L’arbre qui est l’ami des paysans africains
Les arbres au secours de la planète… La preuve par un « arbre providence » : l’arbre fertilitaire qui, en Afrique, contribue à la régénération des sols et soutient l’activité des petits producteurs de café et de cacao.
C’est un Bruxellois mince, effacé, déterminé. Une sorte de Tintin sans pantalon de golf et avec femme et enfants. Bruno Devresse, 63 ans, est élagueur dans les Cévennes, en France, mais auparavant, il avait commis sans le savoir un crime de lèse-divinité en coupant un arbre sacré au Gabon. Depuis, les Africains considèrent que l’esprit de cet arbre, loin de se venger, protège les exercices de voltige du petit Belge. Bruno Devresse et les arbres, c’est une longue histoire. A découvrir dans un documentaire de Michel Hellas (1), ancien journaliste de l’émission Au nom de la loi, sur la RTBF.
Ainsi se développe l’espoir de freiner l’exode rural en permettant aux paysans de vivre de leur travail, tout en respectant la nature.
En 1991, Bruno Devresse est coopérant au Togo (Afrique de l’Ouest), dans le cadre d’un programme de compostage financé par la Belgique. » Il encourage l’utilisation de broyat de branches d’arbres pour fertiliser les champs, mais ça ne marche pas ; la technique est trop onéreuse pour les paysans africains, et les serpents adorent s’y réfugier « , expose l’ancien journaliste de la RTBF. Bruno se souvient alors d’un article du Reader Digest sur les arbres fertilitaires. Il part à leur recherche et découvre que, dans le village d’Agomé Kusuntu, de grands arbres poussent à côté de caféiers, en les dépassant, certes, mais en ployant délicatement leurs fines feuilles vers le sol, pendant la nuit, pour permettre à la rosée d’humecter celui-ci. Un bel exemple de convivialité, dont les arbres sont coutumiers, si on les anthropomorphise, un peu à la manière de Peter Wohlleben, l’ingénieur forestier allemand auteur, en 2015, du best-seller La Vie secrète des arbres (Les Arènes).
Là cependant ne s’arrêtent pas les bienfaits de ces grands êtres ligneux appartenant à la famille des légumineuses arborescentes ( Albizia adianthifolia, Albizia zygia), répertoriées dès la fin du xviiie siècle et connues de l’agroforesterie traditionnelle africaine. A leur pied, la végétation est visiblement plus abondante. Lorsqu’on retire une jeune pousse de la terre, il est possible d’apercevoir entre ses racines les nodosités blanches qui renferment de l’azote, un engrais naturel. Ces arbres peuvent produire jusqu’à 200 kilos d’azote » bio » par an et par hectare. Une richesse naturelle, à portée de main, sans compter le banal bois de chauffage dont ils sont particulièrement généreux.
La clé du mystère ? Les arbres fertilitaires possèdent une racine pivotante capable de remonter des profondeurs du sol les minéraux et l’eau nécessaires à l’enrichissement de la couche arable. Leur système racinaire vit en symbiose avec les bactéries fixatrices d’azote (rhizobium) et les champignons rabatteurs de phosphore, potasse et autres minéraux (mycorhizes). Ces champignons sont particulièrement bons amis avec le caféier, le cacaotier, le palmier, le cotonnier, le maïs, le mil ou le taro dont ils facilitent l’absorption de l’eau et la résistance aux attaques de pathogènes, grâce aux substances antibiotiques et aux vitamines qu’ils élaborent sous terre. Cet écosystème repose sur les affinités, qu’il faut bien connaître, entre divers végétaux.
Au Togo, Bruno Devresse s’attelle à objectiver ce savoir oublié et crée avec Kwami Logan, professeur de math et fils d’un sorcier guérisseur, l’Association pour la promotion des arbres fertilitaires, de l’agroforesterie et la foresterie (Apaf). Il est soutenu successivement par la coopération belge, l’Union européenne et des fondations d’entreprises. Au fil du temps, l’Apaf a essaimé : Burkina-Faso, Sénégal, Mali, Cameroun, Côte d’Ivoire, Bénin. D’autres antennes sont en voie de constitution. L’Apaf a aussi des relais en Belgique, en France et en Suisse. L’ONG revendique la plantation de plus de huit millions d’arbres fertilitaires, qui ont enrichi plus de 50 000 hectares de terres agricoles en Afrique de l’Ouest.
La démarche, qui a été validée par l’ULB-Coopération, se veut participative et à taille humaine. Quand ils ne préexistent pas dans leur milieu, les arbres sont produits en pépinières, puis introduits dans les champs. Les paysans sont formés à la gestion des pépinières, à la plantation des arbres et à leur entretien (élagage et abattage sélectifs). Ils apprennent à les régénérer de façon naturelle. Ils sont encouragés à mettre en place des haies vives qui, dans les zones sahéliennes, protègent les cultures de la divagation des animaux. Un petit équipement (machettes, râteaux, pioches, arrosoirs) est alloué aux paysans et les plants sont gratuits.
Depuis un an, la Fondation Yves Rocher finance (360 000 euros) le déploiement de l' » arbre providence » dans cinquante villages togolais, camerounais et ivoiriens, dans le cadre de son plan de reboisement qui a déjà permis d’accroître le nombre d’arbres sur la Terre de cent millions d’individus de toute espèce.
Départ du Togo
Malgré ses bons résultats, l’aventure de Bruno Devresse au Togo s’est arrêtée momentanément en 2005, faute de financement mais aussi parce qu’elle avait suscité des remous. La réintroduction de l’arbre fertilitaire a permis aux cultivateurs de caféiers et de cacaotiers d’épargner la dépense d’engrais chimiques et de pesticides, mais les marchands qui les leur vendaient étant aussi ceux qui leur achetaient leur production, la situation s’est tendue. L’Apaf dérangeait. Dans le film de Michel Hellas, l’ancien coopérant belge fait même état de menaces. Aujourd’hui, il plaide pour une labellisation bio qui permette aux agriculteurs locaux d’empocher la plus-value de leurs bonnes pratiques agroforestières.
Au Sénégal, c’est un ancien fonctionnaire du ministère de l’Agriculture, Mansour N’Daye, qui, se sentant coupable d’avoir encouragé les engrais chimiques, a décidé d’inverser la vapeur. Il a adhéré à l’Apaf. Depuis 2013, l’association aurait planté 800 000 arbres fertilitaires au Sénégal. Ainsi se développe l’espoir de freiner l’exode rural en permettant aux paysans de vivre de leur travail, tout en respectant la nature. Tout cela grâce à un arbre jadis oublié. » L’arbre fertilitaire peut changer l’Afrique « , conclut l’auteur du documentaire.
(1) L’Arbre providence, par Michel Hellas, diffusé sur La Trois (RTBF), le lundi 16 décembre, vers 22 heures dans le cadre de l’émission Regard sur. Aperçu et infos : www.triangle7.com
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