Dans le centre de Bruxelles, le nombre de jours de canicule est jusqu’à trois fois plus élevé que dans la campagne autour de la ville. © GETTY IMAGES

L’indiscutable réchauffement du climat belge: les quatre enseignements que livrent les données de l’IRM

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

Déjà presque deux fois plus rapide en Belgique que la moyenne mondiale, le réchauffement climatique se poursuivra aussi à l’échelle du pays. Mais dans quelles proportions? Voici ce que nous apprennent les chiffres de l’IRM.

«L’ère du réchauffement climatique est terminée, place à l’ère de l’ébullition mondiale», annonçait récemment le secrétaire général de l’ONU, António Guterres. C’est désormais certain: le mois de juillet 2023 fut le plus chaud jamais enregistré à l’échelle planétaire, dépassant le précédent record de juillet 2019. Canada, Grèce, Italie, Espagne, Afrique subsaharienne, Sibérie…

Aux quatre coins du monde, des incendies, aggravés par la conjonction d’un déficit persistant de précipitations et de vagues de chaleur, ont ravagé des régions entières. Les thermomètres enregistrent des températures supérieures à 50 °C.

En Belgique, un mois de juillet plus froid et pluvieux ne suffirait pas à infirmer l’évidente tendance mondiale, qui s’exprime par ailleurs sur le long cours: la température mondiale moyenne a déjà augmenté de près 1,2 °C par rapport à l’ère préindustrielle (1850-1900), soulignait, en mars dernier, le consensus scientifique du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec). Elle dépassera 1,5 °C dès les années 2030-2035. L’Europe de l’Ouest, quant à elle, se réchaufferait près de deux fois plus vite que la moyenne mondiale. Comme le souligne l’Agence européenne de l’environnement, elle a déjà dépassé le cap des + 2°C sur la période 2013-2022.

Ces prochaines années, les températures en Europe devraient augmenter à un rythme plus élevé que la moyenne mondiale.

Un aléa météorologique particulier n’a donc rien à voir avec une tendance climatique, dont les projections futures dépendent notamment du degré d’(in)action de l’homme face aux émissions de gaz à effet de serre. Selon les scénarios SSP («Shared Socio-economic Pathways») pris en compte, des moins pires (les SSP 1-1.9 et 1-2.6, qui paraissent hors d’atteinte avec les engagements actuels) au plus pessimiste (le SSP 5-8.5), la température mondiale augmentera de 1,5 °C à 5 °C entre l’ère préindustrielle et la fin du siècle.

Là encore, il s’agit d’une moyenne: comme c’est déjà le cas à l’heure actuelle, l’ampleur du réchauffement climatique varie fortement selon la région ou la surface (marine ou terrestre) considérée. Il est particulièrement intense en Arctique, où la disparition du permafrost et la fonte des glaces libèrent du CO2 et du méthane dans l’atmosphère, perturbent les courants marins et entraînent une élévation globale du niveau de la mer. «Les changements survenant aux pôles constituent véritablement une bombe à retardement pour l’ensemble du globe d’ici à la fin du siècle», confirme Nicolas Ghilain, chercheur en modélisation climatique à l’IRM et à l’ULiège.

Comment le réchauffement climatique se manifeste-t-il au plus près de nous, à savoir les températures observées dans les stations belges ces dernières décennies? Et quelles sont les prédictions pour le futur à l’échelle du pays ou de ses sous-régions? Voici les quatre enseignements que livrent les données de l’Institut royal météorologique (IRM). Qui, elles non plus, ne laissent aucune place au doute.

1. L’évidente hausse des températures

A la station d’Uccle, où l’IRM dispose de séries temporelles depuis 1833, la température moyenne annuelle a augmenté de 2,1 °C entre les trois premières décennies d’observation et les trois dernières, démontre le Rapport climatique 2020 de l’institut. Elle progresse de manière d’autant plus significative et constante à partir des années 1980. «Les trente dernières années sont 1,2 °C plus chaudes que la moyenne observée entre 1961 et 1990», décode Nicolas Ghilain. Cette tendance renvoie à deux autres constats. D’une part, le nombre de jours annuels affichant une température maximale d’au moins 25 °C est passé de vingt à trente entre ces deux périodes. D’autre part, les jours de gel se font logiquement de plus en plus rares (39, contre 52 précédemment). «Ce n’est donc pas qu’en été qu’il fait plus chaud, mais bien tout au long de l’année», soupire le chercheur.

Il ne s’agit pas d’un seul effet urbain. Ces tendances se confirment à l’échelle des huit stations historiques belges, pour lesquelles l’IRM dispose de données depuis 1880. «Si l’on compare la moyenne des trente dernières années (1990-2019) à celle des trente premières (1880-1909), on constate une augmentation de la température annuelle moyenne estimée pour la Belgique comprise entre 1,8 °C et 1,9 °C», mentionne le rapport. Jusqu’ici, le réchauffement climatique s’avère en outre significatif pour l’ensemble des saisons: au cours de la période 1954-2019, il s’élève à 0,36 °C par décennie en été, 0,34 °C au printemps, 0,29 °C en hiver et 0,20 °C en automne. «A l’échelle spatiale, il n’y a pas de signal très clair, hormis pour les températures extrêmes, indique Nicolas Ghilain. La Campine et l’Ardenne auraient tendance à se réchauffer un peu plus vite pendant l’été tandis que dans les régions côtières, ce serait davantage le cas durant l’hiver.»

