L’éclairage de nos villes de demain sera-t-il vivant?
Une lumière plus douce pour les usagers, plus durable et moins perturbante pour l’écosystème… Demain, l’éclairage de nos villes pourrait bien être vivant, grâce à des utilisations nouvelles de la bioluminescence.
Peut-être avez-vous déjà vu passer d’étonnantes photos de la mer du Nord et de ses vagues dégageant, à certaines périodes, une douce lumière bleutée. Pas de magie derrière tout ça, mais un phénomène bien connu des biologistes: la bioluminescence, une réaction chimique d’oxydation qui produit des photons. C’est elle qui fait briller les lucioles et vers luisants, mais aussi différents types de champignons et de nombreuses bactéries. On estime que près de 80% des organismes marins émettent de la lumière. « On ne peut pas toujours le voir à l’oeil nu, mais on en trouve partout. Quand on prélève 20 millilitres d’eau sur n’importe quelle plage ou même quand on prend des entrailles de poisson chez le poissonnier, il y a des bactéries luminescentes à tous les coups », explique Sandra Rey, fondatrice et CEO de Glowee.
Cet éclairage plus diffus, moins agressif, dérange moins les écosystèmes.
Pour concevoir un éclairage urbain d’un tout nouveau genre, cette société a choisi de travailler à partir de ces bactéries. « L’ avantage de la bactérie est qu’elle se reproduit très vite et qu’il n’y a pas de question éthique comme il y en aurait avec des animaux. On peut en cultiver une grande quantité de manière infinie en laboratoire, détaille Sandra Rey. Et si on les nourrit, on peut créer un petit écosystème avec des bactéries vivantes qui remplacent en permanence les organismes morts et sont capables de produire de la lumière. » Une lumière qui ne s’ éteindrait jamais, en somme. Et qui aurait nombre d’autres qualités, comme le fait d’être plus apaisante que celles qui nous entourent, de réduire la pollution lumineuse ou encore de moins perturber l’ environnement.
« On va mener des recherches sur la faune et la flore, et la manière dont elles perçoivent la bioluminescence, car des écrits anciens abordent la question mais l’on manque d’études scientifiques, annonce la fondatrice de Glowee. Ce qu’on observe déjà, c’est qu’avec un éclairage plus diffus, moins agressif, qui se situe davantage au niveau du sol, etc., on dérange moins les écosystèmes. Avec ce type de lumière qui ne produit pas de chaleur, on attire aussi moins les insectes, par exemple. »
Il n’est pas question ici d’éclairer les grands carrefours de nos capitales avec des bactéries marines, mais plutôt de remplacer certaines sources lumineuses non essentielles sans les supprimer totalement (mobilier urbain, signalétique, vitrines, parcs, etc.). Rambouillet, en Ile-de-France, a décidé de se positionner en laboratoire de cette nouvelle philosophie d’éclairage. Le projet commencera en douceur d’ici à l’automne 2022 avec un mobilier urbain signalétique devant le centre culturel de la ville, sur la place qui accueille également le commissariat, le bureau de poste… « Les villes sont prêtes, déclare Sandra Rey. Certaines sont plus en avance que d’autres, mais nous nous rendons compte qu’elles viennent avec des besoins identiques: réduire leurs coûts environnementaux, évidemment, mais aussi répondre à la demande des citoyens en redonnant de l’attractivité et en instaurant un nouveau lien avec la nature. »
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Des arbres lampadaires
Portés par cette même envie d’une cité plus verte, Ghislain Auclair et son épouse Rose-Marie ont orienté leurs recherches en biotechnologie pour réaliser leur rêve: créer des arbres lampadaires. « Ça permettrait de ramener des plantes dans les villes, on pourrait mieux respirer, ça rafraîchirait l’air et on sait que la présence de végétal autour de soi a un impact positif sur le cerveau humain. Sans parler de l’ avantage écologique de développer de nouvelles plantes plutôt que de produire du métal, du verre ou de l’électronique », argumente le fondateur de Woodlight.
La route est encore longue avant de déambuler dans une forêt lumineuse, mais leurs recherches progressent. Dans un premier temps, les deux Français ont choisi de créer des plantes d’intérieur diffusant une lumière d’ambiance, comparable à celle d’une bougie. Pour l’instant, ils ont obtenu une preuve in vivo de la faisabilité du concept et espèrent voir naître dès cet été leur première plante prototype. C’est la Nicotiana benthamiana, une variété de tabac souvent utilisée dans la recherche, qui a été retenue pour ces premiers essais, mais à terme toutes les plantes pourraient être modifiées avec le protocole qu’ils établissent.
Ici, pas de culture de bactéries, mais des modifications génétiques: « On récupère les gènes qui provoquent l’émission de luminescence dans des organismes et on les transfère dans une plante qui garde toutes ses capacités naturelles. C’est la lampe parfaite, capable de produire de la lumière, mais aussi de l’oxygène, qui dépollue, qui est recyclable à 100%, etc. » La commercialisation à grande échelle n’est pas pour tout de suite, mais en théorie, n’importe quel particulier à la main verte pourra adopter un de ces végétaux luminescents et lui donner les mêmes soins que ceux prodigués à des plantes d’intérieur classiques.
Chemins lumineux
Pionnières dans le domaine sur la scène internationale, aucune des deux entreprises interrogées ne collabore pour l’instant avec des communes belges. Pour autant ; l’idée d’un éclairage différent semble faire son chemin chez nous aussi. A l’Euro Space Center de Transinne (à proximité d’une zone Natura 2000), un chemin luminescent a par exemple été installé. Pas d’ organismes vivants dans ce procédé nommé Taglight. Il s’agit d’un composant, créé par l’entreprise Interblocs, à Libramont, qui est associé au béton. Il emmagasine les UV en journée pour les restituer la nuit, par photoluminescence, et se prête également très bien à l’aménagement de pistes cyclables, notamment. Une démarche différente de la bioluminescence, mais qui suscite un intérêt croissant pour des chemins sans halogènes ni LED et invite, avant même l’ aboutissement des développements technologiques, à repenser la manière dont nous (sur)éclairons nos villes. Que ceux qui craignent une diminution de la sécurité dans des zones plus sombres se rassurent, études et expériences tendent à prouver que c’est un simple ressenti, non étayé par les faits.
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