Coca-Cola est l’industrie agroalimentaire qui produit le plus de déchets plastiques. © GETTY IMAGES

Lutte contre la pollution plastique: une action contre Coca-Cola, pour l’exemple

Thierry Denoël
Thierry Denoël Journaliste au Vif

Procès intenté contre Coca-Cola, sommet mondial pour réduire la production plastique… L’urgence climatique concerne aussi ce polluant tenace.

Le moment était opportunément choisi pour attaquer le géant Coca-Cola en justice. France nature environnement (FNE), qui fédère les associations françaises de protection de l’environnement, a décoché sa flèche alors que le sommet  de Busan, en Corée du Sud, tentait de négocier un traité mondial sur la pollution plastique. Parmi les multinationales de l’agroalimentaire, le fabricant de la boisson gazeuse couleur pétrole est de loin celui qui produit le plus gros tonnage de déchets plastiques: trois millions de tonnes par an, selon l’Atlas du plastique. Accuser Coca-Cola de pratique commerciale trompeuse ou de greenwashing pendant les JO de Paris n’est pas passé inaperçu. La FNE veut en faire un exemple, avec l’espoir de mettre la pression sur tous les pollueurs plastiques.

L’ONG reproche à ce partenaire officiel des Jeux olympiques d’avoir trompé des milliers de consommateurs en se targuant d’une politique «zéro déchet d’emballage» durant l’événement sportif et en affirmant que ses boissons seraient servies dans des gobelets réutilisables, via des fontaines ou des bouteilles en verre. Or, il n’en a rien été, puisque, selon un document interne récupéré par la FNE, plus de six millions de boissons ont été consommées à partir de bouteilles en… plastique. C’est pour dénoncer cette hypocrisie que les associations environnementales ont saisi la justice. Cette action très symbolique est venue renforcer la médiatisation des négociations onusiennes de Busan. Après plus de deux ans de pourparlers, cette session qui rassemblait 198 pays était censée déboucher sur un accord international «légalement contraignant» visant à réduire drastiquement la production de plastique vierge.

Les fabricants qui ne veulent pas toucher à la production, semblent avoir remporté la partie.

140.000 Atomium

On le sait, les océans mais aussi les sols, un peu partout sur la planète, sont largement contaminés par ce produit de l’industrie pétrochimique, qui s’est surtout répandu depuis les années 1950. Sa courbe de croissance et de pollution suit celle des énergies fossiles, démontrant, ici encore, que ce sont ces sept dernières décennies qui ont été vraiment désastreuses pour l’environnement, le climat et aussi la santé humaine. Il n’a jamais été aussi urgent de faire la guerre aux plastiques, dont chaque étape du cycle de vie est polluante, depuis l’extraction des combustibles fossiles nécessaires à leur production jusqu’à leur rejet dans l’environnement, en passant par leur processus de fabrication et leur utilisation.

En 2020, la production mondiale de plastique s’élevait à 360 millions de tonnes, soit l’équivalent du poids de 140.000 Atomium. Et le milliard de tonnes devrait être dépassé en 2060, selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Cela ne fait qu’amplifier. On a fabriqué davantage de plastique depuis l’an 2000 que durant les 50 années précédentes. La production a plus que doublé en 20 ans. Pour fabriquer quoi? Le plastique est utilisé dans de nombreux secteurs industriels. Premiers sur le podium, les emballages (principalement à usage unique) représentent plus du tiers de tous les plastiques produits, suivis par le secteur du bâtiment et des travaux publics et, juste derrière, le textile.

Pour ce dernier, il s’agit des tissus vestimentaires les plus populaires car les meilleurs marché, comme le polyester, l’acrylique, le nylon, qui contiennent des substances chimiques pouvant interférer avec les fonctions hormonales –les fameux perturbateurs endocriniens. Quelque 60% des vêtements sont faits de plastique. Et, lors du passage en machine, le textile synthétique est responsable de 35% des rejets mondiaux de microplastiques primaires dans les océans. Par exemple, lors d’un lavage de six kilos de linge, l’acrylique libère dans les eaux usées 730.000 microfibres et le polyester 500.000, d’après une étude du Marine Institute de l’université de Plymouth, au Royaume-Uni.

«Décyclage» plutôt que recyclage

Malgré tous ces constats préoccupants, les négociations de Busan n’ont pas abouti. En cause, la résistance de quelques pays producteurs de plastique –parmi lesquels les principaux sont la Russie, l’Iran, l’Arabie saoudite et les pays du Golfe en général– qui sont aussi des producteurs de pétrole, la principale matière première du plastique qui représente 12,5% de la demande d’or noir. Sans surprise, le lobbying des géants de la pétrochimie est intense. Il faut dire qu’avec les objectifs de réduction de la dépendance aux hydrocarbures et l’interdiction programmée des véhicules thermiques, les multinationales du secteur fossile s’intéressent de plus en plus à d’autres débouchés. Elles investissent donc dans la pétrochimie et la production plastique. Pour défendre leur business, elles insistent sur les vertus de l’économie circulaire et du recyclage de ce polymère.

Mais le recyclage est très loin d’être à la hauteur de l’enjeu de la production. Aucune solution globale n’a été trouvée jusqu’à présent pour traiter proprement les quantités astronomiques jetées à la poubelle. A peine 10% des 9,2 milliards de tonnes de matière plastique mis en circulation depuis les années 1950 ont été recyclés, relève l’Atlas du plastique. A l’heure actuelle, à l’échelon mondial, 14% des emballages (moins de 10% aux Etats-Unis) font l’objet d’un recyclage, le reste est majoritairement mis en décharge ou incinéré, un tiers finit dans l’environnement. Il faut préciser que le plastique recyclé donne un plastique de qualité moindre, que les entreprises rechignent à utiliser. On devrait d’ailleurs parler de «décyclage» plutôt que de recyclage.

Malgré une coalition de pays «ambitieux» déterminés à réduire drastiquement la production de plastique, le sommet de l’ONU en Corée du Sud s’est terminé sur un échec. Les fabricants, qui ne veulent pas toucher à la production, semblent avoir remporté la partie. Les négociateurs ne se sont entendus sur aucun traité. Un accord a néanmoins été trouvé pour reprendre les discussions à une date ultérieure non définie. «Mieux vaut pas de traité qu’un traité vide», ont affirmé quelques négociateurs optimistes qui espèrent agrandir le groupe des Etats qui veulent réduire progressivement la production de plastique.

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