Justice: le dommage écologique reconnu par la cour d’appel de Liège
C’est sans doute un grand pas pour la protection de la nature qui a été franchi ce mercredi 26 mai. Dans un jugement opposant entre autres la Région wallonne à huit tendeurs, la cour d’appel de Liège reconnaît le principe de dommage écologique. Un fait rare qui pourrait faire jurisprudence, comme le révèle Le Vif en primeur.
Ce sont quelques lignes parmi d’autres, inscrites dans un arrêt de 78 pages rendu, ce 26 mai, par la quatrième chambre correctionnelle de la cour d’appel de Liège. Mais des lignes lourdes de sens. Comme l’indiquait déjà Le Vif en avril dernier, une affaire impliquant le monde de la tenderie avait le potentiel de faire jurisprudence en matière de réparation des dommages causés à la nature. La Région wallonne, au même titre que l’asbl Natagora et que la Ligue royale belge pour la protection des oiseaux, s’étaient en effet constituées parties civiles dans un procès impliquant, en appel, huit tendeurs de la région verviétoise. La tenderie consiste ni plus ni moins à braconner des oiseaux sauvages, en vue de les détenir ou de les vendre. Une pratique illégale mais pourtant répandue. En l’occurrence, les prévenus étaient soupçonnés d’avoir capturé, pendant au moins dix ans, des centaines d’oiseaux dans la nature, dont certaines espèces menacées. Quelque 1350 oiseaux avaient été saisis.
Contrairement au jugement de première instance, rendu en mars 2020, la cour d’appel de Liège reconnaît les préventions de faux et usages de faux vis-à-vis des altérations de bagues d’élevage, visant à rendre prétendument légale la détention de ces oiseaux. « L’utilisation de telles fausses bagues, notamment pour tenter de légaliser la détention/cession d’un oiseau indigène capturé dans la nature, est constitutif d’un usage de faux au sens de l’article 197 du Code pénal », confirme la cour. A elle seule, cette décision pourrait inciter la justice à se montrer plus sévères dans des dossiers ultérieurs de tenderie.
Mais c’est surtout la réparation des dommages causés à la nature, absente du code civil belge, que cet arrêt vient souligner. En France, l’affaire Erika, du nom du pétrolier qui s’était échoué au large de la Bretagne en 1999, avait mené à une reconnaissance de la notion de préjudice écologique par la jurisprudence, avant de l’intégrer quatre ans plus tard dans le code civil. En l’absence d’une définition précise à ce sujet, la Belgique, elle, s’est jusqu’ici limitée à l’article 1382 de son code civil pour qualifier un dommage. Celui-ci stipule simplement que « tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. » Or, dès lors qu’un préjudice écologique n’affecte pas l’activité humaine, « toute la difficulté est de savoir ce que l’on considère par « autrui », ce que l’on met dans « dommage » et dans « réparer » », indiquait récemment au Vif Charles-Hubert Born, avocat et professeur à l’UCLouvain.
Une définition inédite
Comme ce fut le cas en première instance, la cour d’appel n’a certes pas considéré que les prévenus devaient s’acquitter solidairement d’un montant de 202 500 euros au titre de préjudice écologique, comme le réclamait la Région wallonne. Cette somme correspondait à la (difficile) évaluation du coût des mesures compensatoires nécessaires (plantation de haies, de bandes herbeuses ou de céréales…) pour la restauration et le redressement des populations d’oiseaux concernées. « Le dommage occasionné à des éléments de l’environnement qui n’appartiennent à personne peut, en règle, difficilement être évalué avec une précision mathématique parce qu’il s’agit de pertes non économiquement exprimables et […] difficilement quantifiables en l’espèce », indique la cour, attestant ainsi la difficulté à évaluer la portée du dommage écologique.
Mais, pour les avocats de la Région wallonne, Mes Tasseroul et Devillers, qu’importent les montants finalement obtenus à cet égard. La vraie victoire, celle qui pourrait faire date et résonner dans des dossiers ultérieurs, se situe ailleurs. Plus précisément dans ce passage de l’arrêt : « Le dommage écologique peut être défini comme étant le dommage causé directement au milieu pris en tant que tel indépendamment de ses répercussions sur les personnes et sur les biens. » De la sorte, la cour d’appel de Liège va donc plus loin que la définition de l’article 1382 du code civil. Définit la notion de dommage écologique. Admet, plus loin, « le principe du préjudice écologique comme dommage personnel » pour la Région wallonne. Et jette ainsi les bases d’une potentielle jurisprudence.
Un arrêt historique?
« C’est un arrêt qui va marquer une étape dans l’histoire du droit de l’environnement et du droit civil en Belgique : pour moi c’est bien notre affaire Erika », souligne Charles-Hubert Born, expert sur la question et contacté à nouveau par Le Vif. Cette définition de la cour, semblable à la notion de préjudice écologique pur, constitue une avancée remarquableEn admettant par ailleurs que la Région wallonne subit ici un préjudice personnel, cela veut dire qu’une collectivité publique en charge de la protection de l’environnement pourrait se constituer partie civile afin de demander réparation pour un dommage écologique, même sans impact pour l’être humain. » En l’absence d’une telle précision, cette collectivité se voyait jusqu’ici démunie pour réclamer réparation vis-à-vis de dommages causés à la nature, quand celle-ci n’appartient à personne (à la différence d’un étang privé, par exemple).
Au pénal, la cour d’appel confirme en outre les sanctions de première instance (emprisonnement, amendes et/ou confiscation de biens saisis selon les cas), mais cette fois sans sursis ni probation. Les prévenus auront toutefois la possibilité de se pourvoir en cassation.
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