Une terre pauvre ne peut plus nourrir les plantes sans addition d'engrais, libère du carbone au lieu d'en séquestrer et accroît le réchauffement climatique. © DR

Farming for Climate: vers une agriculture plus respectueuse du climat

Estelle Spoto Journaliste

Propulsée par des bénévoles enthousiastes, l’asbl Farming for Climate crée du lien entre les entreprises et les agriculteurs, pour que les premières soutiennent les seconds dans leur transition vers des pratiques plus respectueuses de l’environnement. Une alliance aux multiples bénéfices, y compris face aux changements climatiques et aux risques d’inondations.

Le contexte

Le journalisme constructif enrichit les pratiques journalistiques en proposant une vision plus nuancée de la société, en abordant les perspectives et les solutions et en portant une attention particulière aux mots et aux illustrations utilisés dans le traitement de l’information. A l’occasion de la Semaine de l’ info constructive, Le Vif souhaitait mettre en avant une initiative qui réunit deux mondes souvent éloignés et régulièrement pointés du doigt pour leur impact sur l’environnement. Et ainsi apporter la preuve qu’ ensemble, main dans la main, ils peuvent aussi, positivement, contribuer au futur de la planète.

Farming for Climate: vers une agriculture plus respectueuse du climat

Au départ du projet, il y a un groupe d’anciens scouts de la même unité, des pères de famille qui, au moment des grandes marches pour le climat de 2018, se demandent comment agir à leur niveau. Christophe Adant, Pascal Durdu, Frédéric Givron et Bernard Escoyez opèrent un virage dans leurs carrières menées au sein de grandes entreprises pour dégager du temps comme bénévoles pour Farming for Climate (L’agriculture pour le climat), l’asbl qu’ils créent ensemble en juin 2019. « Beaucoup d’entreprises se posent des questions sur la manière de diminuer leur impact sur l’environnement, expose Christophe Adant, ancien chef d’entreprise dans le secteur informatique, qui a revendu ses parts pour se consacrer à l’association. Elles font un effort et quand celui-ci n’est pas suffisant, elles cherchent des solutions pour compenser leur empreinte carbone. Ce qui était proposé à l’époque, c’étaient uniquement des plantations d’arbres à l’autre bout du monde, ce qui est très bien, mais ne permet pas d’avoir un réel impact local, visible et crédible. »

Quatre-vingts projets d’agriculteurs en transition sont en cours et une trentaine d’entreprises les soutient dans cette voie.

Au fil des réflexions du quatuor naît une idée originale: appliquer la formule des paniers bio, où des familles s’unissent autour d’un agriculteur dont elles achètent directement la production, à une échelle plus large, « industrielle ». Farming for Climate, soutenue par la Fondation roi Baudouin, entend créer des ponts entre les entreprises et les agriculteurs pour qu’avec leur compensation carbone, les premiers financent les seconds dans leur transition vers des modes de production plus durables, selon les principes de l’agroécologie. A présent, ils sont douze dans l’asbl, hommes et femmes, originaires de Wallonie, de Bruxelles et de Flandre. Avec quatre-vingts projets d’agriculteurs en transition en cours et une trentaine d’entreprises pour les soutenir dans cette voie, engagées pour cinq ans.

Farming for Climate est aujourd'hui porté par une dizaine de bénévoles, originaires de Wallonie, de Bruxelles et de Flandre.
Farming for Climate est aujourd’hui porté par une dizaine de bénévoles, originaires de Wallonie, de Bruxelles et de Flandre.

Terre pauvre

« Aujourd’hui, on se rend compte que même l’agriculture biologique a montré ses limites, précise Alain Moreau, ancien CEO de Deutsche Bank, qui a rejoint l’équipe de Farming for Climate il y a deux ans. Parce que l’agriculture biologique ne respecte pas forcément la vie des sols. Pour moi, ça a été une révélation, notamment en regardant le film Kiss the Ground(NDLR: documentaire sorti en 2020, disponible sur Netflix, narré par Woody Harrelson). Le fait que le sol peut capturer du carbone grâce aux organismes et aux micro-organismes qui y sont présents n’est pas suffisamment connu. On estime, à l’échelle mondiale, que 75% des sols sont dégradés. »

En recourant massivement aux produits phytosanitaires de l’industrie chimique (pesticides, herbicides, engrais) et au labour en profondeur mécanisé, l’agriculture intensive a, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, dopé la production. Mais elle a en même temps presque annihilé ce qui faisait la qualité des sols, en y supprimant la vie. Avec, pour résultat, une terre imperméable, qui s’érode, facilitant ainsi les inondations et les coulées de boue. Une terre pauvre, qui ne peut plus nourrir les plantes sans addition d’engrais, et qui libère du carbone au lieu d’en séquestrer, accroissant ainsi le réchauffement climatique. A quoi il faut ajouter la perte de la biodiversité terrestre et d’eau douce (respectivement 70% et 50% de pertes liées à la production alimentaire, selon le rapport « Planète vivante » du WWF, en 2020), la déforestation et les conséquences néfastes sur la qualité de l’eau et la santé des êtres humains.

