Où sont les déchets de Fukushima?
Plus de quatre ans après la catastrophe nucléaire de Fukushima, les déchets radioactifs et les détritus en tout genre continuent de se répandre sur terre, dans les océans et dans nos assiettes. Mais où sont-ils exactement ? Éléments de réponse.
Dans le courant du mois d’avril, des experts de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), organe chapeauté par l’ONU, se rendront à nouveau sur le site de Fukushima pour répondre à une demande expresse des autorités nippones, inquiètes de la quantité d’eau contaminée qui s’échappe toujours des réacteurs.
« La bataille de la décontamination ne fait que commencer »
Depuis le 11 mars 2011, jour de la catastrophe, les fuites ne se comptent plus. Fin février encore, des éléments radioactifs étaient détectés dans un canal traversant le site et descendant vers la mer. « Quatre ans après, la bataille de la décontamination ne fait que commencer », admet Pierre Le Hir, journaliste au Monde. « La radioactivité demeure partout présente, dans les réacteurs éventrés comme dans les sous-sols gorgés d’eau qui continuent de souiller le Pacifique (300 tonnes d’eau contaminée par jour, NDLR). » En début de semaine, une nouvelle étape de pollution « post-Fukushima » fut d’ailleurs franchie : celle qui sépare le Japon de l’Amérique du Nord.
Pour la toute première fois, des éléments radioactifs, comme le Césium 134, ont été détectés sur la plage d’Ucluelet, en Colombie Britannique (sud-ouest du Canada). Certes, les quantités sont actuellement marginales (« mille fois inférieure à la radiation reçue lors d’une radiographie dentaire », d’après Ken Buesseler, auteur des prélèvements), mais il faudra désormais suivre attentivement leur développement dans le milieu marin local, puisque la centrale ne cesse d’émettre des radionucléides (atomes radioactifs) dans le Pacifique et que ces particules radioactives devraient errer durant une dizaine d’années dans les océans.
Si l’Amérique du Nord commence donc « seulement » à être victime du « plus important déversement accidentel d’agents contaminants radioactifs dans les océans au cours de l’histoire » – des niveaux de césium analogues devraient prochainement être mesurés sur la côte ouest des États-Unis, cela fait bien longtemps que les déchets issus de la tragédie nucléaire se répandent dans le monde entier.
De la radioactivité en sachet
À commencer, évidemment, par le Japon, où le grand nettoyage s’effectue notamment par l’entrepôt de nombreuses tonnes de déchets radioactifs dans des sacs en plastique, le long du littoral. En tout, on dénombre 75 000 sites de stockages provisoires. Une situation qui dure, mais ne peut s’éterniser. Le gouvernement japonais a récemment annoncé vouloir incinérer, à terme, 22 millions de m³ de ces végétaux radioactifs afin de s’en débarrasser.
L’eau utilisée pour refroidir les réacteurs, 350 m³ d’eau douce par jour, demeure également problématique. Au contact du combustible nucléaire dégradé, elle se charge en radioéléments solubles (césium, strontium, antimoine, tritium…) et doit, du coup, être pompée et traitée consciencieusement avant d’être soit réintroduite dans le circuit de refroidissement, soit stockée dans des réservoirs, sur le site même. Tepco, l’opérateur en charge de la décontamination de la zone, assure cependant avoir trouvé un moyen de purifier 1 300 m³ d’eau quotidiennement, ce qui devrait permettre de limiter son stockage, estimé aujourd’hui à 600 000 tonnes.
Restes humains et Harley Davidson dans l’océan
Les suites de l’accident de Fukushima ne se limitent toutefois pas à la radioactivité « liquide ». Le séisme et le tsunami ayant frappé la côte du T?hoku en 2011 ont ainsi déversé quelque 5 millions de tonnes de détritus dans l’océan. La plupart ont directement coulé, mais environ 30 % ont navigué (ou naviguent encore) dans le Pacifique.
Dès l’hiver 2012, les plus « légers » ont atteint les États-Unis : filets de pêche, bouées, plastiques en tout genre, voire… restes humains (pas moins de 16 000 personnes furent portées disparues après la catastrophe). Huit mois plus tard, deux docks flottants en béton avaient gagné l’Oregon et l’État de Washington. Morceaux de bateaux, voiliers ou Harley Davidson n’ont pas tardé à s’échouer eux aussi sur les côtes américaines. Mais rarement en tir groupé.
Il est effectivement rare que ces différents objets « accostent » en même temps. Les données de la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA), l’agence américaine de l’océan et de l’atmosphère, montrent que les débris ne forment plus une masse unique, éclaire 20minutes.fr. « Depuis quatre ans, ils ont été dispersés dans le vaste océan Pacifique Nord », indique Sherry Lippiatt, coordinatrice régionale en Californie du programme sur les déchets marins de la NOAA. « Il est dès lors difficile de savoir combien flottent encore à la surface et où exactement. Beaucoup ont dû couler, se charger d’eau, et leur dispersion rend vaine toute observation par avion ou satellite. » D’après les calculs des scientifiques, la contamination de la côte ouest de l’Amérique du Nord devrait atteindre son paroxysme en 2016.
La « Grande zone d’ordures du Pacifique »
Emportées par un courant circulaire qui part du Pacifique Nord, la majorité des épaves qui n’ont pas fini dans les fonds marins ou sur les plages nord-Américaines sont prises au piège dans un tourbillon situé entre Hawai et le Pacifique, appelé la « Grande zone d’ordures du Pacifique ». « Ils pourraient y rester entre trente et quarante ans », confie Simon Boxall, océanologue britannique.
Des risques alimentaires ?
Et puis, il y a les éventuels risques alimentaires. L’équation est assez simple : plus la « zone contaminée » s’étend, plus les animaux aquatiques ont de chances d’ingérer des éléments eux-mêmes infectés.
Qu’il s’agisse de plastiques dégradés, au fil du temps, en microparticules facilement « avalables », ou d’isotopes radioactifs, tel le Césium 134 ou 137, qui se fixent par ailleurs sur le plancton, base de la chaine alimentaire marine. Un phénomène loin d’être cantonné aux seules côtes japonaises : en 2013, des poissons contaminés au Césium avaient ainsi été retrouvés dans des supermarchés Suisses, alors qu’ils avaient été pêchés aux Philippines, soit à environ 4 000 kilomètres du sud du Japon.
La consommation de ces poissons est-elle pour autant dangereuse pour l’homme ? Difficile de répondre avec assurance. Ce qui est certain, c’est que les doses détectées sont extrêmement faibles, bien en dessous des normes : 0,4 becquerel par kilogramme, pour une limite fixée à 1.250 becquerels par kilogramme. Mais plusieurs experts rappellent qu’en matière de radioactivité, il n’y a pas de seuil d’innocuité, écrivait l’année dernière le Huffington Post français.
Par Antoine Vidua
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