Le déclin des bourdons en Belgique : « Ce que l’on voit dans nos jardins pourrait ne plus exister »
Réchauffement climatique, canicules, agriculture intensive… Autant de facteurs qui ont un impact négatif sur la population de bourdons. Selon une étude parue dans la revue Nature, qui analyse l’évolution de 46 espèces de bourdons en Europe, ces pollinisateurs se raréfient dans plusieurs pays, dont notamment la Belgique. Une situation qui pourrait s’aggraver dans l’avenir, et avoir des conséquences désastreuses sur l’environnement.
Ces après-midi printaniers passés dans un parc ou un jardin, à regarder lascivement un bourdon butiner de fleur en fleur, pourraient bien ne devenir que de lointains souvenirs. Depuis le XXème siècle, de nombreuses espèces de bourdons sont moins présentes dans plusieurs pays, notamment d’Europe centrale, donc en Belgique.
«J’essaye toujours de me mettre dans la tête de quelqu’un qui se baladait en Belgique en 1910, qui voyait certains bourdons extrêmement communs qui aujourd’hui n’existent plus, se désole Guillaume Ghisbain, chercheur au département de zoologie de l’Université de Mons et co-auteur de l’étude sur le déclin bourdons parue dans Nature. Et dans le futur, ce que l’on voit dans nos jardins, cela pourrait ne plus exister non plus.»
«Les ours polaires des pollinisateurs»
En Europe, il existe environ 70 espèces de bourdons. De manière générale, ils s’épanouissent dans des régions tempérées, froides ou de hautes altitudes.
«Les bourdons sont un peu les ours polaires du monde des abeilles et des pollinisateurs, parce que ce sont des organismes qui ne supportent généralement pas bien la chaleur», souligne Guillaume Ghisbain.
En observant 46 espèces de bourdons, les chercheurs d’université belges (ULB, VUB, Umons, UCLouvain et KU Leuven) ont remarqué que des espèces avaient disparu ou s’étaient raréfiées dans certaines régions. Et le réchauffement climatique n’y est pas pour rien.
Selon les projections, 75% des espèces pourraient perdre un tiers de leur distribution en Europe. Le problème c’est que lorsqu’on a de petites distributions, les animaux commencent à se reproduire entre eux, ce qui amène une perte de la diversité génétique, puis une extinction
Guillaume Ghisbain, chercheur au département de zoologie de l’Université de Mons
«En Belgique, on a un cinquième des espèces qui ont complètement disparu du territoire, et un autre cinquième est en danger critique d’extinction», alerte Guillaume Ghisbain. La Belgique n’est d’ailleurs pas le seul pays concerné par l’appauvrissement de sa population de bourdons, la France, l’Angleterre et les Pays-Bas sont également dans une situation particulièrement critique, selon les observations des chercheurs.
Lors des fortes périodes de chaleur, comme les canicules, certaines espèces de bourdons peuvent être sujets à des réactions physiques violentes. Cela peut être au niveau cognitif, avec un dysfonctionnement du système nerveux ou au niveau de la fertilité qui touche la qualité des spermatozoïdes des mâles. Les espèces les plus sensibles à la chaleur, qui vivent dans des régions plus froides, sont parfois touchées par une stupeur thermique, qui provoque une paralysie, puis la mort.
Ces événements risquent d’être de plus en plus fréquents, alors que la Belgique enregistrait une canicule inédite début septembre.
Les méfaits de l’agriculture intensive
La majorité des bourdons s’épanouit dans des environnements avec peu d’activité humaine, qui contient une diversité de végétation de fleurs sauvages. Or, dans les zones d’agriculture intensive, ces derniers peinent à trouver ce dont ils ont besoin.
Les engrais azotés souvent utilisés pour l’agriculture empêchent certaines plantes de pousser, qui sont parfois les préférées de ces insectes, à l’instar des trèfles. Au sein des champs, il devient donc très compliqué de trouver de la nourriture adéquate.
D’un point de vue de l’économie comme de la santé humaine, le déclin des bourdons et le changement du climat peuvent avoir des impacts qui sont assez grands.
Guillaume Ghisbain
La taille des champs cultivés, qui peut dépasser plusieurs centaines d’hectares, pose alors un problème dans l’environnement des bourdons.
«L’agriculture intensive prend beaucoup de place et fragmente les habitats, c’est-à-dire que les bourdons peuvent être amenés à traverser, aller-retour, un champ pour trouver de la nourriture, ce qui leur fait perdre énormément d’énergie, souligne Guillaume Ghisbain. On se rend compte que dans les habitats fragmentés, la diversité de pollinisateurs est moindre.»
Des prévisions alarmantes
Dans le cadre de l’étude, trois scénarios ont été dressés quant à l’évolution de la population de bourdons jusqu’en 2080.
Selon les différentes prévisions, même les plus optimistes, la population de ces pollinisateurs continuera probablement de se raréfier pendant les prochaines décennies. Les espèces les plus au nord risquent de s’éteindre, tandis que celles du centre et du sud pourraient bien se déplacer vers des régions plus froides.
«Selon les projections, 75% des espèces pourraient perdre un tiers de leur distribution en Europe. Le problème c’est que lorsqu’on a de petites distributions, les animaux commencent à se reproduire entre eux, ce qui amène une perte de la diversité génétique, puis une extinction», précise Guillaume Ghisbain.
La disparition des bourdons pourrait avoir des conséquences importantes sur la biodiversité, mais aussi sur la nourriture. Moins de pollinisation pourrait réduire la présence de certaines plantes essentielles à la consommation des herbivores. Cela aurait un impact sur l’entièreté de la chaîne alimentaire.
Cette diminution de la pollinisation risque aussi d’amoindrir des plantes consommées par les humains : la nourriture pourrait devenir plus rare, plus chère et de moins bonne qualité. À cela s’ajoutent les risques de sécheresse déclenchés par les canicules futures.
«D’un point de vue de l’économie comme de la santé humaine, le déclin des bourdons et le changement du climat peuvent avoir des impacts qui sont assez grands», rappelle Guillaume Ghisbain.
Et maintenant, on fait quoi?
Alors que les bourdons continueront sûrement de disparaître, il est toutefois possible de ralentir leur déclin, voire de sauver certaines espèces.
Au niveau individuel, Guillaume Ghisbain conseille d’éviter de consommer des aliments issus de l’agriculture intensive, et de privilégier plutôt un commerce local, avec une agriculture plus respectueuse de l’environnement.
Les propriétaires d’un jardin sont aussi invités à laisser pousser des mauvaises herbes, comme les trèfles, les chardons, les lamiers, qui s’avèrent être des denrées importantes pour les pollinisateurs.
«Quand on réfléchit à une échelle individuelle, on peut regarder son environnement et se demander s’il est propice à la vie sauvage. Si on tond son jardin quand on a la moindre “mauvaise herbe”, on ne peut pas s’attendre à ce qu’il y en ait», insiste Guillaume Ghisbain.
À l’échelle mondiale et nationale, la diminution des gaz à effets de serre est essentielle pour sauver à la fois les bourdons, mais aussi de nombreuses autres espèces animales et végétales sensibles au réchauffement climatique.
En Europe, la restructuration, la restauration et la protection des habitats naturels sont des enjeux primordiaux pour que les bourdons puissent continuer, à la grande joie de la nature, mais aussi des observateurs, de butiner de fleur en fleur.
Lila Maitre
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