A l’échelle mondiale, on estime que 75% des sols sont dégradés.

L’agroécologie, qui combine les exigences du bio aux principes de conservation des sols (non-labour, couverture permanente des terres, diversité et rotation des cultures) en y ajoutant d’autres leviers bénéfiques comme la plantation d’arbres et de haies, constitue une alternative durable, mais vers laquelle le chemin est encore long. « En Belgique, on n’atteint même pas 1% des surfaces cultivées en agroécologie, relève Christophe Adant. En France, ils sont déjà beaucoup plus loin. »

Là où ils sont

« Nous rencontrons des agriculteurs qui ont la peur au ventre, parce qu’ils savent que dans les premières années de transition, ils courent un risque de perte de rendement, précise Bernard Escoyez, qui a auparavant travaillé, entre autres, pour Coca-Cola aux services juridique et des ressources humaines. La contribution des entreprises partenaires peut leur permettre de créer un filet de sécurité pour amortir financièrement le choc de ces premières années. L’idée de Farming for Climate est de prendre les agriculteurs là où ils sont. Pour les débutants qui ne savent pas comment s’y prendre, l’aide des entreprises servira à financer un support agronomique pour les conseils nécessaires. Pour d’autres, déjà plus avancés, il s’agira de financer des investissements, comme l’achat de matériel agricole adapté, un semoir pour semis direct, par exemple. »

Outre cette complémentarité gagnante entre entreprises et agriculteurs, Farming for Climate travaille sur d’autres axes, comme la mise en valeur des produits issus de l’agroécologie. « Une des faiblesses de l’agroécologie, c’est son manque de reconnaissance, affirme Alain Moreau. Alors que le label bio est reconnu, on n’a pas encore réussi à donner une valeur aux pratiques agroécologiques auprès du grand public, malgré tous ses avantages. » D’où l’idée d’un outil qui permettrait de « faire parler le produit ». Un label? « Label n’est peut-être pas le bon mot, nuance Johan Lambrechts, project manager et premier collaborateur à temps plein de Farming for Climate. La différence avec le bio, c’est que nous ne sommes pas ici dans une check-list de critères binaires qui définissent si oui ou non on est bio. L‘agroécologie, c’est plutôt une évolution, un chemin qui peut prendre plusieurs dizaines d’années. On cherche donc à développer un outil pour mesurer cette évolution. En France, et dans d’autres pays, on utilise des autoévaluations où l’agriculteur doit répondre à une série de questions, par exemple sur le pourcentage de terres labourées, l’utilisation des pesticides, etc. A la fin, il obtient un score sur cent, qui correspond à différents niveaux: débutant, moyen, expert. Donc, ici, on ne considère pas seulement le produit, mais toute l’exploitation comme un écosystème. Et si cette évaluation est vérifiée de manière indépendante, cet outil permet aux entreprises d’acheter, par exemple, des produits de fermes qui ont atteint le niveau expert ou moyen. » Une piste de plus pour favoriser l’agriculture de demain, dans un pays, par ailleurs, parmi les plus faibles au monde (classé deuxième derrière la Norvège) quant à l’autosuffisance alimentaire.

« Faire du conventionnel, ce n’était plus possible »

Jérémy Vermeiren, à la ferme de la Distillerie à Bousval, fait partie des agriculteurs soutenus par Farming for Climate. A la tête de la ferme familiale depuis le décès de son père, en 2011, il est passé au bio sur la totalité de ses terres en 2019. « Par rapport à l’agriculture conventionnelle, travailler en bio ne présente pas d’intérêt financier et est plus énergivore: on y passe plus de temps, notamment pour le désherbage et la préparation du sol. Mais quand on a trois enfants, on essaie de faire quelque chose qui tient la route pour les années à venir. C’est ça qui nous a motivés. On n’a même pas étudié la question des rentrées financières, on s’est juste dit qu’on ne pouvait plus faire du conventionnel, ce n’était plus possible. »

Farming for Climate: vers une agriculture plus respectueuse du climat
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Pas de pesticides mais du compost et du fumier, pas de labour profond, des sols couverts et même une collaboration avec l’asbl Nos Oignons pour l’accueil de personnes handicapées mentales: la ferme de la Distillerie était déjà bien avancée vers la transition. En 2021, le soutien de Farming for Climate a permis de financer l’implantation d’une haie. « Nous avons été conseillés par Natagriwal et nous avons planté des prunelliers, des cornouillers, des charmes, des sureaux, des petits chênes, détaille Jérémy Vermeiren. Dans les années à venir, on aimerait améliorer l’accueil des personnes à la ferme, installer des nichoirs et des perchoirs pour les rapaces et planter un verger pour diversifier notre production. » Pour tous ces projets, le soutien des entreprises via Farming for Climate sera plus que bienvenu.

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