Forêt du bassin du Congo: comment sauver le dernier poumon vert de la planète
Kinshasa accueille, du 3 au 5 octobre, la pré-COP27. L’ occasion pour la RDC de s’affirmer comme un «pays solution» face au changement climatique. La forêt du bassin du fleuve Congo est le moins mutilé des grands puits de carbone tropicaux de la planète.
La 27e conférence des Nations unies sur le changement climatique se tiendra du 6 au 18 novembre à Charm el-Cheikh, en Egypte. Avant cette grand-messe internationale, une session préparatoire, dite «pré-COP27», est prévue à Kinshasa. Elle réunira, du 3 au 5 octobre, les ministres du monde entier ayant l’Eau et l’Environnement dans leurs attributions. La République démocratique du Congo veut profiter de l’occasion pour se présenter comme un «pays solution» face aux effets du réchauffement climatique. Les autorités congolaises réclament une «compensation équitable» pour les services écologiques rendus à la planète par ses forêts, ses tourbières et sa biodiversité. Il sera beaucoup question, lors de cette session, des crédits carbone, ces financements de projets environnementaux destinés à contrebalancer des émissions de gaz à effet de serre.
Avec la déforestation, les pluies sont plus irrégulières et le débit des cours d’eau se réduit.
«Contrairement à ce que l’on dit souvent, le bassin du fleuve Congo n’est pas le deuxième poumon de la planète, mais le premier», assure Baudouin Michel, professeur belge d’agroéconomie, nommé en août 2021 recteur de l’Institut facultaire des sciences agronomiques de Yangambi, dans la province de la Tshopo (nord de la RDC). «Ses forêts sont, certes, moins vastes que celles de l’Amazonie, mais elles stockent par hectare et par an plus de CO2 que le massif forestier sud-américain.» Les forêts du bassin du Congo ont une superficie de 165 millions d’hectares, dont les deux tiers se trouvent sur le territoire de la RDC. Les arbres du bassin séquestrent près de 25 gigatonnes de CO2 par jour, soit environ 8% du carbone forestier mondial. Ils captent quelque 600 millions de tonnes de CO2 de plus qu’ils n’en émettent.
Le trésor vert
«Des trois grands puits de carbone tropicaux de la planète, le massif forestier du bassin du Congo est le moins fragilisé», signale Alain Huart, chef de mission d’appui technique au programme «environnement et agriculture durable» de l’Union européenne en RDC. En une vingtaine d’années, la forêt indonésienne et, plus largement, toute l’Asie du Sud-Est sont devenues des émettrices nettes de carbone: elles captent deux fois moins de CO2 qu’elles n’en rejettent. En cause: la déforestation massive liée à l’agriculture industrielle, les feux incontrôlés et le drainage des tourbières. Le bassin amazonien, lui, affiche un bilan carbone neutre. Si sa forêt continue de disparaître au rythme actuel, il sera bientôt plus émetteur que capteur.
En revanche, le cœur vert du bassin du fleuve Congo, notamment le parc de la Salonga, est encore en grande partie intact. Ses arbres sont plus grands et vigoureux que ceux des autres massifs tropicaux. «Cette forêt, si elle est préservée, sera le vrai trésor de la RDC pour tout le XXIe siècle, prédit Alain Huart. Le cobalt, le cuivre et les autres minerais ne sont que son argent de poche actuel.» Le président Tshisekedi tient à peu près le même langage depuis trois ans, avec une «punchline» devenue virale: «Il est temps que le sol prenne sa revanche sur le sous-sol.»
Une tour en forêt
Pour mieux comprendre la contribution de la forêt congolaise à l’atténuation du changement climatique, l’UGent a fait construire au sein de la réserve de biosphère de Yangambi la première «tour à flux» du bassin du Congo. La structure de 55 mètres de haut dépasse d’une quinzaine de mètres la canopée, le couvert forestier. Elle permet d’étudier les échanges de gaz à effet de serre entre la forêt et l’atmosphère. Opérationnelle depuis fin 2020 et gérée par des techniciens congolais, la tour a été financée par la Belgique dans le cadre d’un projet de l’Union européenne. Cité scientifique située à une centaine de kilomètres au nord-ouest de Kisangani, Yangambi a été, dans les années 1950, l’un des plus importants centres de recherche agricole mondiaux, créé par le gouvernement belge pour étudier l’agronomie en climat tropical.
