avions déjà une sensibilité pour l’agroécologie, il n’y avait pour nous pas d’autre façon de s’intéresser au potager que dans une approche écologique et durable. » Leurs connaissances et leurs expériences accumulées, ils ont décidé de les transmettre, à travers des conseils à domicile, des animations, mais surtout des stages organisés pour des particuliers à Bruxelles et en Brabant wallon. « On s’est rendu compte que ce n’était pas toujours facile de trouver les infos, que ça prenait beaucoup de temps et d’énergie, signale Marie. On a eu envie de faciliter ce chemin-là pour d’autres, afin que les choses évoluent dans cette direction-là. »

Retrouver les savoirs

Ce premier jour de stage à l’Usine se concentre sur le travail du sol, en prévision des premiers semis. Benjamin présente les différents outils – fourche-bêche, houe, grelinette, sarcloir… – et leur maniement, en expliquant pourquoi il est important d’aérer la terre sans la retourner complètement. C’est-à-dire exactement le contraire du labour en profondeur pratiqué en agriculture intensive. « Après la Seconde Guerre mondiale, on a adopté une manière de cultiver très simplifiée par rapport à la complexité de l’agriculture qui a été pratiquée pendant des siècles, retrace Benjamin. D’un système où on associait les cultures, on laissait un temps de repos à la terre et on combinait l’élevage et l’agriculture, on est passé à un processus linéaire où on utilise des produits chimiques, de l’engrais et des pesticides ; les légumes poussent, on les récolte, on remet des produits chimiques, etc. En adoptant cette manière de faire efficace, on a perdu les savoirs antérieurs. C’est seulement plus tard qu’on s’est rendu compte que cela épuise les sols. Et c’est tout un système. Par exemple, simplement interdire le glyphosate ne fonctionnera pas. Parce que dans le système actuel de culture intensive, l’agriculteur a besoin d’herbicide et s’il ne peut plus utiliser le glyphosate, il va trouver un autre herbicide, probablement encore plus toxique. Pour créer quelque chose de durable, on ne peut pas penser un élément isolément, c’est à l’ensemble de la chaîne qu’il faut réfléchir. »

Après l'effort, le réconfort... de se nourrir de sa production et en sachant vraiment ce qu'on mange.
Après l’effort, le réconfort… de se nourrir de sa production et en sachant vraiment ce qu’on mange.© econnaissances

Beaucoup de choses ont changé depuis les années 1950. La composition du budget des ménages s’est métamorphosée: en septante ans, la part consacrée à l’alimentation, qui constituait autrefois le principal poste de dépenses, a diminué de moitié. « En partie parce qu’on ne paie pas du tout le prix qu’il faudrait pour notre nourriture, précise Marie. Ce n’est pas normal que quelqu’un qui produit de la nourriture écologique ne soit pas capable de vivre de son activité. » « Les maraîchers sont un exemple type de personnes indispensables à la société qui vivent avec un salaire misérable alors qu’ils travaillent comme des fous », rebondit Benjamin, qui s’est formé chez des maraîchers bio pendant plusieurs années.

Aujourd’hui, cultiver son propre potager n’est donc pas rentable économiquement, mais le faire en permaculture apporte, outre la satisfaction de se nourrir de sa production et en sachant vraiment ce qu’on mange, un autre rapport avec l’environnement. Un rapport où l’on prend soin, lié à la fameuse éthique du care. Pas tout à fait étonnant, donc, si les stagiaires d’Econnaissances sont essentiellement des femmes, d’un peu tous les âges. Qui, pour l’heure, s’essaient à la technique du double bêchage et prennent leurs repères pour le semis des fèves. « On est capable de transformer le monde, déclarait dans une interview Charles Hervé-Gruyer, pionnier avec son épouse Perrine de la permaculture en France avec leur ferme du Bec Hellouin (lire l’encadré). Même si c’est juste le petit bout de monde qui nous entoure, si on est des milliards à faire ça, petit à petit, on transforme la planète. »

La ferme du Bec Hellouin

« Le modèle numéro 1 », pour Marie Marchant et Benjamin Ingebos. Fondée en Normandie par une juriste et un marin reconvertis, la ferme a été pionnière en Europe dans la pratique professionnelle de la permaculture. Mares, jardin mandala, forêt-jardin s’y combinent dans un « paysage comestible » où évoluent aussi des animaux. Depuis peu, elle se consacre exclusivement à des programmes de recherche sur « la ferme résiliente de demain ».

fermedubec.com

Permaculture: cultiver chez soi, pour demain
© ferme biologique du Bec Hellouin

Le potager d’Arthur

En 2016, le Belge Arthur Motté lance un compte Instagram et un blog pour partager sa passion pour le jardinage, lui qui a été initié à la magie du potager dès ses 7 ans par un vieil homme de son village, Alfonse. « Si moi, un jeune de 18 ans, j’ai réussi à créer un petit paradis sur seulement 15 mètres carrés, alors tout le monde en est capable », écrit-il dans l’intro de son livre paru en 2020 (Mon petit potager bio sur 15m², éd. Ulmer).

lepotagerdarthur.com

Fraternités ouvrières

A Mouscron, à l’arrière de leur maison ouvrière, Gilbert et Josine Cardon ont développé pendant quarante ans une véritable forêt nourricière, appliquant sans vraiment le savoir les principes de la permaculture. Au fil du temps, leur asbl Fraternités ouvrières a rassemblé 6 000 variétés de fruits et de légumes. Gilbert Cardon est décédé le 13 novembre dernier, mais son jardin demeure.

fraternitesouvrieres.over-blog.com

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