Le triste destin des poussins mâles
Ici, au sous-sol d’un bâtiment universitaire à Dresde en Allemagne, se joue le destin de millions de poussins: des chercheurs peaufinent une technique pour identifier le sexe des oeufs. L’enjeu: éviter de faire éclore les mâles, promis à une mort certaine.
Les coqs ne pondent pas d’oeufs et, dans la filière des poules pondeuses, n’ont pas d’autre utilité. Becs inutiles, les poussins de sexe masculin sont éliminés dès la naissance, en général broyés, à raison de 50 millions par an rien qu’en Allemagne.
A la clinique universitaire de Dresde (est), Gerald Steiner, professeur en chimie analytique, et son équipe travaillent depuis quatre ans à leur éviter ce sort peu enviable, qui émeut l’opinion publique de plusieurs pays dont la France.
La technique est maintenant au point. Elle repose sur la spectroscopie, c’est-à-dire l’analyse du spectre lumineux, en l’occurrence des vaisseaux sanguins des embryons. La spectroscopie est utilisée en oncologie pour identifier des tumeurs car elle permet de distinguer cellules malades et cellules saines.
« Si on peut identifier une tumeur, pourquoi pas le sexe? », résume Roberta Galli, physicienne, telle est la réflexion de départ. Le projet occupe plusieurs équipes en Allemagne et deux entreprises privées. Y travaillent vétérinaires, chimistes, ingénieurs et physiciens.
Fille? Rebouché. Garçon ? Jeté
Mme Galli et sa collègue Grit Preusse prennent les oeufs. Ils ont été couvés trois jours, les vaisseaux sanguins sont formés. « Mais pas les cellules nerveuses, donc ils ne ressentent pas la douleur », précise M. Steiner. D’un point de vue éthique, il vaut donc mieux effectuer la sélection maintenant qu’une fois que les poussins sont sortis de l’oeuf.
Un laser creuse un sillon circulaire au sommet de l’oeuf, qui permet, en soulevant la coquille, de faire un trou. Visibles à l’oeil nu, les veines se dessinent dans le jaune d’oeuf, un minuscule coeur bat.
L’oeuf est ensuite déposé, une pièce plus loin, dans un gros caisson noir, un spectromètre. Sur un écran s’affiche le spectre des caractéristiques biochimiques du sang de l’embryon.
« A l’oeil nu, on ne voit pas la différence (entre mâle et femelle), mais l’ordinateur en est capable, s’il est bien programmé », explique M. Steiner. C’est à ce programme, qui utilise des algorithmes, que son équipe a travaillé ces dernières années, pour arriver à un taux d’identification correcte de 95%.
La procédure n’a pris que quelques minutes. Si le poussin est mâle, l’oeuf est jeté. Un oeuf femelle est rebouché, à l’aide d’un simple sparadrap, et mis en couveuse. Quelques jours plus tard il en sortira une poule pondeuse, que l’université donnera à une ferme bio de la région.
A terme, selon M. Steiner, on trouvera sans doute des utilisations pour les embryons mâles, dans la nourriture pour poissons ou dans des shampoings au jaune d’oeuf.
Pression politique
La méthode répond aux critères que s’étaient fixé les chercheurs: une intervention permettant qu’ensuite « les poussins éclosent et soient en bonne santé ». Autre enjeu: que le procédé puisse être automatisé, explique Mme Preusse.
Ces impératifs distinguent la méthode des autres possibilités, reposant par exemple sur une analyse endocrinologique. Celle-ci, sur laquelle planche par exemple une équipe à Leipzig (est de l’Allemagne), implique un prélèvement puis son analyse, qui peut prendre jusqu’à plusieurs heures. Un procédé peu praticable à grande échelle dans les élevages.
L’automatisation sera la prochaine étape de la méthode de M. Steiner. A terme une machine fera le trou, une autre, la plus compacte possible, identifiera le sexe, refermera l’oeuf « fille » et évacuera le « garçon ». Une start-up de Dresde travaille à développer ces machines, dont un jour pourront être équipés les éleveurs.
Quand? Pour l’Allemagne la réponse à cette question est aussi un enjeu politique. Face à une opinion publique de plus en plus soucieuse du bien-être animal, le ministre de l’Agriculture Christian Schmidt a promis qu’à partir de 2017, les poussins mâles ne seraient plus broyés. Mais il ne veut pas avoir à interdire le broyage. Et mise donc tout sur les recherches de M. Steiner, co-financées par son ministère.
« Les politiques nous mettent la pression à l’approche des élections (législatives fédérales) prévues en 2017 », raconte M. Steiner, qui dit recevoir « toutes les semaines » des appels du ministère – « pour savoir où nous en sommes ».
Il est persuadé que le procédé sera disponible en série d’ici le scrutin en septembre 2017. Ainsi se réalisera « un vieux rêve du monde agricole: n’avoir que des poules pondeuses », déclare-t-il. Tout en résolvant « un problème éthique ».
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