Les stations de ski veulent lutter contre les « lits froids »
Les «lits froids», délaissés une majeure partie de l’année, préoccupent les stations de ski. Elles tentent de lutter contre ce fardeau économique et écologique avec du coaching, des aides et avantages ou des initiatives créatives.
On imagine aisément que lorsque les skieurs déchaussent et retournent dans leur vallée, les sommets se vident. On imagine moins que, même en saison, nombre de volets restent fermés, des «lits froids», des logements utilisés moins de 10% l’an. Les hébergements de tourisme qui ont poussé comme des champignons dans les années 1970 ont mal passé le cap de la cinquantaine. Les voyageurs rêvent désormais d’appartements plus grands, plus proches des photos de leur flux Instagram. Mais les propriétaires de ceux-ci n’ont pas forcément envie de les rendre accessibles à des inconnus.
Le secteur de la montagne n’a pas attendu de voir les glaciers fondre de manière préoccupante pour s’intéresser à cette problématique. L’éradication des lits froids est l’Arlésienne des cimes. Les enjeux climatiques renforcent toutefois le sentiment qu’une solution doit être trouvée. «Le problème est que ces logements sont souvent mal isolés, ce qui en fait des passoires énergétiques. Surtout, lemanque de lits pour répondre à la demande incite à bâtir de nouvelles constructions, ce qui a tendance à accroître l’artificialisation des sols sur des territoires qui sont déjà contraints naturellement», résume Mathias Virilli, journaliste à Montagnes Magazine.
Lits vides, stations complètes
«Nonante pour cent du chiffre d’affaires de notre station est généré par de la clientèle en séjour, évalue Sophie Hermann, responsable de l’Espace propriétaire des Orres, dans les Alpes du Sud. Nous estimons avoir besoin de 9 500 lits marchands pour répondre aux demandes et permettre au modèle économique de fonctionner. Or, actuellement, nous dénombrons 8 500 lits sur le marché.» Les lits manquants existent, mais les skieurs de passage ne peuvent y résider.
Travailler avec les copropriétés est notre nouveau défi.
«Les propriétaires privés sont, de loin, les principaux hébergeurs, poursuit Sophie Hermann. Ils représentent 90% du parc dans la station. Nous devions donc nous adresser à eux.» C’est pourquoi l’Espace propriétaire a été créé en 2020 pour informer ceux qui détiennent les clés et les encourager à mettre leur bien en location, en leur facilitant la vie (accompagnement, conseils…). Pour s’assurer que les appartements soient non seulement proposés à la location, mais aussi suffisamment attractifs pour les touristes, un label qualité a été mis en place. Les propriétaires dont les logements remplissent les critères obtiennent des réductions auprès des commerçants et prestataires de la région, des bons d’achat pour les remontées mécaniques, etc. Plus on loue, plus on reçoit d’avantages.
Rénovation contre location
Même type de stratégie dans la vallée des Belleville (Saint-Martin-de-Belleville, Les Menuires, Val Thorens). L’accent y est mis sur la rénovation de qualité. «En contrepartie des subventions versées par la commune et la société des remontées mécaniques pour aider à la rénovation, nous demandons une mise à disposition pour la location d’au moins douze semaines durant la saison d’hiver, pendant neuf ans», détaille Laurence Rivail, responsable de l’Espace propriétaire des Menuires. Le dispositif n’est pas neuf, il vient de fêter ses vingt ans dans la station et a évolué avec son époque: «Nous avons rénové un appartement témoin qui est un modèle de rénovation écoresponsable, car nous avons souhaité aller plus loin dans l’accompagnement de nos propriétaires par rapport aux enjeux écologiques.»
L’offre s’est aussi adaptée pour ne plus capitaliser uniquement sur la saison d’hiver. «Si l’on veut élargir à l’été, nous devons être en cohérence avec les attentes des clients, ajoute Laurence Rivail. Nous devons, par exemple, aménager les copropriétés pour accueillir des vélos. Travailler avec les copropriétés est notre nouveau défi. Cela nous permettra aussi d’initier des rénovations complètes en matière d’isolation, de remplacement des réseaux de chaleur qui étaient alimentés au fioul…»
Trop de résidences secondaires?
Si l’énorme proportion de résidences secondaires crée ces lits froids (et engendre une pénurie de logements pour les saisonniers et habitants à l’année), n’y aurait-il pas un intérêt à les limiter? C’est l’option choisie par la Suisse: aucune nouvelle résidence secondaire ne peut plus être érigée dans les communes qui en comptent déjà 20% ou plus. Même si des arrangements sont pris avec la réalité (avec des résidences principales qui n’en sont pas), le Tyrol autrichien affiche un quota de 8%. Un modèle impossible à copier en France où le droit de propriété prévaut.
Par-delà le tourisme
D’autres initiatives singulières voient le jour: à Villard-de-Lans, des artistes sont accueillis en résidence durant la basse saison par la Villa Glovettes. La Maison des cimes de L’Hospitalet-près-l’Andorre propose un hébergement temporaire pour des mères célibataires et leurs enfants qui se retrouvent dans des situations de fragilité, luttant par la même occasion contre la désertification du village. Misant sur l’essor du télétravail, Wanderful Life, aux Arcs, allie hébergement touristique et coworking. Ces projets, le journaliste Mathias Virilli les a repérés pour son livre Demain la montagne (coécrit avec Sandy Plus et publié chez Glénat). «Cela reste encore marginal, mais l’évolution est là, observe l’auteur. Les stations de haute montagne resteront probablement axées sur le ski, car il y a encore de la neige et c’est une activité très rentable. Plus bas, celles qui sont soumises à la remontée de la limite entre pluie et neige devront sortir du modèle totalement axé sur le tourisme et trouver d’autres ressources. Mais chaque station est différente, il n’y a pas de solution miracle.» D’autant qu’avec les lits occupés à l’année par des néomontagnards qui fuient les villes apparaît aussi un phénomène de gentrification des sommets…
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