Poumon de la planète le moins agressé, le bassin du Congo est néanmoins menacé. Pays de cent millions d’habitants, la RDC compte plus de cinq millions de familles paysannes qui pratiquent l’agriculture itinérante sur brûlis. «Les villageois défrichent par le feu environ un hectare de forêt par an, plantent, récoltent et, quand la terre s’appauvrit, vont plus loin et recommencent, précise Alain Huart. Autrefois, la forêt avait le temps de se régénérer, mais c’est de moins en moins le cas en raison de la pression démographique.» L’ exploitation industrielle du bois par des entreprises étrangères est également pointée du doigt. «Elle fait toutefois moins de dégâts, car il n’y a plus que deux ou trois grands groupes forestiers en RDC», remarque Emmanuel Heuse, directeur adjoint de l’Ecole régionale postuniversitaire d’aménagement et de gestion intégrés des forêts et territoires tropicaux (ERAIFT), à Kinshasa. «Les entreprises ne se bousculent pas pour investir au Congo, où le secteur formel est soumis à de lourdes contraintes. De plus, cotées en Bourse, elles craignent pour leur image, dans un contexte de mobilisation mondiale pour sauver les forêts. Les petits acteurs forestiers locaux ont aussi une responsabilité: ils approvisionnent en bois les marchés globalisés via des filières informelles.» Le charbon de bois, unique combustible pour des dizaines de millions d’habitants, est acheminé par millions de tonnes dans les villes et jusqu’à la mégalopole de Kinshasa, tandis que les grumes des géants abattus en forêt prennent la direction de la Chine.
Moins de pluie
La déforestation croissante menace déjà la biodiversité. Les populations du bassin du fleuve Congo constatent également d’autres changements dans leur environnement naturel. La région devient plus chaude, les pluies sont plus irrégulières et le débit des cours d’eau se réduit. Les scientifiques du Centre de recherche forestière internationale (Cifor) estiment que jusqu’à 95% de la pluviométrie proviennent du recyclage de l’humidité des forêts. «L’ écosystème forestier est une pompe à eau, convient Baudouin Michel. Il y a un lien étroit entre eau, forêt et carbone. Si les forêts du bassin du Congo disparaissent, il y aura près de deux cents jours de saison sèche par an dans la région.Actuellement, il pleut toute l’année dans la cuvette centrale, la saison sèche dure nonante jours au Bandundu, 120 jours à Kinshasa et 180 jours à Matadi, entre la capitale et l’océan.»
Le grand défi est l’amélioration de la gouvernance des ressources naturelles.
Pour Alain Huart, l’enjeu est colossal: «L’ état des forêts du bassin du fleuve Congo détermine le niveau des précipitations et de la production agricole dans presque toute l’Afrique subsaharienne et même en région sahélienne. Si la RDC était une puissance diplomatique de premier plan, elle aurait déjà mis autour de la table les pays concernés et les impliquerait dans un programme commun de préservation des forêts.» Sans décisions énergiques, 70% des forêts du bassin du Congo auront disparu d’ici à un demi-siècle, estime le Cirad (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement). Un tel scénario provoquerait une crise climatique et alimentaire majeure sur le continent. L’ Afrique, qui compte 1,4 milliard d’habitants en 2022, devrait passer à 2,5 milliards en 2050 et à 3,9 milliards en 2100, selon les nouvelles projections de l’ONU. «Si le poumon vert congolais est gravement atteint, des centaines de millions d’Africains deviendront des réfugiés climatiques», commente le chef de mission d’appui technique de l’Union européenne.
Quelles solutions?
Comment sauvegarder le dernier puits de carbone à haut rendement de la planète? «En faisant évoluer les pratiques agricoles, répond Alain Huart. Le changement passe par un encadrement des villageois et par la multiplication de coopératives de production, qu’il faut encourager financièrement à protéger les forêts. Le manioc, plante exigeante qui épuise les sols, représente 90% de la production de subsistance au Congo. Les cultures doivent être plus diversifiées, avec la patate douce, l’igname, le tarot, le riz, la pomme de terre, le haricot, le soja, les arachides, le maïs… mais aussi avec des cultures pérennes, comme le palmier à huile, le cacao, le café et même l’hévéa. C’est ainsi que se développeront des modèles agricoles sédentarisés, nettement moins destructeurs de surfaces boisées.»
Emmanuel Heuse confirme: «Seule une rotation agricole plus lente, étalée sur une génération, favorisera la régénération de la forêt. Comme la plupart d’entre nous, le villageois congolais est un « homo economicus »: il changera d’habitudes si d’autres options valorisables existent, s’il bénéficie de formations et de subventions. Son exigence, sur le plan pécuniaire, est d’avoir les moyens de nourrir sa famille et de financer la santé et l’éducation de ses enfants.» Autre défi à relever: l’amélioration de la gouvernance des ressources naturelles du pays. «Les fonds obtenus grâce aux crédits carbone doivent bénéficier prioritairement aux acteurs locaux, communautés rurales et propriétaires fonciers», insiste Emmanuel Heuse. «Il faudrait aussi réorienter les budgets des partenariats Nord-Sud et des collaborations Sud-Sud pour que des bénéfices durables reviennent aux populations gardiennes des écosystèmes efficaces dans le captage du carbone», plaide Alain Huart (1).
(1) Alain Huart publiera, en fin d’année, Congo, peuples & forêts (éditions Weyrich), un ouvrage richement illustré sur le cœur vert de l’Afrique, puits de carbone et de biodiversité.
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