© PHOTO NEWS

2. Des vagues de chaleur plus fréquentes, plus longues et plus intenses

Autre constat marquant: les vagues de chaleur deviennent à la fois plus fréquentes, plus longues et plus chaudes. L’IRM les caractérise comme des périodes durant lesquelles les maxima à Uccle atteignent 25 °C durant au moins cinq jours consécutifs, dont 30 °C pendant au moins trois jours. En 2023, par exemple, la première (et seule, à ce stade) vague de chaleur a eu lieu du 12 au 17 juin. Historiquement, elles furent «relativement fréquentes entre les années 1920 et 1950 et à nouveau depuis les années 1990», constate le rapport climatique. Avec une occurrence plus forte durant ces huit dernières années, puisqu’elles ont chacune connu au moins une vague de chaleur, hormis en 2021.

Si l’on s’attache à leur durée, les vagues de chaleur présentent aussi une tendance significative à la hausse depuis 1981, «avec une augmentation moyenne de + deux jours par décennie, poursuit le rapport. Les durées élevées observées en 2018 et 2019 (NDLR: mais aussi en août 2020, pendant douze jours, dont une semaine fut la plus chaude jamais enregistrée en Belgique) contribuent à cette tendance, et il sera intéressant de suivre également l’évolution de ce paramètre.» Enfin, leur intensité augmenterait en parallèle: + 1 °C par jour de vague de chaleur et par décennie.

3. Des villes plus étouffantes

De nombreuses villes font déjà face aux îlots de chaleur urbain. Ils se caractérisent par une élévation localisée des températures, essentiellement nocturnes, provoquée par divers facteurs: une grande proportion de surfaces bétonnées ou goudronnées (en particulier lorsqu’elles sont sombres), la circulation automobile, le chauffage domestique, la faible présence de végétation et de cours d’eau à ciel ouvert, ou encore la hauteur des bâtiments. «Dans ces circonstances, la chaleur absorbée par les matériaux pendant la journée se réémet durant la nuit, mais reste dans la ville, détaille Nicolas Ghilain. Ce dôme de chaleur peut se traduire par des différences de plusieurs degrés de température nocturne entre l’intérieur et l’extérieur des villes

A Bruxelles, par exemple, l’institut de recherche flamand Vito a cartographié les températures de l’air tout au long de la période 1987-2016. Résultat: «Les cartes générées montrent clairement l’effet urbain sur les températures de l’air et sur le stress thermique, avec des températures en moyenne supérieures de 3 °C en centre-ville durant l’été, conclut l’étude, parue en novembre 2018. Cela a aussi un effet sur le nombre de jours de canicule, qui est jusqu’à trois fois plus élevé au centre de Bruxelles (plus de dix par an) que dans la campagne autour de la ville (environ trois par an).» Les îlots de chaleur aggravent les conséquences de températures trop élevées sur l’organisme, notamment pour l’endormissement et la qualité du sommeil.

4. Un futur encore plus chaud

Quelle sera l’ampleur du réchauffement climatique futur en Belgique? Tout dépendra de la trajectoire mondiale des émissions de gaz à effet de serre, que le Giec estime dans différents scénarios. «Pour le moment, on suit le plus pessimiste, à savoir le SSP 5-8.5, commente Nicolas Ghilain. A l’échelle mondiale et selon la palette envisagée, il conduirait à une augmentation des températures globales de 3 °C, 4 °C voire 5 °C à la fin du siècle, par rapport à la fin du XIXe siècle.» Mais comme le prévoit l’Agence européenne de l’environnement, les températures en Europe devraient «continuer à augmenter tout au long de ce siècle à un rythme plus élevé que la moyenne mondiale». A l’horizon 2071-2100, elles pourraient ainsi y atteindre + 4,1 °C à + 8,5 °C dans le scénario SSP5-8.5, contre + 3,3 °C à + 5,7 °C à l’échelon mondial.

Le rapport climatique 2020 de l’IRM établit lui aussi des prédictions pour la fin du siècle, mais par rapport à une autre période donnée (1961-1990, et non l’ère préindustrielle). «Selon le scénario, l’évolution de la température moyenne pour la Belgique se situe entre 0,7 °C et 5,0 °C à la fin du siècle, résume-t-il. Une augmentation importante de la température est généralement attendue plus en hiver qu’en été

Récemment, l’institut a aussi estimé la récurrence future des stress de chaleur à Bruxelles, en fonction des différents scénarios du Giec. «Les résultats montrent que dans le cadre de l’Accord de Paris (c’est-à-dire des niveaux de réchauffement global de 1,5 °C à 2,0 °C), la température estivale moyenne à Bruxelles augmentera de 3,6 °C à 4,1 °C en moyenne, indique l’IRM. Le nombre de jours de canicule à Bruxelles augmentera d’environ 30,6% et 158,9% pour un réchauffement global de 2 °C et 3 °C respectivement par rapport à un réchauffement global de 1,5 °C.»

Dernier fait plutôt méconnu: «La présence de certains types de pollution, qui agissent comme aérosols, ont pour effet de refroidir l’atmosphère, souligne Nicolas Ghilain. Ces dernières décennies, et comme le Giec le mentionne dans son rapport, on a constaté une hausse des températures subséquente aux diminutions d’aérosols.» La lutte contre le réchauffement climatique peut donc s’avérer d’autant plus complexe à mesure qu’elle s’accompagne d’une réduction tout aussi indispensable de la pollution. D’où l’urgence d’une diminution drastique des émissions de gaz à effet de serre.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire